vendredi 28 décembre 2007

« Assassinat de Benazir Bhutto » - Vers le chaos ou la démocratie ?

A quelques jours des élections législatives, qui devaient se tenir le 8 janvier au Pakistan, et à quelques minutes avant sa mort, Benazir Bhutto déclarait, devant ses partisans : « J’ai mis ma vie en danger, je suis rentrée parce que je sentais que ce pays était en danger. Les gens sont inquiets mais nous sortirons ce pays de la crise ». L’attentat s’est produit à Rawalpindi, près d’Islamabad, à l’issue d’un meeting électoral de Benazir Bhutto, leader du Parti du peuple pakistanais (PPP) et chef de file de l’opposition au président Pervez Musharraf.

Selon des analystes, l’assassinat de Benazir Bhutto plonge le Pakistan dans l’une des plus graves crises de ses soixante années d’existence. Loin d’apaiser la situation, Nawaz Sharif, l’autre chef de l’opposition et ancien Premier ministre, réclame la démission de M. Musharraf et en appelle à une grève générale dans tout le pays. Benazir Bhutto et Nawaz Sharif avaient récemment décidé d’unir leurs forces pour s’opposer à Pervez Moucharraf. « Si quelque chose m’arrive au Pakistan, j’en rendrai Musharraf responsable », avait averti madame Bhutto. Les craintes de madame Bhutto ont été confirmées par la chaîne américaine CNN. Elle avait demandé, le 26 octobre dernier, à Mark Siegel, son porte-parole américain, de rendre son message public si elle était assassinée. C’est fait.

Le président Pervez Musharraf a appelé à la paix après la mort de Benazir Bhutto. Il a aussi invité ses concitoyens à rester calmes pour « que les desseins diaboliques des terroristes soient mis en échec ». Le président pakistanais a, de plus, annoncé jeudi un deuil de trois jours. Et c’est ce même Musharraf qui, selon Benazir Bhutto, est accusé aujourd’hui de lui avoir refusé une protection adéquate dans les mois précédant son assassinat. Madame Bhutto faisait face à l’interdiction d’utiliser des voitures privées ou avec des vitres teintées. Même chose en ce qui concerne une escorte de quatre voitures de police afin d’être protégée de tous les côtés.

Le Pakistan, dans une certaine frange, est en colère. La douleur s’est vite muée en colère contre le président Pervez Musharraf. « Musharraf est un chien », scandaient des centaines de gens en colère. « Nous avons perdu notre soeur! ». Des émeutes ont éclaté dans une dizaine de villes, faisant au moins 10 morts, selon les autorités. Le meurtre de Benazir Bhutto s’inscrit dans une série d’attentats suicides qui ont fait près de 800 morts en 2007. Le 18 octobre dernier, un attentat contre madame Bhutto s’était soldé par 139 morts. Un journaliste de Karachi témoignait hier : « La réponse dans la rue est très violente, les gens sont dehors, furieux, ils brûlent des voitures, des bâtiments, il y a des fusillades, c’est le chaos » (Libération). Des troubles ont aussi éclaté à Lahore et, dans une moindre mesure, dans d’autres grandes villes. Au moins quatre personnes ont été tuées dans ces incidents.

Madame Bhutto, depuis quelques mois, avait décidé d’affronter sans équivoque possible le mouvement islamiste radical du Pakistan. Elle avait mené une campagne contre les fondamentalistes musulmans, en promettant d’« éliminer la menace islamiste » du pays. Il semblerait que les taliban ainsi que des groupes djihadistes pakistanais avaient recruté des kamikazes pour mettre fin à ses jours.

Nicolas Sarkozy, dans une lettre adressée au président Musharraff, juge « plus que jamais indispensable » la tenue des élections législatives après « l’acte odieux » qui a couté la vie à l’ancien Premier ministre.

Robert Birsel et Kamran Haider, de Reuters, rappellent les faits saillants de la carrière de madame Bhutto : « Née le 21 juin 1953, dans une riche famille de propriétaires terriens, Benazir Bhutto a été formée à Harvard et à Oxford. Son père, Zulfikar Ali Bhutto, président puis Premier ministre du Pakistan, avant d’être renversé en juillet 1977 par Zia-Ul-Haq, fut exécuté deux ans plus tard. Madame Bhutto devient, dès lors, le chef de file de tous les opposants au régime militaire de Zia ».

« Arrêtée, assignée à résidence, elle s’exilait une première fois à Londres où elle réorganisait le PPP, fondé par son père. Elle prend l’engagement de rétablir la démocratie et se veut le symbole de la lutte contre le pouvoir militaire. À 35 ans, le 2 décembre 1988, après la victoire du PPP, elle est nommée à la tête du gouvernement et devient la première femme à diriger un pays musulman. En 1990, cible d’accusations de corruption, elle était limogée. Son retour au pouvoir, en octobre 1993, n’allait guère être plus heureux. Le 5 novembre 1996, de nouvelles accusations de corruption lui coûtaient une nouvelle fois sa place » (Reuters - Le Monde).

Mais comme l’indique Libération : « Benazir Bhutto était rentrée au pays grâce au soutien de Washington, dans la perspective d’un partage du pouvoir avec le président Musharraf. Un retour sous les vivats de ses partisans, mais qui dérangeait beaucoup de monde au Pakistan, en particulier au sein de l’establishment, peu enclin à céder du terrain à l’héritière de la dynastie Bhutto ».

Les États-Unis pour lesquels Islamabad est un allié clé dans leur « guerre mondiale contre le terrorisme » ont assuré les Pakistanais de leur soutien tout en insistant pour que les élections législatives et provinciales aient bien lieu le 8 janvier comme prévu. La secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, a téléphoné au successeur de Benazir Bhutto à la tête du PPP, Amin Fahim, pour l’appeler à participer aux élections, pendant que Georges W. Bush s’entretenait avec Pervez Musharraf. Le président George W. Bush a condamné un « acte lâche perpétré par des intégristes meurtriers qui cherchent à saper la démocratie pakistanaise ».

Selon Pervez Musharraf, l’assassinat de Mme Bhutto est « l’œuvre de ces terroristes contre lesquels nous sommes en guerre». Il a exprimé sa «détermination» à les «éliminer ». France Presse informe que, jeudi, des responsables du FBI et du département de la Sécurité intérieure avaient diffusé une note à l’attention des différentes agences américaines relayant des sites Web islamistes selon lesquels Al-Qaïda a revendiqué l’attentat qui a coûté la vie à l’opposante pakistanaise Benazir Bhutto. Ross Feinstein, porte-parole du directeur des Renseignement nationaux, prévient que « nous ne sommes pas en mesure actuellement de confirmer qui aurait pu être responsable de l’attaque ». Le ministère de l’Intérieur du gouvernement pakistanais a déclaré à l’agence France Presse ne « pas être au courant d’un lien avec Al-Qaïda » dans cet assassinat de l’ex-Premier ministre Benazir Bhutto.

Les rumeurs circulent que Oussama ben Laden diffuserait prochainement une nouvelle déclaration sur Internet dans laquelle il évoquerait surtout la question de l’Irak, selon un groupe privé de renseignement. Selon SITE, qui fournit des renseignements sur les questions de terrorisme à des gouvernements et des acteurs privés, l’annonce de la diffusion de ce message a été faite jeudi sur des forums de discussion islamistes. Selon les entrées sur ces sites Web, le message durera 56 minutes.

Alain Lallemant, du quotidien Le Soir (Belgique), dit craindre le scénario du pire, soit le report des élections : « L’absence de Benazir Bhutto dans le jeu politique du 8 janvier n’est pas déterminante. La présidente à vie du PPP était déjà absente du scrutin présidentiel du 6 octobre dernier, et ses prises de positions, tant avant son retour d’exil (soutien aux Américains, lâchage du père de la bombe atomique pakistanaise) qu’après (rapprochement avec les religieux, positionnement opportuniste face au président Musharraf) ont affaibli sa position. Dans la presse pakistanaise, des fonctionnaires ont fait ouvertement état de déceptions face au comportement cynique de « B.B. ». Et pour les électeurs du PPP, la première de toutes les dames sera peut-être plus grande morte que vivante ».

Pour François Sergent, de Libération : « Au nom de la lutte contre le terrorisme que Musharraf est censé mener, les États-Unis s’appuient sur cet homme double qui laisse son pays aux inégalités odieuses s’enfoncer dans le sous-développement et la violence. Ils l’ont soutenu, bien que son régime ait systématiquement violé la démocratie et les droits de l’homme - et encore plus ceux de la femme. Ils l’ont soutenu malgré la prolifération nucléaire organisée au cœur de l’État. Ils le soutiennent malgré les complicités coupables de son armée avec les islamistes les plus fanatiques. Que le meurtre de Benazir serve au moins de mise en garde à un Occident qui devrait apprendre à mieux choisir ses amis ».

Aux États-Unis, les réactions vont de la consternation au scepticisme. « A bad day for Pakistan ; a bad day for the United State », rapporte Le Los Angeles Times. Pour sa part, le New York Times met l’accent sur l’échec de la politique et de la stratégie de Georges W. Bush. « Foreign policy analysts and diplomats said that if there were one thing that Ms. Bhutto’s assassination has made clear, it was the inability of the United States to manipulate the internal political affairs of Pakistan ». Notons enfin que le Wall Street Journal considère que l’assassinat de Benazir Bhutto pourrait avoir un impact sur le choix des électeurs américains, lors des prochaines présidentielles de 2008, qui pourraient favoriser des candidats plus expérimentés. « It has very little to do with national security issues », a déclaré, un peu mal à l’aise, le sénateur républicain McCain. Notons enfin que le correspondant du Huffington Post, l’un des blogs les plus lus aux États-Unis, Matthew Pennington, craint que la seule issue qui s’offre au président Musharraf ne soit de déclarer, pour une deuxième fois, l’état d’urgence : « It is possible they could declare an emergency again ».


jeudi 27 décembre 2007

« Je sais que je suis un symbole » - Benazir Bhutto

Benazir Bhutto fut chargée d’assumer le lourd héritage politique de son père, Zulfikar Ali Bhutto, renversé par un coup d’État militaire en 1977 et exécuté. Elle n’avait pas peur d’affronter la mort, disait-elle. La mort n’avait pas peur de cette femme qui l’affrontait ainsi, impunément. Jusqu’à ce jour. Elle est revenue au pays. Elle croyait dans un idéal. Elle l’a défendu. Une première fois, la mort est passée à côté. Cette fois-ci, la mort a gagné. Deux fois Premier ministre de la République Islamique du Pakistan, de 1988 à 1990 et de 1993 à 1996, elle fut aussi par deux fois, démise de ses fonctions pour « corruption » et « mauvais usage » du pouvoir. Âgée de 54 ans, elle est décédée dans un hôpital de Rawalpindi. « Elle est morte en martyre », a déclaré Rehman Malik, un responsable de sa formation.

Beaucoup de choses se diront sur cette femme unique, volontaire, décidée, moderne dans un pays anachronique. Huit années d’exil auront séparé Benazir Bhutto de son pays. Jusqu’à cet été, Benazir Bhutto était accusée par le pouvoir Pakistanais de diverses charges, dont la corruption. Elle revenait avec l’engagement d’un partage du pouvoir. Elle a exigé la démission de ce pouvoir, incarné par Pervez Musharaf. Au moment de son retour, elle fait l’objet d’une première tentative d’assassinat. Elle quitte pour revenir aussitôt. Résolument tournée vers le progrès de son pays et son accession vers la démocratie, Benazir Bhutto se sait en danger. Qu’importe. « Je sais que je suis un symbole de ce que les soi-disant djihadistes, talibans et Al-Qaïda craignent le plus », avait écrit Benazir Bhutto dans son autobiographie : « Je suis une femme, dirigeante politique, qui lutte pour apporter la modernité, la communication, l’éducation et la technologie au Pakistan ».

Il est trop tôt pour jeter les bases d’une analyse conjoncturelle, comme a tenté maladroitement de le faire Bernard-Henri Lévis. Et surtout pour distribuer les blâmes sans discernement.

Réfléchissons sur ces images.

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mercredi 26 décembre 2007

En 2008, l’Islam permet encore le mariage des fillettes de dix ans et plus

L’IRIN (Integrated Regional Information Networks) est un organisme lié à l’Organisation des Nations Unies. Selon cet organisme, toutes les deux heures, une femme meurt au Niger, pendant sa grossesse ou pendant l’accouchement – une réalité qui traduit le sous-financement des services de santé, l’abandon des infrastructures en matière de transport et d’éducation et l’absence de sensibilisation des femmes à leurs droits. L’organisme d’information vient de publier un rapport dévastateur dans lequel il affirme : « Pour accoucher, le Niger est un des endroits les plus dangereux du monde ».

Deux millions de filles et de femmes dans le monde souffrent, selon l’Organisation mondiale de la santé, de fistules, déchirure des tissus qui survient lorsque la circulation du sang vers les tissus du vagin et de la vessie et/ou du rectum est bloquée au cours d’un travail avec obstruction prolongée. Presque toutes ces femmes vivent dans des pays en voie de développement. Selon les estimations de l’ONG, Fistula Foundation, 100 000 nouveaux cas se produisent chaque année dans le monde, mais seules 6 500 femmes sont traitées tous les ans, en raison d’un manque de fonds et de médecins. Bon nombre de femmes sont rejetées par leurs familles et leurs communautés, et se voient même interdire l’accès aux transports publics, en raison de leur odeur nauséabonde. Lorsque les tissus se nécrosent, un orifice se forme, qui laisse inévitablement échapper l’urine et les fèces. La fistule est le symbole par excellence des accouchements ratés, conséquences d’un accès insuffisant aux soins de santé et de la fréquence élevée des mariages entre hommes mûrs et fillettes mineures, au Niger.

Le Niger fait partie des pays les plus pauvres du monde, 85 pour cent des Nigériens vivent péniblement d’une agriculture de subsistance dépendant de la pluie. Avec une population de 13,5 millions d’habitants, disséminés sur un territoire désertique grand comme l’Europe de l’Ouest, le Niger n’a pas connu un développement comparable à celui de la plupart des autres pays africains du continent. Force est de constater que, dans ce pays, bon nombre de familles – dirigées généralement par les hommes – consultent encore des charlatans, ou encore des chefs religieux et des guérisseurs traditionnels en cas de complications, lors des accouchements, avant de faire appel à un médecin.

Lorsque des femmes, qui se rendent d’elles-mêmes vers un centre de santé, ont payé le transport et les autres frais, bien souvent il ne leur reste plus rien pour payer le traitement au dispensaire ou à l’hôpital. Et comme le déplore Amoul Kinni Ghaichatou, responsable médical au Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) à Niamey : « Des femmes meurent à cinq mètres de ces centres de santé parce qu’elles n’ont pas les moyens de s’y faire soigner ». Dans tout le pays, il n’y a que 17 médecins capables de réaliser des césariennes ; sept à Niamey et 10 autres dans les régions. Dans certaines capitales régionales comme Diffa et Tillaberi, il n’y a aucun personnel médical pour réaliser des actes de chirurgie obstétricale.

L’histoire de la nigériane Hadjo Garbo

Hadjo Garbo a 15 ans. Fillette menue, elle rêvait autrefois de devenir femme au foyer. Elle a été mariée, il y a deux ans, à un des hommes mûrs de son village de la région de Dosso, dans le sud-ouest du Niger. Elle avait à peine 13 ans. Hadjo Garbo tombe enceinte à 14 ans de son premier enfant. Avant même de fêter son 15e anniversaire, Hadjo perd son bébé. Le corps d’Hadjo n’étant pas prêt-à-porter une grossesse, au terme de trois jours d’efforts insoutenables, le fœtus à naître, mort-né, a été extrait chirurgicalement. La fillette souffre aujourd’hui d’une fistule obstétricale. Depuis, Hadjo est repoussée par son mari et sa belle-famille, et elle est contrainte de se soustraire aux regards curieux et aux ricanements de ses anciennes amies de classe.

Selon Idrissa Djibrilla, qui dirige les bureaux nigériens de Défense des enfants International (DEI), une organisation non-gouvernementale, ce qui est arrivé à Hadjo serait qualifié, ailleurs, de pédophilie et l’agresseur serait appréhendé et mis en prison. Au Niger, ce mot ne s’applique qu’aux hommes qui ont des rapports sexuels avec des fillettes hors mariage. « Si l’on envisage la question d’un point de vue biologique, physiologique, il est clair qu’à neuf, 10, 11 ou 12 ans, une fillette n’est tout simplement pas prête à avoir des rapports sexuels et à porter un enfant. La réalité est telle, mais il est difficile de le faire comprendre à nos communautés », soutient Idrissa Djibrilla. Selon une étude confidentielle, réalisée par une ONG et portée à la connaissance d’IRIN, les rapports sexuels forcés, la privation de liberté et la violence domestique sont « fréquents » dans les cas de mariages précoces dont les conséquences à long terme sont mal comprises.

Au Niger, des fillettes sont fréquemment mariées à l’âge de 13 ans, et certaines ont à peine neuf ou 10 ans le jour de leur mariage. Elles seront forcées d’avoir des rapports sexuels avant même leurs premières menstruations. C’est ce même pays qui a rejeté l’adoption, en 2006, d’un Code de la personne et de la famille – une législation nationale qui aurait défini la relation légale entre maris et femmes, et enfants et parents, et aurait fixé un âge minimum légal pour le mariage et les rapports sexuels. Le Code de la famille a été « diabolisé et abandonné » après que les principales associations islamistes s’y furent opposées, comme l’a indiqué Alice Kang, chercheuse à l’université du Wisconsin. Mais selon Mme Kang, les hommes ne seraient pas les seuls à devoir être convaincus de la nécessité d’un changement. « J’ai été […] surprise d’apprendre que certaines femmes s’étaient opposées au Code de la famille et qu’elles avaient manifesté publiquement pour y faire obstacle, et les experts juridiques avec qui je me suis entretenue ont insisté pour que j’étudie ce phénomène », a-t-elle noté.

Pour monsieur Diadié Boureima, représentant adjoint de l’UNFPA, au Niger, le gouvernement est « un peu réticent » à s’attaquer à la question des mariages précoces « en raison de la réaction religieuse ». Monsieur Boureima affirme que « s’il y avait une loi contre la pédophilie, elle serait appliquée, ici ». « Mais l’Islam a préféré légaliser [cette pratique] en déclarant que le prophète avait eu une épouse âgée de neuf ans, bien que ce mariage-là n’ait pas été consommé ».

L’histoire de l’indonésienne Heldina Irayanti

Cela faisait, en 2002, cinq ans que l’indonésienne Heldina Irayanti, aujourd’hui âgée de 28 ans, se droguait. Elle consommait des drogues injectables. Elle a fait tellement de séjours dans des cliniques de désintoxication qu’elle en a perdu le compte. Et c’est en 2002 qu’elle apprend sa séropositivité. Une fois remise de ses émotions, Heldina Irayanti décide de se révéler publiquement. Elle en parle à sa famille, ses amis et son fiancé de l’époque, Yulius Adam, aujourd’hui son mari, qui est lui aussi ex-consommateur de drogues injectables et séropositif, diagnostiqué avant elle. Mme Irayanti réalise qu’il lui faudra affronter, en tant que femme, musulmane et séropositive, beaucoup de préjugés. La discrimination a commencé dans sa propre famille. Selon madame Irayanti, les femmes musulmanes séropositives souffrent davantage de préjugés que les hommes dans la même situation. Ce que confirme Zahra-Tul Fatima, conseillère de l’AMAN Pakistan Foundation. Dans l’histoire de l’Islam, les femmes étaient des leaders, déclare Mme Zahra-Tul. « Aujourd’hui, il est difficile de trouver une femme qui interprète le Coran en raison de la domination masculine chez les dirigeants islamiques. Mais le Coran respecte les genres ».

Pour Hany El-Banna, président de l’IRW, c’est la frontière ténue entre la culture et la religion qui alimente ce système de « deux poids, deux mesures ». « Le Coran prêche l’égalité dans la récompense et le pardon des péchés », a-t-il dit. « La mentalité de la différence n’est pas correcte, mais dans certains pays, la culture est plus forte que la religion ». M. El-Banna a cité l’exemple des « crimes d’honneur » pratiqués dans certains pays du Moyen-Orient : une jeune femme qui entretient – ou qui est soupçonnée d’entretenir – des relations sexuelles avant le mariage est assassinée afin de préserver l’honneur de la famille. « Pourquoi ne tuent-ils pas aussi le garçon ? Il faut qu’il y ait un équilibre et une justice », a-t-il affirmé.

Selon Mme Lina Al-Homri, docteur en Sharia, la loi musulmane, à la Faculté de Dawa (enseignement musulman) à Damas, en Syrie, la prévention du VIH parmi les femmes musulmanes est directement liée aux droits de la femme, tels que le choix du mari, le droit de demander le divorce, de solliciter que son partenaire fasse le test de dépistage du VIH, de refuser les relations sexuelles avec son mari, d’exiger l’usage du préservatif et de se séparer d’un mari séropositif. « Il faut accorder aux femmes le droit qu’Allah leur a donné de s’éduquer et de s’exprimer ».

L’histoire de la zambienne Maria T

Selon des experts, il est particulièrement difficile pour les Zambiennes d’obtenir des conseils, de l’information ou d’effectuer des tests de dépistage « en raison du contrôle perçu ou réel qu’exercent les hommes [en particulier leurs compagnons] sur leurs vies ». Selon l’ONUSIDA, environ 1,6 million de personnes sont, en Zambie, séropositives sur une population de 11,7 millions, et 57 pour cent d’entre elles sont des femmes ; pourtant, seules 100 000 personnes reçoivent des médicaments antirétroviraux (ARV) par le biais du programme de traitement gratuit mis en place par le gouvernement.

Dans son rapport, intitulé Hidden In The Mealie Meal : Gender-Based Abuses and Women’s HIV Treatment in Zambia [Cachés dans la farine de maïs - Maltraitances sexistes et traitement du VIH chez les femmes de Zambie], le groupe de pression new-yorkais, l’association internationale de défense des droits humains Human Rights Watch, dit avoir découvert que de nombreuses femmes prenaient des médicaments antirétroviraux (ARV), susceptibles de prolonger leur espérance de vie, sans en informer leurs maris, et qu’elles étaient forcées de recourir à des moyens extrêmes pour cacher leurs médicaments. Maria T raconte : « Je ne veux pas dire à mon mari [mon statut sérologique] de peur qu’il me crie [après] et demande le divorce. Il me dit de vilains mots ». Et pour se protéger, Maria T. révèle : « Je cache les médicaments, je les mets dans une assiette et je verse de la farine de maïs [semoule de maïs], pour que quand il ôte le couvercle, il ne les trouve pas [les médicaments]. Quand je prends mes médicaments, je dois m’assurer qu’il est dehors. C’est pour cela que j’ai oublié de les prendre quatre fois depuis que j’ai commencé le traitement. L’année dernière, il m’a frappé à coups de poing dans le dos ».

Conformément à la loi coutumière en vigueur dans une majorité des 72 groupes ethniques zambiens, les femmes ont des droits de propriété limités par rapport aux hommes, et choisissent généralement de rester auprès d’un mari qui les maltraite de crainte de perdre leurs domiciles, leurs terres et le reste de leurs biens. « La violence domestique est indiscutablement un des principaux facteurs de la propagation du VIH/SIDA dans ce pays, et au cœur de ce problème, il y a la question du statut économique et de l’émancipation insuffisante des femmes », estime Elizabeth Mataka, envoyée spéciale des Nations Unies sur le VIH/SIDA en Afrique.

Selon Nelson Mwape, de la branche zambienne de la Young Women’s Christian Association [YWCA], sur les 874 victimes de violence domestique inscrites sur les registres de l’organisme depuis 2006, 427 ont été déclarées séropositives. « Dans environ 75 pour cent des cas, les femmes sont maltraitées par leur époux ou les membres de leur famille, c’est pourquoi nous disons qu’aujourd’hui plus aucun foyer n’est sans danger, ni pour les femmes, ni pour les enfants ». Les groupes de femmes ont accusé le gouvernement zambien de n’avoir pas pris assez de mesures en vue de garantir le respect du droit des femmes : aucune loi n’a été spécifiquement adoptée pour criminaliser la violence sexiste, et le code pénal n’aborde par les maltraitances et les viols conjugaux.

Pour madame Elizabeth Mataka, envoyée spéciale des Nations Unies, il n’y a pas trente-six solutions : « Le temps est venu de prendre des mesures concrètes, qui auront un impact direct sur la vie des femmes sur le terrain. Il n’y a pas mille façons de s’y prendre : nous devons tout simplement donner aux femmes de notre pays assez de ressources pour leur permettre de devenir indépendantes de tous ces hommes violents ».

Pour un complément d’information, une image valant mille mots, je vous recommande cette exposition de photographies de Stéphanie Sinclair qui nous raconte en images la vie de la petite afghane, Ghulam Haider, 11 ans. Madame Sinclair vient de remporter le premier prix de la photo de l’Unicef.

Ce sujet a été abordé sur le site des Questions et réponses de Yahoo.

Enfin, si votre coeur est solide, à lire : « Ventes aux enchères, location, cession. Face à la misère, des parents n’hésitent pas à brader leurs petits. Un véritable trafic s’installe, faisant rappeler les marchés d’esclaves d’antan », sur Al-Ahram Hebdo.

(Source : ONU - Bureau pour la coordination des affaires humanitaires)

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mardi 25 décembre 2007

Paix et sérénité vous accompagnent

Que ce moment de grâce

vous accompagne

en cette période exceptionnelle

lundi 24 décembre 2007

Le secret de Théodore

Théodore n’a pas l’âge de son prénom. À douze ans, il se demande qui a bien pu l’affubler d’un prénom pareil. Personne n’est là pour lui donner la réponse. Théodore a vécu une grande partie de sa vie, sinon la totalité, dans un orphelinat. S’en plaint-il ? Sûrement pas. Débrouillard, l’œil pétillant, le verbe haut, il commande. Il est écouté. À douze ans, Théodore est un chef. Gare à quiconque oserait se moquer de son prénom. Malgré ses airs bourrus, il n’y pas une once de méchanceté dans ce gamin haut comme trois pommes.

Théodore n’a pas eu la vie facile. Une caresse ? Une petite tape sur la joue pour lui rappeler qu’il a bien joué, bien étudié, bien agi, il ne connaît pas. Seuls les mots – bons ou mauvais – venaient de ses potes. Dans la collégialité ou dans l’adversité. Théodore est d’abord un gamin de bande. Sa famille est hétéroclite et obéit aux lois du milieu. Rapports de force obligent. Pas gavroche pour un sou, il est à la fois tendre – pas trop, en raison de son orgueil – et rude – être chef, cela s’assume. Dans ses contacts humains, Théodore préfère jouer les durs. Cela épate les filles et énerve les garçons. Il n’a d’autre choix que de se faire obéir. La jungle est ainsi faite. Le roi Lion domine et montre ses muscles.

Théodore ne partagerait en rien le secret qui commence à le hanter à cette époque-ci de l’année. Comme à chaque année. Il le garde enfoui en lui. Un chef a des secrets qu’il doit protéger. Surtout pour l’image. Surtout pour le prestige. Rien ne devrait venir compromettre cette image de petit adulte précoce qu’il s’est forgée. Que quiconque vienne à découvrir ce secret l’anéantirait – à ses yeux – ainsi que son monde de gamin adulte nanti de lourdes responsabilités.

19 heures approche. Théodore doit trouver le moyen de s’extirper du groupe. La belle Julia – qui n’a d’yeux que pour lui – le talonne pas à pas. « Vraiment, elle n’a que onze ans », se dit Théodore. « Faut pas exagérer ». Le secret se fait pressant. Il doit s’éloigner du groupe et de Julia. Quel motif pourrait-il invoquer pour justifier une absence sans être poursuivi par le groupe ? Prétexter un rendez-vous paraîtrait suspect. Avec qui ? Pourquoi ? Pourquoi y aller seul ? Cela pourrait être dangereux pour sa sécurité, non ? Trop de questions. Théodore n’aime pas les questions. Il n’a jamais aimé, en fait, les questions. Il faut dire que peu de personnes ne s’intéressaient à lui.

Théodore réunit le groupe. Autant prendre ses responsabilités de chef. Il informe gamines et gamins qu’il s’absente. Il ne veut voir personne le suivre. C’est un ordre. Il a des responsabilités pressantes auxquelles il ne peut se soustraire. S’est-il bien fait comprendre ? Chacun répond oui, avec une moue mêlée de dépit. Il répète son ordre. « Personne ne doit le suivre ». L’insistance de Théodore suscite davantage de curiosité et de méfiance. Que cache-t-il ? Après les instructions, la menace. Si Théodore aperçoit quiconque du groupe, il aura affaire à lui. Il sera impitoyable. L’affaire se corse. Le chef n’a jamais paru aussi sérieux. Et sa détermination est sans appel.

Le groupe se résigne à laisser partir le chef. Sans le suivre. Sans poser de questions. Il a donné ses instructions. Le groupe doit s’y soumettre. Bien sûr, sans le dire ouvertement, chacun s’interroge. Quel peut-être ce secret pour écarter ainsi les amis et la belle Julia ? Le groupe regarde partir Théodore qui se retourne et leur dit qu’il sera de retour dans moins de deux heures. Il leur recommande de l’attendre tout en étant patient. Tout cela est bien mystérieux.

Théodore quitte le groupe. Il se retourne à quelques reprises pour s’assurer de ne pas être suivi. Tout indique que les membres du groupe ont bien suivi ses instructions. Théodore hâte le pas. Il ne veut pas rater le rendez-vous qu’il s’est fixé. Le voici maintenant au centre d’un grand boulevard. Quelle foule. De grand qu’il était, Théodore se sent maintenant si petit parmi tous ces adultes au pas alerte. Il ne peut s’interdire d’être tout de même un peu craintif. Il réalise bien la limite de ses douze ans. Mais le but recherché de sa démarche est plus important que des craintes qu’il tient pour purs enfantillages. Il se ramène lui-même à l’ordre.

Théodore se retourne une dernière fois. Il approche du but. Il n’a pas été suivi. La voie est libre. Voilà l’édifice qu’il recherchait. Théodore se fraie un chemin. Théodore s’adapte au mouvement ondulatoire des adultes qui s’engouffrent dans ce prestigieux bâtiment, tout en hauteur, tout en largeur, scintillant de lumières, tonitruant de musiques de Noël. Théodore regarde une dernière fois, avant d’entrer dans cet univers surnaturel, les mille feux qui scintillent en façade. Il sait qu’il est très près du but. Il est face aux Galeries Lafayette. Ne lui reste plus maintenant qu’à se rapprocher davantage. Dernier regard circulaire. Théodore fait le saut.

Théodore entre. Que c’est beau. Que c’est lumineux. Ses yeux ne sont pas assez grands pour tout absorber. Pour tout enregistrer. Pour tout conserver. Ses oreilles sont trop petites pour tout entendre. Il se fait davantage petit. Davantage discret. Mal fringué pour frayer parmi ce grand monde, ce n’est pas le temps d’être repéré comme voyou. Il fonce vers son but. Son ultime but. Il se faufile. Lorsqu’il pointe, au loin, un quelconque garde de sécurité, il roucoule autour d’une vieille dame qui ploie sous une avalanche de sacs. Il sait faire puisque, toute sa vie, Théodore a dû franchir ou contourner les obstacles. Question de survie.

Théodore évite les ascenseurs. Il n’aime pas. Il préfère les escaliers. Qu’il attaque à grande vitesse. Aucune témérité cependant chez lui. Il doit rester prudent. Il n’est qu’un enfant et se sait plus vulnérable dans ce monde d’adultes. Il évite de croiser les regards des gamins de son âge qui le toisent comme un être étrange sorti d’on ne sait où. Ses fringues pourraient le trahir. Tout découle d’une stratégie longuement mise en apprentissage. L’art de se rendre invisible aux yeux des grands.

Il y est. Enfin. Théodore est parvenu à son but. Le royaume des jouets. Il ralentit le pas. Il souffle un peu. Ouvre davantage les yeux. Il se sent un être privilégié de pouvoir ainsi, comme les adultes, circuler dans ce merveilleux monde des jouets. Il retrouve son cœur d’enfant qui bat la chamade. Il s’interdit de manipuler les boîtes, lire les étiquettes, regarder de plus près les emballages. Qu’importe. Il circule maintenant dans le merveilleux Royaume des jouets. Que peut-il rêver de plus beau ?

Théodore, douze ans, est robuste. Il résiste aux envies de tout posséder. Il est conscient de ses limites. Si les poches sont vides, son cœur est immense et se remplit d’images et de rêves. Il n’ose manifester une préférence. Il faut tout voir. Il circule, les mains dans le dos – pour ne pas avoir la tentation de saisir une boîte ou un emballage – tel un philosophe, en silence, dans un monastère. Il regarde. Deux fois plutôt qu’une. Il évite les débordements de sentiments. Dans ce monde, il ne peut pas agir comme un autre enfant. Il le sait. Il garde son calme, reste froid, reste même étranger à toutes ces beautés auxquelles il n’aura jamais accès. Tout cela pourrait sembler cruel à un enfant de douze ans. Théodore ne s’en fait pas plus qu’il ne le faut. Déjà que tantôt, il lui faudra, en sortant du royaume des jouets, redevenir le petit adulte, le chef de groupe avec de bien lourdes responsabilités. Vaut mieux alors profiter de chaque instant pour faire le plein d’émotions contenues.

Théodore – pour quiconque l’observerait en retrait – apparaîtrait comme un fin renard. Il sait se mouvoir et développer, avec une maestria exceptionnelle, l’art de la dissimulation. Rien ne lui échappe au royaume des jouets mais il parvient à échapper aux tentations du royaume. Il se rend invisible. Il fait une courte halte. Un jouet a attiré – plus qu’à l’ordinaire – son attention. Un autre enfant de son âge aurait piaffé d’impatience pour posséder l’objet convoité. Théodore n’en a pas le droit. Il recule. Comme s’il avait vu un spectre surgir devant lui. Il ne veut en rien céder à son plan de match. Il doit tout voir. Un moment de faiblesse compromettrait sa présence dans le royaume. Et cela ne doit pas arriver à aucun prix.

Théodore n’a d’attention que pour les images qui se déroulent sous ses yeux. Il circule, comme dans un état second, parmi ces sons, ces odeurs, ces lutins et ces fées qui rendent encore plus attrayantes ces « belles tentations de la vie ». Extraordinairement, Théodore n’est pas envieux. Il se suffit de regarder. Il sent que cela lui est un privilège, mais pas un droit. Il doit consentir des efforts qu’aucun autre enfant ne soupçonnerait pour protéger ce privilège. Pourquoi serait-il envieux ? Lorsque sa visite sera terminée, dans la profondeur de ses rêves, il aura concrétisé son secret. Qu’il gardera pour lui. Qu’il refusera de partager. Non par égoïsme. Mais pour se garder un canton d’intimité ensoleillé qu’il revisitera, au cours des prochains mois, autant de fois que des nuages viendront obscurcir sa vie.

Théodore n’a plus la notion du temps. Trop préoccupé par le royaume. Mais comme toute chose a une fin, il est tiré de son rêve par des voix percutées ici et là dans le Royaume. « Dans quelques minutes, le magasin fermera ses portes. Veuillez vous diriger vers la porte de sortie ». Lentement, plus lentement que ne s’est faite l’entrée, Théodore se dirige à l’invitation vers la sortie. Est-il triste ? Non. Comment être triste lorsque la tête est pleine de beaux rêves. Soudain, Théodore se voit parachuté sur le grand boulevard.

Il doit maintenant retrouver la bande. Il aurait bien prolongé de quelques heures sa visite du Royaume. Tout a une fin. Théodore se secoue un peu, analyse la géographie des lieux, s’oriente, et se remet en marche. Et pour la première fois, Théodore ressent un picotement. Il repart les mains vides qu’il enfouit dans ses poches. Le froid, sans doute.

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dimanche 23 décembre 2007

Deux jours avant Noël

Son sourire édenté se fait malgré tout triste. Toute flamme, que distille la joie dans les yeux de l’homme, est disparue chez mon voisin. Son visage buriné suggère un long chemin parcouru. A travers chacune des rides de son front, de ses joues, de son cou, de ses mains transparaît l’âge de cet homme voûté. Un âge lourd d’événements insoupçonnés.

Lui et moi habitons une maison de chambres. Ces maisons où des locataires ont été expulsés pour faire place à la location de chambres aux dimensions d’un mouchoir de poche. Plus rentable. Le loyer grève environ 60 pour cent de notre allocation mensuelle. À défaut de ce toit, c’est la rue. Il convient donc de ne pas trop nous plaindre.

solitude_1061.jpgNos chambres sont contiguës. Mon voisin est un maniaque de la routine. Je sais cela car il faut bien comprendre que l’absence d’étanchéité de notre mur mitoyen ne nous épargne aucune promiscuité. Je vis chez lui. Il vit chez moi. Pourtant, nous ne nous connaissons pas. Tous les matins, à 7 heures pile, une voix se fait entendre chez mon voisin. C’est sa radio. Le son est particulièrement horrible. Pour deux raisons : le volume et l’enveloppe du bidule : tout de plastique. Le volume ? Mon voisin tend vers une surdité certaine.

Mais au fait, me suis-je déjà posé la question ? Quel âge peut-il bien avoir ? Suis-je moi-même plus vieux ? Si je me fie aux quelques indices de son physique, particulièrement ingrat, je dirais qu’il approche les soixante-dix ans. Ses cheveux secs jaunissent. Comme le bout de ses doigts, signe d’un ex-fumeur. Il ne fume plus. Depuis son retour d’hôpital, il a arrêté. Pour mon plus grand plaisir. Son petit séjour à l’hôpital, m’a fait réaliser à quel point je ne pouvais me passer de ses gestes routiniers. Aussi détestables, fussent-ils. L’ennui m’avait gagné et j’en étais désemparé. Je guettais le moindre son, le moindre signe, le moindre reflet de lumière sous la porte. Cette torture a duré une semaine.

Ce maniaque de la routine est, depuis presque un an, maintenant, une bouée de sauvetage qui me rappelle qu’il y a une terre, en bas, sur laquelle la vie existe. Mon raccordement au monde tient à cette radio matinale tonitruante, à ces bruits détestables, à ces manies de petit vieux. Les meubles qu’il déplace (pourquoi, au fait ?). Les pas qui martèlent le sol dès qu’il a chaussé ses souliers ressemelés tant ils étaient troués. Puis, l’odeur. Comme tous les matins. La même odeur. Odeur de café. Il est moderne, le p’tit vieux. Il sait faire son café tout seul. Ce qui n’est pas mon cas. Tous ses petits gestes, je les analyse, je les mémorise, je les inscris dans un petit cahier noirci. Par désennui, je les compare, ensuite, tous les jours. Est-il en retard un matin sur son horaire ? Je m’en inquiète. Ou je maugrée. Il bouscule ma vie. Il bouscule ma propre routine, collée sur la sienne.

D’aucuns pourraient me qualifier d’espionner mon voisin. Cela est en partie vrai. Je ne suis pas un voyeur. J’espionne la présence de mon voisin, plus que mon voisin lui-même. Je ne le vois pas mais j’imagine, un à un, les gestes qu’il pose dans sa chambre, de dimension égale à la mienne. Un mouchoir de poche, vous disais-je. Je l’entends ouvrir le pot de café. Je l’entends verser l’eau. Et j’entends l’eau bouillir jusqu’au sifflet qui avertit qu’il faut maintenant la verser dans la tasse. J’entends cette tasse sur laquelle mon voisin frappe avec une petite cuiller pour dissoudre le sucre. Ce rituel, je l’ai fait mien dans ma tête. Je ne répète pas les mêmes gestes puisque je suis incapable de me faire le moindre café. Ce n’est pas le but, par ailleurs. Et cela n’est pas dans ma nature.

Contrairement à mon voisin, je peux quitter ma chambre. À tous les jours. Pas trop longtemps. Suffisamment pour faire quelques emplettes et passer au petit resto du coin prendre mon café, que j’apporte aussitôt. Quitter ma chambre m’angoisse. Je n’ai plus la même résistance face au monde extérieur. Je vois mon voisin quitter sa chambre (j’entends, devrais-je dire) une fois par mois. Je m’en émeus chaque fois. Le jour où il reçoit le chèque de sa pension. Bien mince, comme le mien, me dis-je. Le même jour que moi. Lorsqu’il quitte, nous nous sommes si peu croisés, j’évite de sortir en même temps que lui. Par gêne. Par gêne de ne pas trop savoir quoi lui dire. Cela m’est arrivé deux ou trois fois de le croiser. J’ai baissé les yeux. Il est si vieux. Sans doute mon reflet.

Ce matin, il sort, lentement, très lentement, de sa chambre. J’écoute. Ce n’est pourtant pas son habitude. Contrairement à sa routine, ce matin il quitte sa chambre. Il bouscule également ma routine. j’étais pourtant prêt à me rendre au resto pour y prendre mon café. J’attends. J’écoute ses pas s’éloigner. Je devrai attendre son retour. Lorsqu’il quitte ainsi sa chambre, je suis paralysé. À la seule idée que nos regards puissent se croiser dans ce long corridor sale. Ne me posez pas la question. Je n’ai pas la réponse. Je ne sais pas pourquoi il me paralyse. Une heure. Une heure et demie. Je ne sais pas. Pendant ce délai d’attente, je me perds dans mes souvenirs. Mais je me ramène prestement à la réalité au moindre bruit, au moindre craquement du plancher.

Son absence creuse la mienne. La prolonge. Je m’absente alors du monde. Je suis suspendu. Tout n’est que silence. Il y a bien le deuxième ou le troisième voisin qui manifeste une présence. Qui m’indiffère. Pour l’un, c’est un toussotement de vieux fumeur empoisonné. Pour l’autre, ce sont des raclements de gorge que je me passerais volontiers d’entendre. Au-dessus de moi, parfois, c’est un bruit assourdissant d’un objet lourd qu’on laisse tomber au sol. Mais tout cela n’est que banalité à laquelle je n’apporte que peu d’attention. Seul mon voisin est au centre de ma vie. Je n’attends que son retour. Pour sortir à mon tour.

Je ne vous ai pas dit l’essentiel. Par ma fenêtre, je peux voir des lumières multicolores. Je connais bien ces lumières. Elles me ramènent – comme un rituel – aux fêtes de Noël. Et puis la radio de mon voisin est là également pour me le dire et me le redire. Brutalement. Avec des airs maintes fois rejoués. Diable. Pardon. Quelle date sommes-nous donc aujourd’hui ? Si mon voisin peut revenir, je demanderai la date à la petite qui sert au resto du coin. Quel sourire. Je crois bien que nous sommes très près de Noël.

Mais que fait le voisin ? Vieux schnock. Il ne revient toujours pas. Bon. Je devrais bien me résoudre à sortir. À ne plus me rendre tributaire de ce vieux fou. Je me fâche. Il devrait comprendre que je veux sortir, moi aussi. Je sens l’inquiétude monter en moi. Je ne veux surtout pas céder à la panique. Je ne le connais pas ce vieux fou, après tout. Pourquoi me mettre dans de tels états ? Pourquoi me fait-il un coup pareil ? Lui est-il arrivé un incident fâcheux ? Je marche un peu dans ma chambre. Deux pas par çi. Deux pas par là. Mes mains sont moites. Mon front est humide. Aucun signe religieux dans ma chambre. Il y a longtemps que je ne crois plus à ces balivernes. Mais si, pour une fois, je Lui demandais de me ramener mon voisin ? Pour une seule fois. Je ne trahirais pas mes convictions, tout de même. Je sais bien qu’un jour, il partira. Ou que je partirai avant lui. Saura-t-il seulement que je l’ai précédé ? Cette dernière hypothèse m’attriste un peu.

Quelle heure est-il ? Aucune idée. Qu’est-ce qui m’est passé par la tête en voulant éliminer ainsi tout ce qui ressemble à un cadran, une horloge ou un indicateur du temps ? Encore une de mes crises de vieux cinglé. Je voulais, avant l’arrivée de mon voisin, me suspendre du présent pour ne plus penser à l’avenir. Il n’y avait rien qui pouvait me rattacher à un quelconque intérêt pour l’avenir. Encore moins pour le présent. La solitude n’est ni présent ni avenir. Seul le passé devient réalité. Ni radio ni télé pour contrevenir à cette idée fixe. Oui je suis un vieux cinglé, vous dis-je.

J’ai soudain un sentiment de profonde angoisse. Le poids des ans ne s’est jamais aussi lourdement fait sentir. Aucun bruit ne me vient de chez mon voisin. Il n’est pas de retour. Y a-t-il encore une quelconque trace de colère en moi ? Non. Je suis écrasé. Anéanti. Les idées noires s’entrechoquent avec les reflets des rayons multicolores qui traversent le store de ma fenêtre. Il me semble même que mon œil ne titille plus au clignotement de ces petits éclairs si vifs qui traversent ma fenêtre. Fait-il jour ou sommes-nous la nuit ? J’ai pourtant bien entendu sa radio à 7 heures. Je l’ai bien entendu sortir. Je m’étends sur mon lit. Idée de m’assoupir un peu. Idée de faire baisser la tension artérielle qui bat la chamade. Le sommeil sera lent à venir. L’oreille est trop aux aguets.

Le temps passe. Je suis inquiet. Pour mon voisin ou pour moi ? Je survis. Tant bien que mal. Je m’éveille en sursaut. Le soir est tombé. Je le vois bien en jetant un œil à ma fenêtre. Je déteste me sentir ainsi perdu lorsque j’ai le malheur de m’assoupir en plein jour. Je perds la carte. Soudain, un bruit. Quelle heure est-il ? Qu’importe. Un meuble qu’on déplace. Cela vient de chez mon voisin. Serait-il de retour ? Mon cœur bat à tout rompre. Je n’ai senti que rarement cette appréhension que je qualifierais volontiers de ridicule. Je n’y peux rien. Pourrait-il m’envoyer un petit signe familier pour me rassurer ? Un toussotement serait pour une fois bienvenu. Que lui importe mes états d’âme, après tout ?

Le silence s’est réinstallé. Lourd et indésirable. Pour une fois. In-dé-si-ra-ble, que je me répète. Un toussotement. Ce toussotement qui m’est si familier. Je le reconnaîtrais entre mille. Je ne rêve pas. Je viens de l’entendre. Discret, mais réel. Il est bien là. Il est revenu. Mon vieux, pourquoi tu m’as fait une peur pareille ? Je suis fâché contre toi mais je te pardonne volontiers. Je laisse couler, bien malgré moi, une larme. Ainsi va la vie. Je m’assoupis dans cette chambre grande comme un mouchoir de poche. Deux jours avant Noël.

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vendredi 21 décembre 2007

Les Marocains se définissent d’abord comme musulmans

Nabil Tawssi écrit, sur le Portail marocain d’actualités, Marrakech : « Ces dernières années, la presse marocaine a relativement haussé le rideau sur des scandales aux multiples facettes financières, mœurs, injustices, sociales et divers abus de pouvoirs en détournements des fonds privés ou étatiques ». […] Et Tawssi de poursuivre : « Posez autant que vous voulez des questions on ne vous vend que des crimes et de sexe pas plus, ne serait que pour adoucir les mœurs et attiser les envies des démunis en sentiments ». Le magazine Tel Quel vient de faire exception en interrogeant directement et en profondeur les marocains et en apportant des réponses.

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Au Maroc, un sondage a été mené, au début du mois de décembre, par Tel Quel pour répondre à la question suivante : « Quels musulmans sommes-nous ? » Quel est l’intérêt de ce sondage ? D’abord son exercice. Il a le mérite de consulter une population qui n’est pas toujours libre d’exprimer pleinement son opinion. Ensuite d’en connaître les résultats pour mieux cerner une partie de la communauté musulmane du monde. Comme l’indique avec à-propos Tel Quel dans sa courte présentation : « La vérité des chiffres, largement inédite, offre une nouvelle lecture de nos mœurs, nos jugements et nos traditions. Le détail anecdotique (combien parmi nous ont un exemplaire du Coran et combien l’ont appris par cœur), les réflexes de culture (combien approuvent la mixité dans les écoles, les plages, etc.), les opinions bien arrêtées (combien admettent l’ingérence de la religion en politique), les questions de société (voile, jeûne), les sujets d’actualité (combien sommes-nous à sympathiser avec le jihad, à appeler au takfir, à approuver encore la polygamie), etc. »

Q 1. - Le Coran à la maison

Un peu moins de 60 pour cent (58,9%) des personnes sondées avouent qu’elles ne lisent pas le Coran à tous les jours contre 28,1% qui avouent le lire de temps à autre. 82% des personnes sondées ont révélé ne mémoriser que quelques sourates contre 1,4 % qui ont mémorisé la totalité du Coran et 5,6 % qui en ont mémorisé quelques ahzab. Le taux de ceux qui n’ont rien mémorisé du Coran est de 6,8% des personnes scolarisées contre 22,9% de non scolarisées chez les 18-24 ans, alors que chez les 60 ans et plus, le taux de non-mémorisation est de 16,7% chez les personnes non scolarisées contre 0% chez les scolarisées d’entre elles.

Q 2. - La pratique du jeûne

59,9% des personnes sondées désavouent comme musulman quiconque ne fait pas le jeûne contre 27,9% qui pensent le contraire. 44,1% considère qu’une personne qui ne pratique pas le jeûne doit être punie jusqu’à ce qu’elle reprenne le droit chemin, 40,8% croient qu’il s’agit d’une question privée et qu’on est libre de ne pas jeûner et 14,2% en viennent à penser qu’il faut jeûner par conformisme. Par ailleurs, 82,7% des personnes sondées se disent en désaccord pour que les cafés et les restaurants restent ouverts, le jour, pendant le mois de ramadan, pour les musulmans qui ne pratiquent pas le jeûne. S’agissant de leur ouverture pour des non musulmans, le taux des “non tolérants” baisse (41,7%).

(…) Le rapport particulier au jeûne du ramadan transparaît à propos du degré de tolérance envers sa propre progéniture. Si moins de 1% des femmes consentiraient à préparer le repas à leurs enfants non jeûneurs et seulement 11% accepteraient qu’ils le préparent eux-mêmes à la maison pendant le mois de ramadan, 70% d’entre elles refusent toute idée de complicité active ou passive avec leurs propres enfants.

Q 3. - La mixité des plages

La mixité est approuvée par 50,7% des répondants lors des mariages alors que 40,9% la rejettent. Dans la pratique, 67,1% des répondants assistent à des cérémonies mixtes. On peut parler, à cet égard, d’un léger décalage entre l’idéal - la séparation des sexes - et le comportement qui serait davantage orienté par des contraintes sociales et familiales. La plage, espace où le corps, notamment celui de la femme, poserait problème, constitue un lieu où la mixité acquiert un sens particulier. 57,4% des répondants désapprouvent la mixité sur les plages. Par ailleurs, la mixité à l’école est largement approuvée (77,2%). L’attitude à l’égard de la mixité n’est pas absolue et elle varie selon les lieux et les contextes.

Q 4. - La télévision, première source d’information religieuse

Pour 34,5% des personnes sondées, l’avènement de la télévision constitue maintenant la source première de l’information religieuse. Parmi ces dernières, 61,2% citent des chaînes arabes orientales spécialisées en matière religieuse, 47% des chaînes marocaines, et 24,1% des chaînes arabes orientales généralistes. Pour les plus traditionnalistes, 24,7% puisent encore la principale source en matière religieuse des imams dans les mosquées et pour 5,8% des prédicateurs. Les autres nouveaux supports, comme la cassette audio (11,9%), le DVD (6,1%) et l’Internet (1,7%), sont peu utilisés.

Q 5. - Le port du voile

83,2% des personnes sondées approuvent le port du hijab dont 64,9% pour des raisons religieuses et 17,2% pour des raisons non religieuses (pudeur, respect). Approuver le port du hijab est une chose, mais en faire une obligation pour la femme musulmane en est une autre. En effet, 75% des répondants trouvent qu’une femme peut être considérée comme musulmane sans porter le hijab, alors que 9,9% pensent le contraire.

Q 6. - La religion et la politique

À la question : « A votre avis, la religion doit-elle guider la vie personnelle seulement ou la vie politique aussi », 26,3% des personnes sondées ont répondu que la religion doit être limitée à la vie personnelle alors que 28,9% croient qu’elle doit guider la vie politique. Point à remarquer, 44,8% ont répondu ne pas savoir quelle position prendre. Sur le rapport entre la religion et la politique, une portion de 24,9% trouve que la religion devient dangereuse quand elle se mêle de politique et 26,1% pensent le contraire. Dans ce cas aussi, 48,8% des répondants se disent sans opinion.

41,5% pensent que les hommes politiques ne doivent pas se mêler de la religion et 18,1% pensent le contraire. 35,4% pensent que les spécialistes du religieux (oulémas, prédicateurs…) ne doivent pas traiter de politique et 25,2% pensent le contraire. Concernant particulièrement le prêche du vendredi, 33,4% pensent qu’il doit éviter les questions politiques alors que 32% pensent le contraire. Lorsqu’il s’agit de partis politiques qui se présentent comme religieux : 47,6% sont contre ce type de parti politique, 10,3% y sont favorables et 39,6% n’ont pas d’opinions.

Q 7. - Interaction entre juifs marocains et musulmans marocains

Récemment, les pèlerinages de Marocains juifs de la diaspora (résidant en Europe, au Canada, aux USA et en Israël) ont donné une nouvelle impulsion aux fêtes célébrées en l’honneur de saints juifs. 40,0% des personnes sondées sont au courant de l’existence de ce type de sanctuaires. La question d’interdire les cultes juifs ne se pose pas, la tolérance est plus facile à afficher lorsque chacun prie dans son sanctuaire. Dans le cas des cultes interconfessionnels, 41,6% pensent qu’il faut les interdire et 19,2% pensent qu’il faut les maintenir. 45,6% des répondants n’approuvent pas que des chaînes de télévision marocaines retransmettent ces cérémonies et fêtes alors qu’ils sont 24,1% à l’approuver. 40% au moins des répondants désapprouvent toute interaction entre juifs marocains et musulmans marocains, ceux-ci ne doivent partager ni un sanctuaire, ni un rituel, ni le petit écran. Chacun devrait pratiquer séparément sa religion et ses coutumes.

Q 8. - La polygamie

Plus les personnes avancent en âge, plus le taux de celles d’entre elles qui sont favorables à la polygamie augmente. En effet, 44 % des personnes sondées (36,9% chez la tranche d’âge 18-24 ans et de 60% chez les 60 ans et plus) se disent en faveur de la polygamie. L’opinion favorable à la polygamie se trouve également plus confirmée chez les catégories scolarisées de la population que chez les catégories non scolarisées : 38,1% de scolarisés contre 32,9% de non scolarisés chez les 18-24 ans, 70,3% de scolarisés contre 56,5% de non scolarisés chez les 60 ans et plus.

Q 9. - Les mouvements « jihadistes »

À la question : « Êtes-vous d’accord ou non avec les mouvements « jihadistes », 17,6% de la population répondent par « oui », 28,9% par « non », 32,2% par « ne sait pas » et 20,8% sont sans opinion. Plus on est jeune, plus on est d’accord avec les mouvements jihadistes. Ainsi sont d’accord ces 21,8% des 18-24 ans contre 9,7% des 60 ans et plus. Plus on descend dans la hiérarchie des âges et plus ce désaccord s’amplifie : 31,4% chez les 18-24 ans contre 20% chez les 60 ans et plus.

Q 10. - Musulman afghan, chrétien palestinien ou juif marocain ?

Sur la question de « désigner, sur la base d’un critère religieux, la personne la plus proche de soi : un musulman afghan un chrétien palestinien ou un juif marocain », 66,3% des Marocains se considèrent plus proches d’un musulman afghan que d’un juif marocain (12,9%) ou d’un chrétien palestinien (6,3%). Les plus âgés d’entre eux sont les plus catégoriques à cet égard : 82,1% des 60 ans et plus s’identifient à un musulman afghan, 6,9% à un juif marocain et seulement 2,1% à un chrétien palestinien contre successivement 52,9%, 16,7% et 12,3% chez les 18-24 ans. Les plus jeunes se déclarent proches d’un juif marocain dans une proportion plus élevée que les générations plus âgées.

Q 11. - La contraception et l’avortement

Les femmes sont à 89% pour la contraception, soit dix points de plus que les hommes. Sur les 11% (des femmes) qui y sont opposées, 71% le sont pour des raisons religieuses et 25% pour des raisons de santé. Lorsqu’il s’agit de l’IVG (interruption volontaire de la grossesse ou avortement), 94% des femmes y sont opposées, presque autant que les hommes. 87% des femmes y sont opposées uniquement pour des raisons religieuses et 7% associent dans la même réponse questions de santé et questions de religion.

Q 12. - Le crédit bancaire

Ils sont 45% de la population sondée à envisager de contracter un crédit bancaire avec intérêt, en cas de besoin, 37,5% d’entre eux rejettent l’idée de le contracter et 22% qui ne savent pas quoi faire. Mais le rejet du crédit bancaire n’a pas que des raisons religieuses. Bien au contraire, l’argument religieux n’apparaît que chez une minorité de ceux qui n’envisagent pas de prendre de crédit bancaire lorsqu’ils ont besoin d’argent. 65,8% des personnes sondées avancent des raisons non religieuses à leur rejet du crédit bancaire contre seulement 32,6% qui évoquent une raison religieuse.

Q 13. - Présence des imams femmes

84,5% des femmes sondées sont contre une telle pratique, presque autant que les hommes ! 80% des femmes ont par ailleurs une opinion sur le costume islamique masculin, 50% d’entre elles pensent que les hommes n’ont pas d’obligation dans ce domaine. Elles sont 91% à avoir une opinion sur le costume dit autorisé pour les femmes et 63% d’entre elles à penser qu’il est obligatoire, un peu moins que les hommes qui partagent le même avis à hauteur de 69%. Sur la question du hijab, toutes les femmes interrogées se sont prononcées : elles sont 84% à penser qu’il est souhaitable de le mettre et 8% à se déclarer opposées à son port.

Q 14. - Dans l’islam, il y a solution à tout

La majorité des Marocains considère la religion musulmane comme une religion supérieure, valable en tout temps et en tout lieu. Les musulmans, qu’ils soient théologiens ou adeptes, ont toujours donné cette définition à l’islam. 66% des personnes sondées pensent que, dans l’islam, il y a solution à tout, contre seulement 5,8% qui pensent le contraire, alors que 20,9% des sondées déclarent ne pas savoir et 6,9% n’ont pas d’opinion. « S’il y a dans l’islam une solution à tout, cela se retrouverait dans quel domaine ? » La réponse est : 99,3% pour les relations sociales (mou’amalât), 95,7% pour la santé et la médecine, 91,7% pour l’économie, 88% pour la politique et 77,7% pour la technologie.

Q 15. - Musulmans, ensuite Marocains, arabes, etc.

La majorité des Marocains se définissent d’abord comme musulmans, puis comme Marocains. Les identités arabe, berbère et africaine viennent successivement en troisième, quatrième et cinquième positions. L’identité musulmane est placée au premier rang par 66,9% des 60 ans et plus et par seulement 49,8% chez les 18-24ans. 15,7% de cette dernière population l’ont même classée en troisième position comme l’ont fait 6,9% des 60 ans et plus. En revanche, l’identité marocaine est classée au premier rang par 32,1% des 18-24 et par 22,1% des 60 ans et plus. L’identité arabe est placée en tête des identités par 7,8% de la population des 18-24 ans et, fait très frappant, par 0,7% des 60 ans et plus. Au final, l’identité musulmane est très affirmée par les vieux comme par les jeunes

Ce sondage inquiète la rédaction du journal Tel Quel. Karim Boukhari et Youssef Mahla notent : « Certaines vérités méritent d’être isolées et traitées à part, sans tarder, parce qu’elles se suffisent à elles-mêmes. A la question, par exemple, de savoir quelles sont, dans l’ordre, les trois qualités principales de l’homme politique, les “répondants” ont classé l’honnêteté en tête (46,1%), ensuite la piété (37%) et enfin l’efficacité (14,4%). Voilà au moins qui va plus loin que le vague sentiment que l’on n’est pas tout à fait ancrés dans des valeurs de travail et de rendement. Une autre vérité, déjà effleurée, est ici confortée : notre identité musulmane prime sur la marocaine. C’est que la nation, socle indispensable de la construction de la modernité, a encore du chemin à parcourir avant de devenir la première de la classe. Par ailleurs, L’islam au quotidien nous rappelle combien le recensement de certaines hétérodoxies religieuses reste illusoire : combien de Marocains n’observent pas le jeûne pendant le ramadan ? Combien ne croient pas en Dieu ? Ces questions demeurent insondables, parce que criminalisées par la loi ou, sont simplement prisonnières du tabou mental et culturel. Que toutes ces angoisses ne nous fassent pas perdre de vue l’essentiel : une société qui diagnostique (de plus en plus) ses retards se donne une chance de les combler ».

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jeudi 20 décembre 2007

Mike Huckabee veut « reconquérir les États-Unis au nom du Christ »

Il n’y a pas de cadavre, dans un placard, qui ne finit par sortir au grand jour. Se présenter en politique, c’est un peu jouer à la roulette russe. Vous ne savez jamais s’il y a une balle de cachée dans le barillet. Et les vieux fantômes réapparaissent toujours au moment où on s’y attend le moins. Plus les sondages vous donnent « favori », plus la presse s’abat sur vous et fouille vos entrailles.

Mike Huckabee est né le 24 août 1955 dans l’Arkansas, dans une ville au nom prédestiné de Hope (Espoir). Il est donc originaire du même patelin que Bill Clinton. Il a partagé les bancs d’école avec le grand Bill et, comme lui, il a fini par devenir gouverneur de l’État. Ultra conservateur, Mike Huckabee, quasi inconnu, il y a encore quelques semaines, « n’est plus un candidat de seconde zone », estime Susan Pinkus, directrice des sondages du Los Angeles Times. Le point fort de Mike Huckabee, c’est la faiblesse de l’actuelle offre des autres candidats. Son programme tient en trois mots : « famille, foi et liberté ». Huckabee est pasteur de l’Église baptiste du Sud, la plus importante dénomination protestante aux États-Unis.

Dans l’Iowa, plus de 40 % des électeurs républicains de l’Iowa proclament leur foi évangélique. L’Amérique de Mike Huckabee est donc une Amérique avec des valeurs traditionnelles, le retour à la loi et à l’ordre. Il dit vouloir « reconquérir la nation au nom du Christ ». Il tente d’incarner le retour à une autorité rassurante dans un monde où tout bouge. Il rejette la théorie darwinienne de l’évolution, croit à l’Apocalypse, et à la vérité littérale de la Bible. Il ne veut pas entendre parler de recherches en laboratoire sur les cellules souches, ni d’un empiétement de l’État dans un système d’assurance santé pourtant à l’agonie.

Opposé à l’avortement et au mariage des couples homosexuels, en faveur du port des armes et de la peine de mort, il sait montrer de la compassion sur des sujets comme l’immigration : « Nous ne sommes pas un pays qui devrait punir les enfants à cause de ce que font leurs parents » a-t-il dit récemment lors d’un débat télévisé. Lorsqu’il était gouverneur, Huckabee avait lancé un programme d’aide en faveur des enfants défavorisés. Il n’hésite surtout pas à se réclamer de l’héritage de Ronald Reagan. En référer à Reagan revient comme un leitmotiv dans chacun de ses discours.

Mike Huckabee s’exprime dans une langue populaire, simple, contre l’immoralité. Orateur remarquable, il est doté d’un humour et d’un charme, dont l’affabilité toujours souriante désarme ses adversaires. Huckabee fait merveille en se façonnant une image « d’Américain comme les autres », guidé par le bon sens et l’humilité. Huckabee est par ailleurs bassiste dans un groupe de rock dénommé « Capitol Offense ». « J’ai toujours eu besoin d’une guitare lourde pour me garder dans le rythme », avouera-t-il à la presse people. Il est très proche de Keith Richards, le célèbre Rolling Stone. « Il est difficile de ne pas aimer Mike Huckabee », avouait Newsweek le mois dernier. Ancien Gouverneur de l’Arkansas, Time Magazine l’avait désigné, en 2005, comme l’un des cinq (5) meilleurs Gouverneurs.

Mitt Romney voudrait bien surmonter son handicap : il est mormon, membre d’une église que bon nombre d’évangéliques considèrent comme une secte sans rapport avec la tradition chrétienne. Aux yeux d’une bonne part de ces évangéliques, il est quasiment l’incarnation du démon. « Les mormons ne croient-ils pas que Jésus et le diable sont frères ? », s’interrogeait Huckabee dans un long portrait que lui consacrait le week-end dernier, le magazine du New York Times. Mike Huckabee s’est par la suite excusé pour cette remarque, soutenant qu’il n’était pas dans ses intentions de fonder sa campagne sur une guerre de religions.

Mike Huckabee est donc devenu une coqueluche. Au point d’éclipser, chez les républicains, l’ancien maire de New York, Rudy Giuliani, et son grand rival, Mitt Romney. Il est maintenant en tête dans l’État baromètre de l’Iowa (centre), ce qui chamboulerait complètement le camp républicain. Une victoire de Mike Huckabee, dans l’Iowa, « ajouterait à la confusion dans une course déjà confuse pour la nomination du parti républicain », commentait un analyste de l’institut de sondage Rasmussen. Il connaît une ascension fulgurante et domine désormais, avec 35 % d’intentions de vote chez les républicains contre 21 % pour Romney. Dans les sondages nationaux, comme celui que vient de publier le New York Times, Huckabee (21 %) talonne Giuliani (22 %) et a dépassé Romney (16 %).

Pour cette raison, les faits et gestes du candidat favori sont passés au crible. Dans un article publié dans la revue Foreign affairs, Mike Huckabee a écrit que « la mentalité de bunker arrogante de l’administration Bush a été contreproductive aux États-Unis comme à l’étranger ». Il a appelé à un changement « de ton et d’attitude » en politique étrangère pour privilégier plutôt « l’ouverture ». Son principal rival, Mitt Romney, a aussitôt saisi l’occasion pour dénoncer Huckabee : « C’est une insulte au président et Mike Huckabee devrait s’excuser auprès du président ». Et, de poursuivre Mitt Romney : « Je crois qu’il se présente dans le mauvais parti. La vérité est que le président (Bush) a garanti notre sécurité pendant six ans ».

Deuxième attaque de Mitt Romney : « Je crois que Mike espérait de toutes ses forces (…) que les gens ne feraient pas trop attention à ses positions et à son bilan, mais son bilan, sur l’immigration, les grâces qu’il a accordées à des criminels, les réductions de peines accordées à des trafiquants de drogue, les impôts et le budget (de l’Arkansas) - je crois que tout ça va faire changer les sondages ».

Murray Waas, journaliste d’enquête, a révélé que Mike Huckabee, du temps où il était gouverneur, est intervenu pour que Wayne Dumond, un violeur en série condamné à perpétuité, soit libéré. Libéré en 1999, le violeur en question allait récidiver en tuant une autre femme dans le Missouri, un an plus tard. Huckabee aurait cédé aux pressions de chrétiens et de médias de droite qui estimaient injuste la condamnation de Dumond en 1985 pour le viol de cette jeune fille de 17 ans. Ils voyaient dans cette condamnation une machination politique. La jeune fille se trouvait à être une cousine lointaine de Bill Clinton. Certains affirment que Huckabee estimait que le lien entre Clinton et la victime avait eu un impact sur le verdict.

En 1992, dans un questionnaire soumis par l’agence Associated Press, Huckabee s’est déclaré pour la mise en quarantaine des malades du SIDA : « si le gouvernement fédéral est disposé à faire quelque chose de sérieux contre la propagation du virus du SIDA, il faudrait alors isoler les malades » avait-il écrit.

Le quotidien Le Monde fait mention d’une autre histoire croustillante : « Une paire de boutons de manchette à 1 000 dollars (688,5 euros), des bottes de cow-boy à plus de 3 600 dollars (plus de 2 400 euros), une ceinture à 500 dollars (344,3 euros) : voici quelques-uns des cadeaux que Mike Huckabee, un des candidats favoris à l’investiture républicaine pour la présidentielle nord-américaine de 2008, a reçu durant ses dix années à la tête de l’État d’Arkansas ». Selon une enquête du quotidien britannique The Guardian, publiée le vendredi 14 décembre dernier, cet ancien pasteur baptiste recevait chaque année plusieurs milliers de dollars en cadeaux en tant que gouverneur de l’Arkansas.

« La pratique des cadeaux est conforme aux règles d’éthique de l’Arkansas », précise The Guardian, mais elle soulève de nombreuses questions, d’autant plus que depuis qu’il est entré dans la course à l’investiture républicaine, Mike Huckabee n’a cessé de vanter son passé de pasteur baptiste humble et intègre. Quand Mike Huckabee a pris ses fonctions de gouverneur de l’Arkansas en 1996, ses bureaux et ceux de son cabinet ont été entièrement remeublés grâce aux largesses de Jennings Osborne, riche homme d’affaires de Little Rock, la capitale de l’Arkansas, qui a construit sa fortune grâce au marché florissant des tests médicaux. Dans les années suivantes, l’homme d’affaires a régulièrement offert des arrangements floraux à l’équipe de Huckabee, des chèques cadeaux dans des grands magasins et des boutiques d’habillement, des cravates, des billets d’avion… En tout, Jennings Osborne aurait offert plus de 20 000 dollars de vêtements au candidat à l’investiture républicaine et dépensé 7 500 dollars pour une soirée organisée par Mike Huckabee pour son cabinet et ses services de sécurité.

Mike Huckabee parviendra-t-il, malgré ces quelques frasques, à retrouver la confiance des Américains envers leur gouvernement ? Un sondage effectué par le groupe de médias CBS News / New York Times et publié le 10 décembre dernier démontre que 71 % des Américains sont de l’avis que leur pays s’engage actuellement sur une mauvaise voie. Les cotes de confiance relatives au président et au Congrès américains restent très basses, et selon les données relevées, une majorité croissante d’Américains ont l’impression que l’économie du pays faiblit. Les électeurs « souhaitent désespérément un changement », affirme le politologue Chuck Todd, directeur du Service des actualités politiques de la chaîne de télévision National Broadcasting System (NBC).

Selon M. Todd, lorsque les Américains se déclarent désireux d’un changement, ils se réfèrent généralement au comportement du président, à son style de gouvernance. Ils ne souhaitent pas forcément que la politique des États-Unis soit radicalement transformée. Le sondage du groupe CBS News / New York Times indique de plus que les républicains préfèrent un candidat chevronné à un candidat sans idées. Cependant, « un grand nombre de républicains désirent voir le pays changer de direction », explique M. Todd. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles Mike Huckabee, relativement inconnu à l’échelle nationale et pourtant considéré comme un perdant probable, il a deux mois seulement, figure aujourd’hui parmi les candidats républicains les plus favorisés. Huckabee s’est forgé l’identité du candidat « anti-Washington », a noté le politologue. « Lorsque l’on compare les candidats du parti républicain, le seul à pouvoir même frôler cette image de novateur aux yeux des électeurs est Mike Huckabee ».

Une première vidéo : Chuck Norris se rallie au candidat Huckabee


Une deuxième vidéo : Mike Huckabee est déjà victime d’un faux spot commercial. Les coups bas vont pleuvoir dans les derniers jours avant les premières primaires.

mercredi 19 décembre 2007

« Depuis l’été, tout ce qui rend visible la crise du logement est éradiqué » (Jean-Baptiste Eyraud)

En novembre dernier, un sondage BVA, pour l’association Emmaüs, en partenariat avec « L’Humanité » et « La Vie », révélait que près de 47% des Français croient « possible » qu’ils deviennent sans-abri un jour. Selon un sondage parallèle, mené par Emmaüs auprès des SDF, 49% des sans-abri estiment que la situation n’a pas changée pour eux, contre 26% à penser qu’ils sont mieux pris en charge, et 11%, moins bien. En ce qui concerne les hébergements de nuit, 29% des SDF affirment avoir eu fréquemment (et 13% rarement) des difficultés à en trouver un, tandis que 36% n’ont pas cherché d’hébergement dernièrement.

Depuis l’Abbé Pierre, note Fabrice Rousselot, de Libération : « la France, pourtant, semble répondre à la « crise » des sans-abri comme on répond à une catastrophe naturelle. Et colmate les brèches, au gré des rigueurs de l’hiver ». La France compterait environ 100 000 sans-abri. Elle se comporte comme si elle voulait les dissimuler aux yeux du monde entier. « Depuis l’été, tout ce qui rend visible la crise du logement est éradiqué : tentes, habitations précaires et bidonvilles », constate Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au logement. Est-ce la honte ou la gêne qui guide les actions du gouvernement à l’égard de ses sans-abri ? L’association « Les enfants de Don Quichotte », l’association d’aide aux sans-abri, a, samedi dernier, tenté d’installer 250 tentes au pied de Notre-Dame, en plein centre de Paris. En moins d’une heure, la police a délogé les manifestants et confisqué les abris.

La ministre du Logement et de la Ville, Christine Boutin, a mail à partir avec les associations des sans-abri. Une guerre de chiffres. La ministre soutient que les places d’hébergement d’urgence sont en nombre suffisant mais convient du même coup que seulement la moitié des places de stabilisation prévues ont été mises en œuvre. Christine Boutin doit aujourd’hui expliquer pourquoi il n’y a pas assez d’hébergements pour les SDF. La ministre a montré, contre toute attente, qu’elle pouvait être rancunière envers quiconque la décrédibilise aux yeux de l’opinion publique : « Je veux saluer les associations qui font un travail au quotidien, à la différence des Don Quichotte qui, eux, ne sont pas chaque jour à suivre les personnes qui sont en difficulté ».

Comme si cela n’était pas suffisant, une tuile – dont elle se serait bien passée – lui tombe sur la tête. Son directeur de cabinet loue un appartement à loyer modéré appartenant à la RIVP (Régie immobilière de la ville de Paris) depuis 1981, a-t-on indiqué au ministère du Logement confirmant une information du Canard Enchaîné. M. Bolufer, préfet hors cadre, bénéficie d’un appartement de 190m2 dans le quartier de Port-Royal (Vème arrondissement), avec vue sur la chapelle du Val-de-Grâce, au prix de 6,30 euros le m2. Les prix du secteur, remarque l’hebdomadaire satirique, se situe généralement dans le parc privé entre 20 et 30 euros le m2. M. Bolufer se serait vu attribuer ce logement en 1981 quand il était directeur adjoint du cabinet de Jacques Chirac, alors maire de Paris.

Trois jours après le nouveau coup d’éclat des Enfants de Don Quichotte, François Fillon est intervenu pour désamorcer un conflit naissant en conviant à Matignon huit associations, dont les « Don Quichotte ». François Fillion affirme que : « la polémique sur les chiffres » entre Christine Boutin et les Enfants de Don Quichotte était close, concédant qu’une part des places d’hébergement actuellement disponibles - notamment celles dégagées dans des gymnases - n’étaient pas « satisfaisantes ». « Mme Boutin ne nous a pas contredits sur le fait qu’il existe un grave problème d’hébergement en France, alors même qu’elle répète depuis plusieurs jours dans les médias que tout va bien. On a eu affaire à un mensonge d’État. Mais ce chapitre est clos désormais », a répliqué Augustin Legrand, fondateur des Enfants de Don Quichotte. L’Uniopss, la Fnars, Emmaüs, le Secours catholique, la Fondation Abbé Pierre, les Enfants de Don Quichotte, les Restos du Cœur et le Centre d’action sociale protestant ont participé à la réunion. Christine Boutin et Martin Hirsch étaient aussi présents.

Le premier ministre admet que « la mise en œuvre » de la loi sur le droit au logement opposable (Dalo) et du plan d’action pour l’hébergement des SDF (Parsa) de janvier 2007 « se heurtent à des résistances et à des obstacles », commente l’avocat Gilles Devers, sur son blog : les actualités du droit. « Le Premier ministre, sans rire, annonce qu’un parlementaire va être nommé pour « rédiger une sorte de contrat entre les associations et le gouvernement avec des objectifs précis de résultats sur les sujets d’hébergement d’urgence en particulier ». Une sorte de contrat… Il ne faudrait tout de même pas nous prendre pour des crétins absolus ».

Le plan d’action pour l’hébergement des SDF (Parsa), de janvier 2007, prévoyait 27.100 places d’hébergement. Selon les associations de sans-abri, seules 14.000 places ont été dégagées. Face à cette situation, le premier ministre s’est fixé pour objectif « que des personnes ne soient pas contraintes de dormir dans la rue », mettant en exergue la question de l’hébergement d’urgence. « Pour que le droit au logement opposable s’exerce, remarque Paris Normandie, il faudrait qu’il y ait des logements disponibles pour les plus démunis. Or, il n’y en a pas. Parce que, explique le journal, certaines communes ne construisent pas le quota de 20% de logements sociaux que leur impose la loi. Mais aussi parce qu’on détruit massivement des logements HLM dans les banlieues ».

Patrick Henry a créé la première consultation pour les sans-abris à Nanterre en 1982. Selon ce médecin qui, depuis 1992, est chargé de la mission « Lutte contre la grande exclusion » à la RATP : « En 1957, on comptait environ 15 ou 20.000 sans-abris à Paris. […] Avant, les personnes vivant dans la rue pouvaient trouver facilement des occasions de gagner un peu d’argent, en donnant un coup de main aux commerçants par exemple. […]L’augmentation des licenciements, violents sur le plan financier mais aussi psychologique, a également poussé des gens dans la rue. Idem sur le plan personnel, avec des divorces de plus en plus nombreux. La fragilité d’une personne peut être réveillée par ce type d’événements et conduire à l’exclusion. 100% des personnes qui vivent dehors souffrent de problèmes psychologiques ».

Qui sont-ils ces sans-abri qui arpentent – été comme hiver – les rues de Paris ? Selon un rapport du SAMU social : « À 80 %, ce sont des hommes, mais depuis cinq ans le nombre de femmes augmente. Ils ont, en moyenne, 40 ans, alors qu’en 1999 la moyenne était de 35 ans. «Les plus de 50 ans représentent 22 % alors qu’ils n’étaient que 12 % en 1999.» 45 % sont français, et parmi les étrangers il y a… 133 nationalités représentées. D’autres chiffres encore : 20 % n’ont pas de papiers, 20 % n’ont aucune couverture sociale, un tiers aucun suivi social, et la moitié déclare n’avoir aucune ressource ». Serge Hefez, sur son blog Familles je vous haime, fait un rappel important : « celui qu’on appelait le « clochard » est devenu minoritaire. Ceux que la rupture des relations familiales, l’absence de droits reconnus ou l’expulsion du logement ont conduit à cette situation dramatique sont les plus nombreux ».

Mince consolation. La France n’est pas le seul pays aux prises avec ses SDF. Selon l’Agence France Presse, les grandes villes américaines ont des difficultés à aider les sans domicile fixe qui sont de plus en plus nombreux à demander un toit et une aide alimentaire, selon une enquête annuelle de la Conférence américaine des Maires. Cette enquête rassemble les données de 23 grandes villes, dont notamment Los Angeles, Detroit, Miami, Denver et Chicago. Quatre villes sur cinq (80 %), selon cette étude menée de novembre 2006 à octobre 2007, affirment que la demande d’aide alimentaire a fait un bond de 12 % sur un an. Les villes n’arrivent pas à donner de la nourriture à tous ceux qui en ont besoin: 17 % des demandeurs n’ont pas d’aide alimentaire et 15 % des familles avec enfants qui en ont besoin ne reçoivent rien. Quant aux SDF, près d’un quart d’entre eux (23 %) sont des familles avec enfants.

Comme l’écrivait Charles Maurras : « Ni aujourd’hui ni jamais, la richesse ne suffit à classer un homme, mais aujourd’hui plus que jamais la pauvreté le déclasse » (Charles Maurras).

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mardi 18 décembre 2007

« Le vrai vainqueur, c’est l’État palestinien ». Et la population palestinienne?

« Le vrai vainqueur, c’est l’État palestinien », a déclaré le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, en annonçant la somme promise sous les applaudissements des 90 délégations présentes. Auparavant, le président Nicolas Sarkozy avait lancé cet appel aux donateurs présents à Paris : « Soyez à la hauteur de l’enjeu! Soyez généreux! Soyez audacieux… Nous n’en pouvons plus de la guerre! ». « Offrez aux peuples d’Israël et de Palestine le plus beau des cadeaux : la paix! ». L’appel a été entendu. Par tous ?

La Commission européenne donnera 639,4 millions de dollars (440 millions d’euros), les États-Unis participeront à hauteur de 550 millions de dollars et la France 300 millions de dollars, soit un peu plus de 200 millions d’euros. L’Allemagne et la Suède ont promis la même somme. Le Canada, représenté à Paris par son ministre des Affaires étrangères Maxime Bernier, a engagé Ottawa à verser 300 millions de dollars sur cinq ans.

La conférence des donateurs de Paris remettra un chèque, sous forme de promesses, de 7,4 milliards de dollars aux Palestiniens. Cet argent devrait servir relancer une économie moribonde en versant d’abord les salaires aux quelque 160.000 fonctionnaires et en mettant en œuvre de grands chantiers de construction d’infrastructures. Sur la somme promise, 2,9 milliards de dollars devraient être consacrés au budget 2008 du gouvernement palestinien.

L’état de faillite qui guette la Palestine est dû notamment à la chute des recettes fiscales en raison de ces multiples barrages israéliens et au cloisonnement des Territoires qui étouffent l’économie palestinienne. A l’heure actuelle, quelque 80% (des 1,5 million d’habitants) de Gaza bénéficient directement de l’assistance alimentaires des Nations unies. Le commissaire général adjoint de l’agence des Nations unies consacrée aux réfugiés palestiniens (UNRWA), Filippo Grandi, déclare : « Nous n’avons pas les moyens de constituer des stocks. Les prix des denrées alimentaires de base ont considérablement augmenté, entre 30 % ou 40 %. L’aide d’urgence concerne désormais pratiquement toute la population », indique-t-il. « Ce qui est encore plus grave, ce sont les menaces [israéliennes] de couper l’approvisionnement en électricité ; 70 % de l’électricité est fournie par Israël, et en fioul ».

Force est de constater, comme le propose Le Monde, que : « les Palestiniens sont, par habitant, le peuple le plus aidé de la terre, alors que leur niveau de vie, du fait des contraintes qui sont les leurs, ne cesse de baisser. La Banque mondiale répète depuis des années, telle une litanie, que l’aide internationale sans la liberté de mouvement reste impuissante à relever l’économie palestinienne ».

Alain Campiotti, éditorialiste au quotidien Le Temps (Suisse), écrivait : « L’ambassadeur d’Israël en Suisse demandait l’autre jour dans ces colonnes aux États arabes et musulmans de soutenir les modérés en Palestine et d’isoler les extrémistes. C’est un bon conseil. Il devrait être entendu à Jérusalem d’abord. La politique délibérée et permanente de colonisation, les entraves et les mesures punitives de plus en plus lourdes, qui en sont le corollaire, ont été depuis longtemps le plus sûr levain de la radicalisation ».

Salam Fayad, premier ministre palestinien, croit que cette aide massive ne sera pas « suffisante » pour relancer l’économie si Israël ne facilitait pas la liberté de circulation dans les Territoires. Constat confirmé par la Banque mondiale qui affirme, à son tour, dans son rapport présenté à la Conférence des donateurs, que le plan de développement palestinien n’aura pas l’effet escompté sur la situation économique dans les Territoires sans l’allègement des restrictions israéliennes à la circulation, notamment les quelque 550 barrages en Cisjordanie qu’Israël juge essentiels à sa sécurité. Le Quartette a appelé Israël à faciliter les accès aux Territoires palestiniens pour permettre un succès du programme de réformes économiques de l’Autorité palestinienne.

Le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, a déjà prévenu, depuis Jérusalem, qu’il n’accepterait pas de mesures compromettant la sécurité de son pays. Mahmoud Abbas s’est demandé devant l’auditoire de quelque 70 pays et 20 organisations internationales : « Comment peut-on lancer des négociations sérieuses pour mettre fin au conflit, comme cela a été convenu devant le monde entier, au moment où une des parties poursuit la colonisation et ne procède pas à une sérieuse révision de cette politique ? » Un appel d’offres a été lancé cette semaine pour la construction de 307 nouveaux logements dans la capitale de l’État hébreu. À ce propos, reprenons une fois de plus les propos de l’éditorialiste du quotidien Le Temps (Suisse), Alain Campiotti, qui écrit : « Ehoud Olmert dit aussi que la création d’un Etat palestinien est la condition de la sécurité, et même de la survie d’Israël. La pire méthode pour faire naître et croître un tel Etat, c’est bien sûr de commencer par l’étouffer ».

En quoi ces sommes vont changer réellement le sort de ces populations en détresse puisque, jusque là, une grande partie de l’aide internationale a été soit gaspillée au sein de l’administration palestinienne, soit perdue dans les affrontements entre soldats israéliens et militants palestiniens, qui ont détruit les réalisations financées par la communauté internationale ? Mahmoud Abbas, dont le gouvernement laïque ne contrôle désormais plus que la Cisjordanie, a de son côté exclu tout dialogue avec le Hamas. « Je n’accepterai aucun dialogue (avec le Hamas), sur la base d’un fait accompli ». « Il faut d’abord que ce coup d’État cesse. D’abord le putsch doit prendre fin et ensuite il faudra consulter le peuple en organisant des élections législatives et présidentielle sous supervision internationale », a-t-il dit. A Gaza, le porte-parole du Hamas, Sami Abou Zuhri, a qualifié la conférence de Paris de « déclaration de guerre contre le Hamas ».

Paris avait pourtant bien indiqué que : « Le soutien budgétaire assuré par les donateurs profitera aux fonctionnaires de Gaza comme à ceux de Cisjordanie, dans les domaines de la santé comme de l’éducation ». Il semble que les sommes versées soient destinées davantage à conforter Mahmoud Abbas contre le Hamas qu’à aider directement la population palestinienne elle-même. Dire que l’objectif politique de cette rencontre est de donner l’espoir aux Palestiniens de Ramallah et surtout à ceux de Gaza contrôlé par le Hamas qui vient de célébrer, en grande pompe et tout en défi, le vingtième anniversaire de sa création, serait particulièrement téméraire, dans les circonstances.

Le plan de réforme sur trois ans (2008-2010), destiné à doter un futur État palestinien d’institutions solides et d’une économie viable, préparé par le Premier ministre palestinien Salam Fayyad pour rassurer des donateurs qui ont déjà versé plus de 10 millions de dollars (7 millions d’euros) depuis 1993 promet des économies dans le fonctionnement des services de l’Autorité palestinienne et une réduction du nombre de fonctionnaires.

Mais, comme l’écrit Le Monde : « Parant au plus pressé, la communauté internationale a fait le choix de soutenir de plus en plus massivement les finances publiques palestiniennes ; elle verse des salaires, directement sur les comptes des fonctionnaires de l’Autorité, méthode la plus immédiate de redistribution. Ces choix dictés par les circonstances constituent autant de contre-sens économiques. Ils ne peuvent être que des réponses de très court terme, en attendant qu’un processus politique contribue à modifier en profondeur la situation sur le terrain pour que les Palestiniens, qui sont sans doute parmi les mieux formés de la région, puissent enfin vivre et se déplacer comme partout ailleurs dans le monde ».

Nicolas Sarkozy a réclamé la création d’une force internationale pour les Territoires palestiniens. Le président français, hôte de la conférence des donateurs de l’État palestinien à Paris, est toutefois resté flou quant aux conditions de mise en place de cette force. « L’Autorité palestinienne s’est engagée à assurer le respect de la loi et de l’ordre. (…) Les services palestiniens doivent se réformer, gagner en professionnalisme. Parallèlement, Israël doit se retirer de la Cisjordanie. La communauté internationale doit apporter son aide à la réalisation difficile de cet objectif », a poursuivi Nicolas Sarkozy, cité par Le Figaro. Le Hamas a dénoncé cette force sans tarder, la qualifiant « d’ingérence flagrante dans les affaires palestiniennes intérieures ». Selon le Hamas, la proposition du président Sarkozy « entre dans le cadre de la guerre déclarée contre les Palestiniens » et est dirigée contre « la résistance palestinienne et le Hamas ».

Le dialogue est ouvert, disions-nous ?

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