jeudi 20 décembre 2007

Mike Huckabee veut « reconquérir les États-Unis au nom du Christ »

Il n’y a pas de cadavre, dans un placard, qui ne finit par sortir au grand jour. Se présenter en politique, c’est un peu jouer à la roulette russe. Vous ne savez jamais s’il y a une balle de cachée dans le barillet. Et les vieux fantômes réapparaissent toujours au moment où on s’y attend le moins. Plus les sondages vous donnent « favori », plus la presse s’abat sur vous et fouille vos entrailles.

Mike Huckabee est né le 24 août 1955 dans l’Arkansas, dans une ville au nom prédestiné de Hope (Espoir). Il est donc originaire du même patelin que Bill Clinton. Il a partagé les bancs d’école avec le grand Bill et, comme lui, il a fini par devenir gouverneur de l’État. Ultra conservateur, Mike Huckabee, quasi inconnu, il y a encore quelques semaines, « n’est plus un candidat de seconde zone », estime Susan Pinkus, directrice des sondages du Los Angeles Times. Le point fort de Mike Huckabee, c’est la faiblesse de l’actuelle offre des autres candidats. Son programme tient en trois mots : « famille, foi et liberté ». Huckabee est pasteur de l’Église baptiste du Sud, la plus importante dénomination protestante aux États-Unis.

Dans l’Iowa, plus de 40 % des électeurs républicains de l’Iowa proclament leur foi évangélique. L’Amérique de Mike Huckabee est donc une Amérique avec des valeurs traditionnelles, le retour à la loi et à l’ordre. Il dit vouloir « reconquérir la nation au nom du Christ ». Il tente d’incarner le retour à une autorité rassurante dans un monde où tout bouge. Il rejette la théorie darwinienne de l’évolution, croit à l’Apocalypse, et à la vérité littérale de la Bible. Il ne veut pas entendre parler de recherches en laboratoire sur les cellules souches, ni d’un empiétement de l’État dans un système d’assurance santé pourtant à l’agonie.

Opposé à l’avortement et au mariage des couples homosexuels, en faveur du port des armes et de la peine de mort, il sait montrer de la compassion sur des sujets comme l’immigration : « Nous ne sommes pas un pays qui devrait punir les enfants à cause de ce que font leurs parents » a-t-il dit récemment lors d’un débat télévisé. Lorsqu’il était gouverneur, Huckabee avait lancé un programme d’aide en faveur des enfants défavorisés. Il n’hésite surtout pas à se réclamer de l’héritage de Ronald Reagan. En référer à Reagan revient comme un leitmotiv dans chacun de ses discours.

Mike Huckabee s’exprime dans une langue populaire, simple, contre l’immoralité. Orateur remarquable, il est doté d’un humour et d’un charme, dont l’affabilité toujours souriante désarme ses adversaires. Huckabee fait merveille en se façonnant une image « d’Américain comme les autres », guidé par le bon sens et l’humilité. Huckabee est par ailleurs bassiste dans un groupe de rock dénommé « Capitol Offense ». « J’ai toujours eu besoin d’une guitare lourde pour me garder dans le rythme », avouera-t-il à la presse people. Il est très proche de Keith Richards, le célèbre Rolling Stone. « Il est difficile de ne pas aimer Mike Huckabee », avouait Newsweek le mois dernier. Ancien Gouverneur de l’Arkansas, Time Magazine l’avait désigné, en 2005, comme l’un des cinq (5) meilleurs Gouverneurs.

Mitt Romney voudrait bien surmonter son handicap : il est mormon, membre d’une église que bon nombre d’évangéliques considèrent comme une secte sans rapport avec la tradition chrétienne. Aux yeux d’une bonne part de ces évangéliques, il est quasiment l’incarnation du démon. « Les mormons ne croient-ils pas que Jésus et le diable sont frères ? », s’interrogeait Huckabee dans un long portrait que lui consacrait le week-end dernier, le magazine du New York Times. Mike Huckabee s’est par la suite excusé pour cette remarque, soutenant qu’il n’était pas dans ses intentions de fonder sa campagne sur une guerre de religions.

Mike Huckabee est donc devenu une coqueluche. Au point d’éclipser, chez les républicains, l’ancien maire de New York, Rudy Giuliani, et son grand rival, Mitt Romney. Il est maintenant en tête dans l’État baromètre de l’Iowa (centre), ce qui chamboulerait complètement le camp républicain. Une victoire de Mike Huckabee, dans l’Iowa, « ajouterait à la confusion dans une course déjà confuse pour la nomination du parti républicain », commentait un analyste de l’institut de sondage Rasmussen. Il connaît une ascension fulgurante et domine désormais, avec 35 % d’intentions de vote chez les républicains contre 21 % pour Romney. Dans les sondages nationaux, comme celui que vient de publier le New York Times, Huckabee (21 %) talonne Giuliani (22 %) et a dépassé Romney (16 %).

Pour cette raison, les faits et gestes du candidat favori sont passés au crible. Dans un article publié dans la revue Foreign affairs, Mike Huckabee a écrit que « la mentalité de bunker arrogante de l’administration Bush a été contreproductive aux États-Unis comme à l’étranger ». Il a appelé à un changement « de ton et d’attitude » en politique étrangère pour privilégier plutôt « l’ouverture ». Son principal rival, Mitt Romney, a aussitôt saisi l’occasion pour dénoncer Huckabee : « C’est une insulte au président et Mike Huckabee devrait s’excuser auprès du président ». Et, de poursuivre Mitt Romney : « Je crois qu’il se présente dans le mauvais parti. La vérité est que le président (Bush) a garanti notre sécurité pendant six ans ».

Deuxième attaque de Mitt Romney : « Je crois que Mike espérait de toutes ses forces (…) que les gens ne feraient pas trop attention à ses positions et à son bilan, mais son bilan, sur l’immigration, les grâces qu’il a accordées à des criminels, les réductions de peines accordées à des trafiquants de drogue, les impôts et le budget (de l’Arkansas) - je crois que tout ça va faire changer les sondages ».

Murray Waas, journaliste d’enquête, a révélé que Mike Huckabee, du temps où il était gouverneur, est intervenu pour que Wayne Dumond, un violeur en série condamné à perpétuité, soit libéré. Libéré en 1999, le violeur en question allait récidiver en tuant une autre femme dans le Missouri, un an plus tard. Huckabee aurait cédé aux pressions de chrétiens et de médias de droite qui estimaient injuste la condamnation de Dumond en 1985 pour le viol de cette jeune fille de 17 ans. Ils voyaient dans cette condamnation une machination politique. La jeune fille se trouvait à être une cousine lointaine de Bill Clinton. Certains affirment que Huckabee estimait que le lien entre Clinton et la victime avait eu un impact sur le verdict.

En 1992, dans un questionnaire soumis par l’agence Associated Press, Huckabee s’est déclaré pour la mise en quarantaine des malades du SIDA : « si le gouvernement fédéral est disposé à faire quelque chose de sérieux contre la propagation du virus du SIDA, il faudrait alors isoler les malades » avait-il écrit.

Le quotidien Le Monde fait mention d’une autre histoire croustillante : « Une paire de boutons de manchette à 1 000 dollars (688,5 euros), des bottes de cow-boy à plus de 3 600 dollars (plus de 2 400 euros), une ceinture à 500 dollars (344,3 euros) : voici quelques-uns des cadeaux que Mike Huckabee, un des candidats favoris à l’investiture républicaine pour la présidentielle nord-américaine de 2008, a reçu durant ses dix années à la tête de l’État d’Arkansas ». Selon une enquête du quotidien britannique The Guardian, publiée le vendredi 14 décembre dernier, cet ancien pasteur baptiste recevait chaque année plusieurs milliers de dollars en cadeaux en tant que gouverneur de l’Arkansas.

« La pratique des cadeaux est conforme aux règles d’éthique de l’Arkansas », précise The Guardian, mais elle soulève de nombreuses questions, d’autant plus que depuis qu’il est entré dans la course à l’investiture républicaine, Mike Huckabee n’a cessé de vanter son passé de pasteur baptiste humble et intègre. Quand Mike Huckabee a pris ses fonctions de gouverneur de l’Arkansas en 1996, ses bureaux et ceux de son cabinet ont été entièrement remeublés grâce aux largesses de Jennings Osborne, riche homme d’affaires de Little Rock, la capitale de l’Arkansas, qui a construit sa fortune grâce au marché florissant des tests médicaux. Dans les années suivantes, l’homme d’affaires a régulièrement offert des arrangements floraux à l’équipe de Huckabee, des chèques cadeaux dans des grands magasins et des boutiques d’habillement, des cravates, des billets d’avion… En tout, Jennings Osborne aurait offert plus de 20 000 dollars de vêtements au candidat à l’investiture républicaine et dépensé 7 500 dollars pour une soirée organisée par Mike Huckabee pour son cabinet et ses services de sécurité.

Mike Huckabee parviendra-t-il, malgré ces quelques frasques, à retrouver la confiance des Américains envers leur gouvernement ? Un sondage effectué par le groupe de médias CBS News / New York Times et publié le 10 décembre dernier démontre que 71 % des Américains sont de l’avis que leur pays s’engage actuellement sur une mauvaise voie. Les cotes de confiance relatives au président et au Congrès américains restent très basses, et selon les données relevées, une majorité croissante d’Américains ont l’impression que l’économie du pays faiblit. Les électeurs « souhaitent désespérément un changement », affirme le politologue Chuck Todd, directeur du Service des actualités politiques de la chaîne de télévision National Broadcasting System (NBC).

Selon M. Todd, lorsque les Américains se déclarent désireux d’un changement, ils se réfèrent généralement au comportement du président, à son style de gouvernance. Ils ne souhaitent pas forcément que la politique des États-Unis soit radicalement transformée. Le sondage du groupe CBS News / New York Times indique de plus que les républicains préfèrent un candidat chevronné à un candidat sans idées. Cependant, « un grand nombre de républicains désirent voir le pays changer de direction », explique M. Todd. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles Mike Huckabee, relativement inconnu à l’échelle nationale et pourtant considéré comme un perdant probable, il a deux mois seulement, figure aujourd’hui parmi les candidats républicains les plus favorisés. Huckabee s’est forgé l’identité du candidat « anti-Washington », a noté le politologue. « Lorsque l’on compare les candidats du parti républicain, le seul à pouvoir même frôler cette image de novateur aux yeux des électeurs est Mike Huckabee ».

Une première vidéo : Chuck Norris se rallie au candidat Huckabee


Une deuxième vidéo : Mike Huckabee est déjà victime d’un faux spot commercial. Les coups bas vont pleuvoir dans les derniers jours avant les premières primaires.