mardi 3 juin 2008

862 millions de personnes environ souffrent de la faim et de malnutrition aujourd’hui (FAO)

Rien ne rend plus mal à l’aise des convives de savoir, qu’autour d’une grande table, se retrouvent des gens qui ne sont pas les bienvenus. L’Italie de Berlusconi est ainsi coincée. Le pays accueille le sommet mondial sur la sécurité alimentaire de la FAO, et le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, ainsi qu’une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement. Les grands de ce monde tenteront, pendant trois jours, de régler cette épineuse question de la flambée des prix des denrées alimentaires qui frappe de plein fouet les pays pauvres et qui provoque des émeutes en Afrique, dans les Caraïbes et en Asie. Lundi soir, à la veille de l’ouverture de ce sommet, avait lieu, à Rome, le traditionnel dîner de gala offert aux hôtes de marque.

Toutes et tous cependant ne peuvent revendiquer le statut d’hôtes de marque. Le président zimbabwéen Robert Mugabe est arrivé dimanche soir à Rome, même s’il est interdit de séjour dans l’Union européenne. Et s’ajoute, à la présence de Robert Mugabe, celle non moins désirable du président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Dans un cas, c’est la personne qui a utilisé l’aide alimentaire à des fins politiques. Dans l’autre, c’est la personne dont le pays se trouve sur le banc des accusés pour son programme nucléaire. À tout prendre, la présence de Mugabe qui suscite les plus vives critiques.

Malgré son interdiction de séjour dans l’Union européenne, c’est grâce à une dérogation ponctuelle, comme il est dit dans la formulation diplomatique, que Robert Mugabe, 84 ans, accompagné de son épouse Grace et du ministre de l’Agriculture, Rugare Gumbo, a pu accéder au territoire italien. Il séjourne dans un hôtel chic sur la Via Veneto. Le porte-parole du Premier ministre britannique Gordon Brown regrette Mugabe ait décidé de participer à cette réunion étant donné sa contribution aux difficultés liées à la situation alimentaire au Zimbabwe. En conséquence, le ministre britannique au Développement international, Douglas Alexander, ne rencontrera « évidemment pas » Robert Mugabe. Stephen Smith, ministre australien des Affaires étrangères, accuse Mugabe d’être le « responsable de la famine dont souffre son peuple » et d’avoir ni plus ni moins « utilisé l’aide alimentaire à des fins politiques ».

Pour la vice-présidente du Sénat italien, Emma Bonino (gauche), il est clair que ce ne sont pas des représentants de la « Ligue de la démocratie » qui vont se réunir à la FAO!

« Robert Mugabe est l’artisan principal d’une réforme agricole catastrophique, violente et raciste qui a détruit la production alimentaire et affamé la population. Le Zimbabwe était autrefois le grenier de l’Afrique et exportait de la viande, notamment en Suisse », écrit Ram Etwareea, du quotidien Le Temps (Suisse). Le secteur agricole s’est effondré depuis la réforme agraire, lancée en 2000, pour redistribuer les terres à la majorité noire. Elle a conduit au départ de plus de 4.000 fermiers blancs dont les terres ont été redistribuées à des proches du régime ou à des petits paysans sans qualification. L’hyperinflation annuelle atteint près de 165.000%.

Ce n’est pas la première fois que la FAO offre une tribune au despote qui s’accroche au pouvoir. Invité à Rome dans le cadre du 60e anniversaire de la FAO en 2005, il en avait profité pour fustiger ses détracteurs. Mugabe avait alors traité le président américain, George W. Bush, et le Premier ministre britannique de l’époque, Tony Blair, de « terroristes internationaux » et les avait comparés à Hitler. « Devons nous approuver ces hommes? », avait demandé Robert Mugabe, ajoutant « les deux personnes néfastes de notre millénaire qui, à la manière de Hitler et Mussolini, ont formé une alliance impie pour attaquer des pays innocents ».

Les questions d’intendance réglées, il reste que selon la FAO, 22 pays sont particulièrement vulnérables à la crise alimentaire qui se profile « en raison de niveaux élevés de sous-alimentation chronique (plus de 30%), conjugués à une forte dépendance des importations de céréales et de produits pétroliers ». Jacques Diouf, directeur général de la FAO, est critique : « La dramatique situation alimentaire mondiale actuelle nous rappelle l’équilibre fragile entre les approvisionnements alimentaires mondiaux et les besoins des habitants de la planète, et le fait que les engagements souscrits précédemment pour accélérer les progrès vers l’éradication de la faim n’ont pas été tenus ». Jacques Diouf estime également que les politiques liées à la production et au commerce des biocarburants devraient tenir compte des impératifs de sécurité alimentaire.

Pendant que les grands de ce monde s’interrogent à Rome et explorent des pistes de solution, et quelques semaines après les violentes émeutes de la faim dans une trentaine de pays, le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, annonce l’allocation de 1,2 milliard de dollars en prêts et subventions pour les pays en proie à la flambée des prix de l’alimentation et du pétrole. De son côté, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévenait, il y a quelques semaines, dans un rapport, que les prix alimentaires resteront très élevés au cours des dix ans à venir : « les projections de prix pour la période 2008-2017 indiquent une augmentation de 20 % environ pour la viande bovine et porcine, de quelque 30 % pour le sucre brut et le sucre blanc, de 40 % à 60 % pour le blé, le maïs et le lait écrémé en poudre ». Il faut également noter qu’entre 2005 et 2007, la production mondiale de céréales s’est accrue de 46 millions de tonnes (3 %), tandis que la consommation a augmenté de 80 millions (5 %). Les stocks, au plus bas, n’amortissent plus les déséquilibres.

Parmi les facteurs au renchérissement des prix, l’OCDE pointe la demande croissante de biocarburant. « La production mondiale d’éthanol carburant a triplé entre 2000 et 2007 et devrait doubler encore d’ici à 2017, pour atteindre 127 milliards de litres par an. La production de biogazole devrait passer de 11 milliards de litres par an en 2007 à environ 24 milliards de litres d’ici 2017. L’accroissement de la production de biogazole augmente la demande de céréales, de produits oléagineux et de sucre, contribuant ainsi à faire monter les prix des productions végétales ».

Selon Jacques Diouf, directeur général de la FAO, les pays riches doivent accroître de manière significative leur aide pour lutter contre la hausse des prix des produits alimentaires. Des mesures cohérentes doivent être prises de toute urgence par la communauté internationale pour réduire l’incidence de l’augmentation des prix sur les populations pauvres et qui souffrent de la faim.

Pendant ce temps-là, la consommation des huiles végétales tirées des graines oléagineuses et des palmiers à huile connaîtra une croissance plus rapide que celle des autres plantes cultivées dans les dix prochaines années. Cette augmentation est déterminée par la demande de produits alimentaires et de biocarburants.

Le Canada sera évidemment présent à Rome. Avant de quitter, le premier ministre Stephen Harper a fait adopter le projet de loi C-33 (projet de loi qui favorise l’industrie de l’éthanol-grain) qui exigera une teneur en carburant renouvelable de 5 % dans l’essence d’ici 2010 et de 2 % dans le carburant diesel et le mazout d’ici 2012. Les Néo-démocrates et le Bloc québécois ont refusé de cautionner un projet de loi qui fait la promotion de l’industrie de l’éthanol-grain en pleine crise alimentaire alors que les libéraux de Stéphane Dion l’ont appuyé.

Selon Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique du Québec, ce projet de loi, qui cautionne l’utilisation de mais et d’autres denrées alimentaires pour la production de carburant pour automobiles constitue un virage désastreux sur le plan social et environnemental, tout en ayant un impact négligeable sur la réduction des gaz à effet de serre. Un Canada qui croit au développement durable doit interdire la production d’agrocarburants. Le projet de loi C-33 ouvrirait la voie au détournement massif des champs de mais, de blé et de canola canadiens vers la production d’agrocarburants. En effet, Agriculture et Agroalimentaire Canada estime que pour atteindre l’objectif de 5 % d’éthanol dans la consommation de carburant en 2010, il faudrait environ 50% de la superficie ensemencée en mais, 12% de la superficie de blé et 8 % de la superficie de canola au Canada.

(Sources : AFP, Cyberpresse, FAO, OCDE, Presse canadienne)

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lundi 2 juin 2008

« L’un des pires désastres de notre histoire est devenu l’un des pires désastres de la présidence Bush »

Votre ami est mal conseillé. Cet ami est également votre employeur. Vous savez que son entourage favorise nettement le mensonge afin d’atteindre les objectifs que le petit groupe de l’entourage de votre ami se fixe. Un jour, vous quittez votre ami et votre patron. Pour le remercier, vous publiez une autobiographie dans laquelle vous révélez tous ces détails qui feront paraître votre ami comme un fieffé menteur. Et vous croyez ainsi rendre service à celui qui vous a offert un emploi pendant trois ans.

Scott McClellan, 40 ans, est resté sept ans aux cotés de George Bush, d’abord lorsque ce dernier était gouverneur du Texas, puis à Washington, de juillet 2001 à avril 2006, où il a eu pour mission d’être le porte-voix des faits et gestes du président. Il vient de publier un pavé de 341 pages : What Happened : Inside the Bush White House and Washington’s Culture of Deception (Ce qu’il s’est passé : Au cœur de la Maison blanche de Bush et de la culture de la tromperie à Washington). Ce livre, dont des extraits ont déjà été publiés, sera mis en vente ce lundi, premier juin. Selon l’ami et conseiller du président américain, Georges W. Bush a géré la Maison Blanche comme on gère une campagne électorale au lieu d’assurer un arbitrage salutaire aux diverses tendances contradictoires de son entourage.

Après Paul O’Neill, ancien secrétaire au Trésor, en 2004, après Richard Clarke, ancien conseiller de l’administration sur les questions de contreterrorisme, après George Telnet, ancien directeur de la CIA, après Matthew Dowd, ancien stratège en 2004, un autre ami qui vous veut du bien, Scott McClellan, celui-là même qui a tenu, pendant trois ans, les briefings quotidiens de la Maison Blanche, sort la grande artillerie pour mieux cibler son ancien patron. Mais il rassure le lecteur : « J’aime et admire toujours le président Bush mais ses conseillers et lui ont confondu une campagne de propagande avec le haut niveau de franchise et d’honnêteté fondamentalement nécessaire pour bâtir et préserver un soutien de l’opinion publique en temps de guerre ».

McClellan reconnaît donc qu’il voue une admiration pour ce président qu’il a rejoint en 1999 au Texas. George W. Bush est vu comme un homme intelligent, charmeur et politiquement habile mais qui ne veut pas reconnaître ses erreurs et « se convainc à croire ce qui l’arrange sur le moment ». En même temps, l’ami qui vous veut du bien glisse, au passage, que Georges W. Bush aurait déjà sniffé de la cocaïne, citant ces propos ambigus, tenus en privé en 2000 : « Je ne me souviens pas en avoir consommé ou non : nous avons eu quelques soirées folles à cette époque ». Éberlué, McClellan s’interroge : « Comment quelqu’un peut-il oublier s’il a consommé ou non une substance illégale comme la cocaïne? Cela ne tenait pas debout ».

Au-delà du potin mondain, McClellan aura été porte-parole du président pendant les évènements du 11 septembre 2001, puis lors des guerres en Afghanistan et en Irak. Sans gêne aucune, McClellan affirme maintenant que le public a été très mal informé mais que lui-même était sincère à l’époque. Rien de surprenant donc d’apprendre que, selon McClellan, George W. Bush a orchestré une campagne de propagande destinée « à manipuler les sources de l’opinion publique » pour pouvoir vendre au peuple américain la guerre en Iraq. Et c’est ce même McClellan qui, à quelques mois de sa démission, en 2006, soutenait âprement la justesse de la décision du président d’entrer en guerre contre Saddam Hussein. « L’un des pires désastres de notre histoire est devenu l’un des pires désastres de la présidence Bush », écrit Scott McClellan.

Et de cette période, McClellan tire également à boulets rouges sur le rôle des médias américains. McClellan qualifie les médias US de « complices actifs » de « la campagne savamment orchestrée pour fabriquer et manipuler le consentement des sources d’information du public ». Selon l’auteur, « les médias nationaux ont probablement été trop respectueux envers la Maison-Blanche et l’administration concernant la plus importante décision de la nation durant les années où j’étais à Washington : la décision d’aller à la guerre en Irak », écrit-il. « L’effondrement des justifications fournies par l’administration pour la guerre, qui est devenu évident quelques mois après notre invasion, n’aurait jamais dû nous surprendre de la sorte… Dans cette situation les “médias libéraux” n’ont pas été à la hauteur de leur réputation. S’ils l’avaient été, le pays aurait été mieux servi ».

En 2006, Scott McClellan avait quitté la Maison Blanche par suite du scandale Valerie Plame qui avait fortement entamé le crédit de la Maison Blanche. Épouse de l’ancien ambassadeur Joseph Wilson qui avait accusé l’administration américaine d’avoir menti sur les prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein, madame Valerie Plame avait été l’objet d’une fuite dans la presse sur son rôle d’agent secret au sein de la CIA. Lewis Scooter Libby, ancien directeur de cabinet du vice-président américain Dick Cheney, avait été condamné à 30 mois de prison pour parjure, mensonge et obstruction à la justice dans le cadre de cette affaire.

Dans son livre, McClellan tire aussi à boulets rouges contre l’ancien stratège et conseiller de M. Bush, Karl Rove, et Lewis “Scooter” Libby. Il les accuse de l’avoir dupé à propos de leurs rôles dans le scandale de la divulgation de l’identité de l’ex-agent de la CIA. Selon Rove et Libby, McClellan n’assistait pas aux réunions-clés où était élaborée la politique américaine. Pour l’ancien conseiller en chef et stratège politique, ciblé par McClellan, Karl Rove, « cela ne ressemble pas à Scott, vraiment pas. Pas au Scott McClellan que je connais depuis longtemps. On dirait plutôt un blogueur de gauche ». Karl Rove suggère-t-il que quelqu’un d’autre aurait pu écrire ce livre? Voix discordante au chapitre des dénonciations contre l’auteur : la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, s’est déclarée en complet accord avec les critiques de McClellan.

Ce que confirme au fond McClellan est le fonctionnement en bulle étanche de l’administration de Georges W. Bush à la Maison Blanche. Déconnectée totalement de la réalité. Et ce que dit McClellan aux yeux de l’histoire n’est pas faux : « Personne ne peut savoir avec certitude comment sera jugée cette guerre dans des décennies, quand nous pourrons vraiment comprendre son impact. Ce que je sais, c’est que la guerre doit être engagée seulement quand elle est nécessaire et que celle d’Irak ne l’était pas ». Mais cela ne plaît pas à tout le monde. « La décision de McClellan de publier ses mémoires n’est pas professionnelle », a critiqué Frances Frago Townsend, ancienne conseillère de M. Bush pour la sécurité intérieure et la lutte antiterroriste.

Pourquoi donc McClellan s’est-il livré à un striptease aussi progressif? L’auteur du pavé soutient que Georges W. est un homme qui n’a pas le sens de la réalité et qui refuse de reconnaître ses erreurs. Des critiques qui ont suscité un tollé parmi les fidèles du président. L’actuelle porte-parole de la Maison Blanche, Dana Perino, a indiqué que M. Bush était « étonné » et « déçu » par le contenu du livre : « Scott, nous le savons, est mécontent de son expérience à la Maison blanche. Pour ceux d’entre nous qui l’ont soutenu avant, pendant et après qu’il ait été porte-parole, la perplexité est grande. Il est triste, et cela nous l’ignorions ».

En réponse à ces critiques, McClellan répond : « C’est une bataille du pouvoir et d’influence, au lieu de délibérations conjointes et de compromis. L’administration Bush se comportait comme si elle était toujours en campagne électorale, plutôt que d’avoir un dialogue honnête avec le peuple américain ».

Déjà premier dans les ventes de livres sur Amazon en une semaine de vente, alors que le livre sort aujourd’hui dans les librairies, l’Association libérale anti guerre du Golfe 2 s’oppose, comme l’indique ActuaLitté, au versement des revenus du livre à son auteur, Scott McClellan. Après avoir passé des années à défendre l’administration Bush, et perpétuer les mensonges qui ont conduit notre pays à la guerre, Scott McClellan est sur le point de faire de l’argent avec son livre ‘je balance tout’, et va brasser des centaines de milliers voire des millions de dollars, dénonce le groupe. Pendant ce temps, nos troupes sont encore en train de mourir en Irak ». À ce sujet, le site Web MoveOn.org invite les américains à signer une pétition pour marquer davantage cette opposition au versement des droits d’auteur à l’ancien porte-parole de la Maison Blanche.

La secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice, qui n’en manque pas une pour défendre la politique de son patron en Irak, n’a pas voulu commenter un livre qu’elle n’a pas lu, dit-elle. Mais, de Stockholm, elle s’est interrogée : « Si le monde entier ne croyait pas cela à l’époque, alors permettez-moi de demander pourquoi l’Irak se trouvait soumis à des sanctions parmi les plus sévères jamais imposées par la communauté internationale. On ne peut pas considérer cette époque avec le regard d’aujourd’hui et dire que nous aurions dû savoir certaines choses que nous ignorions en 2001, 2002 et 2003. Les États-Unis n’étaient pas les seuls à croire que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive ».

Pour madame Rice, à propos des erreurs commises par Washington en Irak, il est prématuré de juger l’histoire, et si certaines choses auraient pu être faites différemment, « déclarer la guerre à l’Irak en 2003 » et « libérer le peuple irakien de Saddam Hussein » n’étaient pas une erreur.

(Sources : AFP, Cyberpresse, Presse canadienne)

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