En novembre dernier, un sondage BVA, pour l’association Emmaüs, en partenariat avec « L’Humanité » et « La Vie », révélait que près de 47% des Français croient « possible » qu’ils deviennent sans-abri un jour. Selon un sondage parallèle, mené par Emmaüs auprès des SDF, 49% des sans-abri estiment que la situation n’a pas changée pour eux, contre 26% à penser qu’ils sont mieux pris en charge, et 11%, moins bien. En ce qui concerne les hébergements de nuit, 29% des SDF affirment avoir eu fréquemment (et 13% rarement) des difficultés à en trouver un, tandis que 36% n’ont pas cherché d’hébergement dernièrement.
Depuis l’Abbé Pierre, note Fabrice Rousselot, de Libération : « la France, pourtant, semble répondre à la « crise » des sans-abri comme on répond à une catastrophe naturelle. Et colmate les brèches, au gré des rigueurs de l’hiver ». La France compterait environ 100 000 sans-abri. Elle se comporte comme si elle voulait les dissimuler aux yeux du monde entier. « Depuis l’été, tout ce qui rend visible la crise du logement est éradiqué : tentes, habitations précaires et bidonvilles », constate Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au logement. Est-ce la honte ou la gêne qui guide les actions du gouvernement à l’égard de ses sans-abri ? L’association « Les enfants de Don Quichotte », l’association d’aide aux sans-abri, a, samedi dernier, tenté d’installer 250 tentes au pied de Notre-Dame, en plein centre de Paris. En moins d’une heure, la police a délogé les manifestants et confisqué les abris.
La ministre du Logement et de la Ville, Christine Boutin, a mail à partir avec les associations des sans-abri. Une guerre de chiffres. La ministre soutient que les places d’hébergement d’urgence sont en nombre suffisant mais convient du même coup que seulement la moitié des places de stabilisation prévues ont été mises en œuvre. Christine Boutin doit aujourd’hui expliquer pourquoi il n’y a pas assez d’hébergements pour les SDF. La ministre a montré, contre toute attente, qu’elle pouvait être rancunière envers quiconque la décrédibilise aux yeux de l’opinion publique : « Je veux saluer les associations qui font un travail au quotidien, à la différence des Don Quichotte qui, eux, ne sont pas chaque jour à suivre les personnes qui sont en difficulté ».
Comme si cela n’était pas suffisant, une tuile – dont elle se serait bien passée – lui tombe sur la tête. Son directeur de cabinet loue un appartement à loyer modéré appartenant à la RIVP (Régie immobilière de la ville de Paris) depuis 1981, a-t-on indiqué au ministère du Logement confirmant une information du Canard Enchaîné. M. Bolufer, préfet hors cadre, bénéficie d’un appartement de 190m2 dans le quartier de Port-Royal (Vème arrondissement), avec vue sur la chapelle du Val-de-Grâce, au prix de 6,30 euros le m2. Les prix du secteur, remarque l’hebdomadaire satirique, se situe généralement dans le parc privé entre 20 et 30 euros le m2. M. Bolufer se serait vu attribuer ce logement en 1981 quand il était directeur adjoint du cabinet de Jacques Chirac, alors maire de Paris.
Trois jours après le nouveau coup d’éclat des Enfants de Don Quichotte, François Fillon est intervenu pour désamorcer un conflit naissant en conviant à Matignon huit associations, dont les « Don Quichotte ». François Fillion affirme que : « la polémique sur les chiffres » entre Christine Boutin et les Enfants de Don Quichotte était close, concédant qu’une part des places d’hébergement actuellement disponibles - notamment celles dégagées dans des gymnases - n’étaient pas « satisfaisantes ». « Mme Boutin ne nous a pas contredits sur le fait qu’il existe un grave problème d’hébergement en France, alors même qu’elle répète depuis plusieurs jours dans les médias que tout va bien. On a eu affaire à un mensonge d’État. Mais ce chapitre est clos désormais », a répliqué Augustin Legrand, fondateur des Enfants de Don Quichotte. L’Uniopss, la Fnars, Emmaüs, le Secours catholique, la Fondation Abbé Pierre, les Enfants de Don Quichotte, les Restos du Cœur et le Centre d’action sociale protestant ont participé à la réunion. Christine Boutin et Martin Hirsch étaient aussi présents.
Le premier ministre admet que « la mise en œuvre » de la loi sur le droit au logement opposable (Dalo) et du plan d’action pour l’hébergement des SDF (Parsa) de janvier 2007 « se heurtent à des résistances et à des obstacles », commente l’avocat Gilles Devers, sur son blog : les actualités du droit. « Le Premier ministre, sans rire, annonce qu’un parlementaire va être nommé pour « rédiger une sorte de contrat entre les associations et le gouvernement avec des objectifs précis de résultats sur les sujets d’hébergement d’urgence en particulier ». Une sorte de contrat… Il ne faudrait tout de même pas nous prendre pour des crétins absolus ».
Le plan d’action pour l’hébergement des SDF (Parsa), de janvier 2007, prévoyait 27.100 places d’hébergement. Selon les associations de sans-abri, seules 14.000 places ont été dégagées. Face à cette situation, le premier ministre s’est fixé pour objectif « que des personnes ne soient pas contraintes de dormir dans la rue », mettant en exergue la question de l’hébergement d’urgence. « Pour que le droit au logement opposable s’exerce, remarque Paris Normandie, il faudrait qu’il y ait des logements disponibles pour les plus démunis. Or, il n’y en a pas. Parce que, explique le journal, certaines communes ne construisent pas le quota de 20% de logements sociaux que leur impose la loi. Mais aussi parce qu’on détruit massivement des logements HLM dans les banlieues ».
Patrick Henry a créé la première consultation pour les sans-abris à Nanterre en 1982. Selon ce médecin qui, depuis 1992, est chargé de la mission « Lutte contre la grande exclusion » à la RATP : « En 1957, on comptait environ 15 ou 20.000 sans-abris à Paris. […] Avant, les personnes vivant dans la rue pouvaient trouver facilement des occasions de gagner un peu d’argent, en donnant un coup de main aux commerçants par exemple. […]L’augmentation des licenciements, violents sur le plan financier mais aussi psychologique, a également poussé des gens dans la rue. Idem sur le plan personnel, avec des divorces de plus en plus nombreux. La fragilité d’une personne peut être réveillée par ce type d’événements et conduire à l’exclusion. 100% des personnes qui vivent dehors souffrent de problèmes psychologiques ».
Qui sont-ils ces sans-abri qui arpentent – été comme hiver – les rues de Paris ? Selon un rapport du SAMU social : « À 80 %, ce sont des hommes, mais depuis cinq ans le nombre de femmes augmente. Ils ont, en moyenne, 40 ans, alors qu’en 1999 la moyenne était de 35 ans. «Les plus de 50 ans représentent 22 % alors qu’ils n’étaient que 12 % en 1999.» 45 % sont français, et parmi les étrangers il y a… 133 nationalités représentées. D’autres chiffres encore : 20 % n’ont pas de papiers, 20 % n’ont aucune couverture sociale, un tiers aucun suivi social, et la moitié déclare n’avoir aucune ressource ». Serge Hefez, sur son blog Familles je vous haime, fait un rappel important : « celui qu’on appelait le « clochard » est devenu minoritaire. Ceux que la rupture des relations familiales, l’absence de droits reconnus ou l’expulsion du logement ont conduit à cette situation dramatique sont les plus nombreux ».
Mince consolation. La France n’est pas le seul pays aux prises avec ses SDF. Selon l’Agence France Presse, les grandes villes américaines ont des difficultés à aider les sans domicile fixe qui sont de plus en plus nombreux à demander un toit et une aide alimentaire, selon une enquête annuelle de la Conférence américaine des Maires. Cette enquête rassemble les données de 23 grandes villes, dont notamment Los Angeles, Detroit, Miami, Denver et Chicago. Quatre villes sur cinq (80 %), selon cette étude menée de novembre 2006 à octobre 2007, affirment que la demande d’aide alimentaire a fait un bond de 12 % sur un an. Les villes n’arrivent pas à donner de la nourriture à tous ceux qui en ont besoin: 17 % des demandeurs n’ont pas d’aide alimentaire et 15 % des familles avec enfants qui en ont besoin ne reçoivent rien. Quant aux SDF, près d’un quart d’entre eux (23 %) sont des familles avec enfants.
Comme l’écrivait Charles Maurras : « Ni aujourd’hui ni jamais, la richesse ne suffit à classer un homme, mais aujourd’hui plus que jamais la pauvreté le déclasse » (Charles Maurras).
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