mardi 18 décembre 2007

« Le vrai vainqueur, c’est l’État palestinien ». Et la population palestinienne?

« Le vrai vainqueur, c’est l’État palestinien », a déclaré le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, en annonçant la somme promise sous les applaudissements des 90 délégations présentes. Auparavant, le président Nicolas Sarkozy avait lancé cet appel aux donateurs présents à Paris : « Soyez à la hauteur de l’enjeu! Soyez généreux! Soyez audacieux… Nous n’en pouvons plus de la guerre! ». « Offrez aux peuples d’Israël et de Palestine le plus beau des cadeaux : la paix! ». L’appel a été entendu. Par tous ?

La Commission européenne donnera 639,4 millions de dollars (440 millions d’euros), les États-Unis participeront à hauteur de 550 millions de dollars et la France 300 millions de dollars, soit un peu plus de 200 millions d’euros. L’Allemagne et la Suède ont promis la même somme. Le Canada, représenté à Paris par son ministre des Affaires étrangères Maxime Bernier, a engagé Ottawa à verser 300 millions de dollars sur cinq ans.

La conférence des donateurs de Paris remettra un chèque, sous forme de promesses, de 7,4 milliards de dollars aux Palestiniens. Cet argent devrait servir relancer une économie moribonde en versant d’abord les salaires aux quelque 160.000 fonctionnaires et en mettant en œuvre de grands chantiers de construction d’infrastructures. Sur la somme promise, 2,9 milliards de dollars devraient être consacrés au budget 2008 du gouvernement palestinien.

L’état de faillite qui guette la Palestine est dû notamment à la chute des recettes fiscales en raison de ces multiples barrages israéliens et au cloisonnement des Territoires qui étouffent l’économie palestinienne. A l’heure actuelle, quelque 80% (des 1,5 million d’habitants) de Gaza bénéficient directement de l’assistance alimentaires des Nations unies. Le commissaire général adjoint de l’agence des Nations unies consacrée aux réfugiés palestiniens (UNRWA), Filippo Grandi, déclare : « Nous n’avons pas les moyens de constituer des stocks. Les prix des denrées alimentaires de base ont considérablement augmenté, entre 30 % ou 40 %. L’aide d’urgence concerne désormais pratiquement toute la population », indique-t-il. « Ce qui est encore plus grave, ce sont les menaces [israéliennes] de couper l’approvisionnement en électricité ; 70 % de l’électricité est fournie par Israël, et en fioul ».

Force est de constater, comme le propose Le Monde, que : « les Palestiniens sont, par habitant, le peuple le plus aidé de la terre, alors que leur niveau de vie, du fait des contraintes qui sont les leurs, ne cesse de baisser. La Banque mondiale répète depuis des années, telle une litanie, que l’aide internationale sans la liberté de mouvement reste impuissante à relever l’économie palestinienne ».

Alain Campiotti, éditorialiste au quotidien Le Temps (Suisse), écrivait : « L’ambassadeur d’Israël en Suisse demandait l’autre jour dans ces colonnes aux États arabes et musulmans de soutenir les modérés en Palestine et d’isoler les extrémistes. C’est un bon conseil. Il devrait être entendu à Jérusalem d’abord. La politique délibérée et permanente de colonisation, les entraves et les mesures punitives de plus en plus lourdes, qui en sont le corollaire, ont été depuis longtemps le plus sûr levain de la radicalisation ».

Salam Fayad, premier ministre palestinien, croit que cette aide massive ne sera pas « suffisante » pour relancer l’économie si Israël ne facilitait pas la liberté de circulation dans les Territoires. Constat confirmé par la Banque mondiale qui affirme, à son tour, dans son rapport présenté à la Conférence des donateurs, que le plan de développement palestinien n’aura pas l’effet escompté sur la situation économique dans les Territoires sans l’allègement des restrictions israéliennes à la circulation, notamment les quelque 550 barrages en Cisjordanie qu’Israël juge essentiels à sa sécurité. Le Quartette a appelé Israël à faciliter les accès aux Territoires palestiniens pour permettre un succès du programme de réformes économiques de l’Autorité palestinienne.

Le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, a déjà prévenu, depuis Jérusalem, qu’il n’accepterait pas de mesures compromettant la sécurité de son pays. Mahmoud Abbas s’est demandé devant l’auditoire de quelque 70 pays et 20 organisations internationales : « Comment peut-on lancer des négociations sérieuses pour mettre fin au conflit, comme cela a été convenu devant le monde entier, au moment où une des parties poursuit la colonisation et ne procède pas à une sérieuse révision de cette politique ? » Un appel d’offres a été lancé cette semaine pour la construction de 307 nouveaux logements dans la capitale de l’État hébreu. À ce propos, reprenons une fois de plus les propos de l’éditorialiste du quotidien Le Temps (Suisse), Alain Campiotti, qui écrit : « Ehoud Olmert dit aussi que la création d’un Etat palestinien est la condition de la sécurité, et même de la survie d’Israël. La pire méthode pour faire naître et croître un tel Etat, c’est bien sûr de commencer par l’étouffer ».

En quoi ces sommes vont changer réellement le sort de ces populations en détresse puisque, jusque là, une grande partie de l’aide internationale a été soit gaspillée au sein de l’administration palestinienne, soit perdue dans les affrontements entre soldats israéliens et militants palestiniens, qui ont détruit les réalisations financées par la communauté internationale ? Mahmoud Abbas, dont le gouvernement laïque ne contrôle désormais plus que la Cisjordanie, a de son côté exclu tout dialogue avec le Hamas. « Je n’accepterai aucun dialogue (avec le Hamas), sur la base d’un fait accompli ». « Il faut d’abord que ce coup d’État cesse. D’abord le putsch doit prendre fin et ensuite il faudra consulter le peuple en organisant des élections législatives et présidentielle sous supervision internationale », a-t-il dit. A Gaza, le porte-parole du Hamas, Sami Abou Zuhri, a qualifié la conférence de Paris de « déclaration de guerre contre le Hamas ».

Paris avait pourtant bien indiqué que : « Le soutien budgétaire assuré par les donateurs profitera aux fonctionnaires de Gaza comme à ceux de Cisjordanie, dans les domaines de la santé comme de l’éducation ». Il semble que les sommes versées soient destinées davantage à conforter Mahmoud Abbas contre le Hamas qu’à aider directement la population palestinienne elle-même. Dire que l’objectif politique de cette rencontre est de donner l’espoir aux Palestiniens de Ramallah et surtout à ceux de Gaza contrôlé par le Hamas qui vient de célébrer, en grande pompe et tout en défi, le vingtième anniversaire de sa création, serait particulièrement téméraire, dans les circonstances.

Le plan de réforme sur trois ans (2008-2010), destiné à doter un futur État palestinien d’institutions solides et d’une économie viable, préparé par le Premier ministre palestinien Salam Fayyad pour rassurer des donateurs qui ont déjà versé plus de 10 millions de dollars (7 millions d’euros) depuis 1993 promet des économies dans le fonctionnement des services de l’Autorité palestinienne et une réduction du nombre de fonctionnaires.

Mais, comme l’écrit Le Monde : « Parant au plus pressé, la communauté internationale a fait le choix de soutenir de plus en plus massivement les finances publiques palestiniennes ; elle verse des salaires, directement sur les comptes des fonctionnaires de l’Autorité, méthode la plus immédiate de redistribution. Ces choix dictés par les circonstances constituent autant de contre-sens économiques. Ils ne peuvent être que des réponses de très court terme, en attendant qu’un processus politique contribue à modifier en profondeur la situation sur le terrain pour que les Palestiniens, qui sont sans doute parmi les mieux formés de la région, puissent enfin vivre et se déplacer comme partout ailleurs dans le monde ».

Nicolas Sarkozy a réclamé la création d’une force internationale pour les Territoires palestiniens. Le président français, hôte de la conférence des donateurs de l’État palestinien à Paris, est toutefois resté flou quant aux conditions de mise en place de cette force. « L’Autorité palestinienne s’est engagée à assurer le respect de la loi et de l’ordre. (…) Les services palestiniens doivent se réformer, gagner en professionnalisme. Parallèlement, Israël doit se retirer de la Cisjordanie. La communauté internationale doit apporter son aide à la réalisation difficile de cet objectif », a poursuivi Nicolas Sarkozy, cité par Le Figaro. Le Hamas a dénoncé cette force sans tarder, la qualifiant « d’ingérence flagrante dans les affaires palestiniennes intérieures ». Selon le Hamas, la proposition du président Sarkozy « entre dans le cadre de la guerre déclarée contre les Palestiniens » et est dirigée contre « la résistance palestinienne et le Hamas ».

Le dialogue est ouvert, disions-nous ?

____________________________