vendredi 21 décembre 2007

Les Marocains se définissent d’abord comme musulmans

Nabil Tawssi écrit, sur le Portail marocain d’actualités, Marrakech : « Ces dernières années, la presse marocaine a relativement haussé le rideau sur des scandales aux multiples facettes financières, mœurs, injustices, sociales et divers abus de pouvoirs en détournements des fonds privés ou étatiques ». […] Et Tawssi de poursuivre : « Posez autant que vous voulez des questions on ne vous vend que des crimes et de sexe pas plus, ne serait que pour adoucir les mœurs et attiser les envies des démunis en sentiments ». Le magazine Tel Quel vient de faire exception en interrogeant directement et en profondeur les marocains et en apportant des réponses.

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Au Maroc, un sondage a été mené, au début du mois de décembre, par Tel Quel pour répondre à la question suivante : « Quels musulmans sommes-nous ? » Quel est l’intérêt de ce sondage ? D’abord son exercice. Il a le mérite de consulter une population qui n’est pas toujours libre d’exprimer pleinement son opinion. Ensuite d’en connaître les résultats pour mieux cerner une partie de la communauté musulmane du monde. Comme l’indique avec à-propos Tel Quel dans sa courte présentation : « La vérité des chiffres, largement inédite, offre une nouvelle lecture de nos mœurs, nos jugements et nos traditions. Le détail anecdotique (combien parmi nous ont un exemplaire du Coran et combien l’ont appris par cœur), les réflexes de culture (combien approuvent la mixité dans les écoles, les plages, etc.), les opinions bien arrêtées (combien admettent l’ingérence de la religion en politique), les questions de société (voile, jeûne), les sujets d’actualité (combien sommes-nous à sympathiser avec le jihad, à appeler au takfir, à approuver encore la polygamie), etc. »

Q 1. - Le Coran à la maison

Un peu moins de 60 pour cent (58,9%) des personnes sondées avouent qu’elles ne lisent pas le Coran à tous les jours contre 28,1% qui avouent le lire de temps à autre. 82% des personnes sondées ont révélé ne mémoriser que quelques sourates contre 1,4 % qui ont mémorisé la totalité du Coran et 5,6 % qui en ont mémorisé quelques ahzab. Le taux de ceux qui n’ont rien mémorisé du Coran est de 6,8% des personnes scolarisées contre 22,9% de non scolarisées chez les 18-24 ans, alors que chez les 60 ans et plus, le taux de non-mémorisation est de 16,7% chez les personnes non scolarisées contre 0% chez les scolarisées d’entre elles.

Q 2. - La pratique du jeûne

59,9% des personnes sondées désavouent comme musulman quiconque ne fait pas le jeûne contre 27,9% qui pensent le contraire. 44,1% considère qu’une personne qui ne pratique pas le jeûne doit être punie jusqu’à ce qu’elle reprenne le droit chemin, 40,8% croient qu’il s’agit d’une question privée et qu’on est libre de ne pas jeûner et 14,2% en viennent à penser qu’il faut jeûner par conformisme. Par ailleurs, 82,7% des personnes sondées se disent en désaccord pour que les cafés et les restaurants restent ouverts, le jour, pendant le mois de ramadan, pour les musulmans qui ne pratiquent pas le jeûne. S’agissant de leur ouverture pour des non musulmans, le taux des “non tolérants” baisse (41,7%).

(…) Le rapport particulier au jeûne du ramadan transparaît à propos du degré de tolérance envers sa propre progéniture. Si moins de 1% des femmes consentiraient à préparer le repas à leurs enfants non jeûneurs et seulement 11% accepteraient qu’ils le préparent eux-mêmes à la maison pendant le mois de ramadan, 70% d’entre elles refusent toute idée de complicité active ou passive avec leurs propres enfants.

Q 3. - La mixité des plages

La mixité est approuvée par 50,7% des répondants lors des mariages alors que 40,9% la rejettent. Dans la pratique, 67,1% des répondants assistent à des cérémonies mixtes. On peut parler, à cet égard, d’un léger décalage entre l’idéal - la séparation des sexes - et le comportement qui serait davantage orienté par des contraintes sociales et familiales. La plage, espace où le corps, notamment celui de la femme, poserait problème, constitue un lieu où la mixité acquiert un sens particulier. 57,4% des répondants désapprouvent la mixité sur les plages. Par ailleurs, la mixité à l’école est largement approuvée (77,2%). L’attitude à l’égard de la mixité n’est pas absolue et elle varie selon les lieux et les contextes.

Q 4. - La télévision, première source d’information religieuse

Pour 34,5% des personnes sondées, l’avènement de la télévision constitue maintenant la source première de l’information religieuse. Parmi ces dernières, 61,2% citent des chaînes arabes orientales spécialisées en matière religieuse, 47% des chaînes marocaines, et 24,1% des chaînes arabes orientales généralistes. Pour les plus traditionnalistes, 24,7% puisent encore la principale source en matière religieuse des imams dans les mosquées et pour 5,8% des prédicateurs. Les autres nouveaux supports, comme la cassette audio (11,9%), le DVD (6,1%) et l’Internet (1,7%), sont peu utilisés.

Q 5. - Le port du voile

83,2% des personnes sondées approuvent le port du hijab dont 64,9% pour des raisons religieuses et 17,2% pour des raisons non religieuses (pudeur, respect). Approuver le port du hijab est une chose, mais en faire une obligation pour la femme musulmane en est une autre. En effet, 75% des répondants trouvent qu’une femme peut être considérée comme musulmane sans porter le hijab, alors que 9,9% pensent le contraire.

Q 6. - La religion et la politique

À la question : « A votre avis, la religion doit-elle guider la vie personnelle seulement ou la vie politique aussi », 26,3% des personnes sondées ont répondu que la religion doit être limitée à la vie personnelle alors que 28,9% croient qu’elle doit guider la vie politique. Point à remarquer, 44,8% ont répondu ne pas savoir quelle position prendre. Sur le rapport entre la religion et la politique, une portion de 24,9% trouve que la religion devient dangereuse quand elle se mêle de politique et 26,1% pensent le contraire. Dans ce cas aussi, 48,8% des répondants se disent sans opinion.

41,5% pensent que les hommes politiques ne doivent pas se mêler de la religion et 18,1% pensent le contraire. 35,4% pensent que les spécialistes du religieux (oulémas, prédicateurs…) ne doivent pas traiter de politique et 25,2% pensent le contraire. Concernant particulièrement le prêche du vendredi, 33,4% pensent qu’il doit éviter les questions politiques alors que 32% pensent le contraire. Lorsqu’il s’agit de partis politiques qui se présentent comme religieux : 47,6% sont contre ce type de parti politique, 10,3% y sont favorables et 39,6% n’ont pas d’opinions.

Q 7. - Interaction entre juifs marocains et musulmans marocains

Récemment, les pèlerinages de Marocains juifs de la diaspora (résidant en Europe, au Canada, aux USA et en Israël) ont donné une nouvelle impulsion aux fêtes célébrées en l’honneur de saints juifs. 40,0% des personnes sondées sont au courant de l’existence de ce type de sanctuaires. La question d’interdire les cultes juifs ne se pose pas, la tolérance est plus facile à afficher lorsque chacun prie dans son sanctuaire. Dans le cas des cultes interconfessionnels, 41,6% pensent qu’il faut les interdire et 19,2% pensent qu’il faut les maintenir. 45,6% des répondants n’approuvent pas que des chaînes de télévision marocaines retransmettent ces cérémonies et fêtes alors qu’ils sont 24,1% à l’approuver. 40% au moins des répondants désapprouvent toute interaction entre juifs marocains et musulmans marocains, ceux-ci ne doivent partager ni un sanctuaire, ni un rituel, ni le petit écran. Chacun devrait pratiquer séparément sa religion et ses coutumes.

Q 8. - La polygamie

Plus les personnes avancent en âge, plus le taux de celles d’entre elles qui sont favorables à la polygamie augmente. En effet, 44 % des personnes sondées (36,9% chez la tranche d’âge 18-24 ans et de 60% chez les 60 ans et plus) se disent en faveur de la polygamie. L’opinion favorable à la polygamie se trouve également plus confirmée chez les catégories scolarisées de la population que chez les catégories non scolarisées : 38,1% de scolarisés contre 32,9% de non scolarisés chez les 18-24 ans, 70,3% de scolarisés contre 56,5% de non scolarisés chez les 60 ans et plus.

Q 9. - Les mouvements « jihadistes »

À la question : « Êtes-vous d’accord ou non avec les mouvements « jihadistes », 17,6% de la population répondent par « oui », 28,9% par « non », 32,2% par « ne sait pas » et 20,8% sont sans opinion. Plus on est jeune, plus on est d’accord avec les mouvements jihadistes. Ainsi sont d’accord ces 21,8% des 18-24 ans contre 9,7% des 60 ans et plus. Plus on descend dans la hiérarchie des âges et plus ce désaccord s’amplifie : 31,4% chez les 18-24 ans contre 20% chez les 60 ans et plus.

Q 10. - Musulman afghan, chrétien palestinien ou juif marocain ?

Sur la question de « désigner, sur la base d’un critère religieux, la personne la plus proche de soi : un musulman afghan un chrétien palestinien ou un juif marocain », 66,3% des Marocains se considèrent plus proches d’un musulman afghan que d’un juif marocain (12,9%) ou d’un chrétien palestinien (6,3%). Les plus âgés d’entre eux sont les plus catégoriques à cet égard : 82,1% des 60 ans et plus s’identifient à un musulman afghan, 6,9% à un juif marocain et seulement 2,1% à un chrétien palestinien contre successivement 52,9%, 16,7% et 12,3% chez les 18-24 ans. Les plus jeunes se déclarent proches d’un juif marocain dans une proportion plus élevée que les générations plus âgées.

Q 11. - La contraception et l’avortement

Les femmes sont à 89% pour la contraception, soit dix points de plus que les hommes. Sur les 11% (des femmes) qui y sont opposées, 71% le sont pour des raisons religieuses et 25% pour des raisons de santé. Lorsqu’il s’agit de l’IVG (interruption volontaire de la grossesse ou avortement), 94% des femmes y sont opposées, presque autant que les hommes. 87% des femmes y sont opposées uniquement pour des raisons religieuses et 7% associent dans la même réponse questions de santé et questions de religion.

Q 12. - Le crédit bancaire

Ils sont 45% de la population sondée à envisager de contracter un crédit bancaire avec intérêt, en cas de besoin, 37,5% d’entre eux rejettent l’idée de le contracter et 22% qui ne savent pas quoi faire. Mais le rejet du crédit bancaire n’a pas que des raisons religieuses. Bien au contraire, l’argument religieux n’apparaît que chez une minorité de ceux qui n’envisagent pas de prendre de crédit bancaire lorsqu’ils ont besoin d’argent. 65,8% des personnes sondées avancent des raisons non religieuses à leur rejet du crédit bancaire contre seulement 32,6% qui évoquent une raison religieuse.

Q 13. - Présence des imams femmes

84,5% des femmes sondées sont contre une telle pratique, presque autant que les hommes ! 80% des femmes ont par ailleurs une opinion sur le costume islamique masculin, 50% d’entre elles pensent que les hommes n’ont pas d’obligation dans ce domaine. Elles sont 91% à avoir une opinion sur le costume dit autorisé pour les femmes et 63% d’entre elles à penser qu’il est obligatoire, un peu moins que les hommes qui partagent le même avis à hauteur de 69%. Sur la question du hijab, toutes les femmes interrogées se sont prononcées : elles sont 84% à penser qu’il est souhaitable de le mettre et 8% à se déclarer opposées à son port.

Q 14. - Dans l’islam, il y a solution à tout

La majorité des Marocains considère la religion musulmane comme une religion supérieure, valable en tout temps et en tout lieu. Les musulmans, qu’ils soient théologiens ou adeptes, ont toujours donné cette définition à l’islam. 66% des personnes sondées pensent que, dans l’islam, il y a solution à tout, contre seulement 5,8% qui pensent le contraire, alors que 20,9% des sondées déclarent ne pas savoir et 6,9% n’ont pas d’opinion. « S’il y a dans l’islam une solution à tout, cela se retrouverait dans quel domaine ? » La réponse est : 99,3% pour les relations sociales (mou’amalât), 95,7% pour la santé et la médecine, 91,7% pour l’économie, 88% pour la politique et 77,7% pour la technologie.

Q 15. - Musulmans, ensuite Marocains, arabes, etc.

La majorité des Marocains se définissent d’abord comme musulmans, puis comme Marocains. Les identités arabe, berbère et africaine viennent successivement en troisième, quatrième et cinquième positions. L’identité musulmane est placée au premier rang par 66,9% des 60 ans et plus et par seulement 49,8% chez les 18-24ans. 15,7% de cette dernière population l’ont même classée en troisième position comme l’ont fait 6,9% des 60 ans et plus. En revanche, l’identité marocaine est classée au premier rang par 32,1% des 18-24 et par 22,1% des 60 ans et plus. L’identité arabe est placée en tête des identités par 7,8% de la population des 18-24 ans et, fait très frappant, par 0,7% des 60 ans et plus. Au final, l’identité musulmane est très affirmée par les vieux comme par les jeunes

Ce sondage inquiète la rédaction du journal Tel Quel. Karim Boukhari et Youssef Mahla notent : « Certaines vérités méritent d’être isolées et traitées à part, sans tarder, parce qu’elles se suffisent à elles-mêmes. A la question, par exemple, de savoir quelles sont, dans l’ordre, les trois qualités principales de l’homme politique, les “répondants” ont classé l’honnêteté en tête (46,1%), ensuite la piété (37%) et enfin l’efficacité (14,4%). Voilà au moins qui va plus loin que le vague sentiment que l’on n’est pas tout à fait ancrés dans des valeurs de travail et de rendement. Une autre vérité, déjà effleurée, est ici confortée : notre identité musulmane prime sur la marocaine. C’est que la nation, socle indispensable de la construction de la modernité, a encore du chemin à parcourir avant de devenir la première de la classe. Par ailleurs, L’islam au quotidien nous rappelle combien le recensement de certaines hétérodoxies religieuses reste illusoire : combien de Marocains n’observent pas le jeûne pendant le ramadan ? Combien ne croient pas en Dieu ? Ces questions demeurent insondables, parce que criminalisées par la loi ou, sont simplement prisonnières du tabou mental et culturel. Que toutes ces angoisses ne nous fassent pas perdre de vue l’essentiel : une société qui diagnostique (de plus en plus) ses retards se donne une chance de les combler ».

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