Votre ami est mal conseillé. Cet ami est également votre employeur. Vous savez que son entourage favorise nettement le mensonge afin d’atteindre les objectifs que le petit groupe de l’entourage de votre ami se fixe. Un jour, vous quittez votre ami et votre patron. Pour le remercier, vous publiez une autobiographie dans laquelle vous révélez tous ces détails qui feront paraître votre ami comme un fieffé menteur. Et vous croyez ainsi rendre service à celui qui vous a offert un emploi pendant trois ans.
Scott McClellan, 40 ans, est resté sept ans aux cotés de George Bush, d’abord lorsque ce dernier était gouverneur du Texas, puis à Washington, de juillet 2001 à avril 2006, où il a eu pour mission d’être le porte-voix des faits et gestes du président. Il vient de publier un pavé de 341 pages : What Happened : Inside the Bush White House and Washington’s Culture of Deception (Ce qu’il s’est passé : Au cœur de la Maison blanche de Bush et de la culture de la tromperie à Washington). Ce livre, dont des extraits ont déjà été publiés, sera mis en vente ce lundi, premier juin. Selon l’ami et conseiller du président américain, Georges W. Bush a géré la Maison Blanche comme on gère une campagne électorale au lieu d’assurer un arbitrage salutaire aux diverses tendances contradictoires de son entourage.
Après Paul O’Neill, ancien secrétaire au Trésor, en 2004, après Richard Clarke, ancien conseiller de l’administration sur les questions de contreterrorisme, après George Telnet, ancien directeur de la CIA, après Matthew Dowd, ancien stratège en 2004, un autre ami qui vous veut du bien, Scott McClellan, celui-là même qui a tenu, pendant trois ans, les briefings quotidiens de la Maison Blanche, sort la grande artillerie pour mieux cibler son ancien patron. Mais il rassure le lecteur : « J’aime et admire toujours le président Bush mais ses conseillers et lui ont confondu une campagne de propagande avec le haut niveau de franchise et d’honnêteté fondamentalement nécessaire pour bâtir et préserver un soutien de l’opinion publique en temps de guerre ».
McClellan reconnaît donc qu’il voue une admiration pour ce président qu’il a rejoint en 1999 au Texas. George W. Bush est vu comme un homme intelligent, charmeur et politiquement habile mais qui ne veut pas reconnaître ses erreurs et « se convainc à croire ce qui l’arrange sur le moment ». En même temps, l’ami qui vous veut du bien glisse, au passage, que Georges W. Bush aurait déjà sniffé de la cocaïne, citant ces propos ambigus, tenus en privé en 2000 : « Je ne me souviens pas en avoir consommé ou non : nous avons eu quelques soirées folles à cette époque ». Éberlué, McClellan s’interroge : « Comment quelqu’un peut-il oublier s’il a consommé ou non une substance illégale comme la cocaïne? Cela ne tenait pas debout ».
Au-delà du potin mondain, McClellan aura été porte-parole du président pendant les évènements du 11 septembre 2001, puis lors des guerres en Afghanistan et en Irak. Sans gêne aucune, McClellan affirme maintenant que le public a été très mal informé mais que lui-même était sincère à l’époque. Rien de surprenant donc d’apprendre que, selon McClellan, George W. Bush a orchestré une campagne de propagande destinée « à manipuler les sources de l’opinion publique » pour pouvoir vendre au peuple américain la guerre en Iraq. Et c’est ce même McClellan qui, à quelques mois de sa démission, en 2006, soutenait âprement la justesse de la décision du président d’entrer en guerre contre Saddam Hussein. « L’un des pires désastres de notre histoire est devenu l’un des pires désastres de la présidence Bush », écrit Scott McClellan.
Et de cette période, McClellan tire également à boulets rouges sur le rôle des médias américains. McClellan qualifie les médias US de « complices actifs » de « la campagne savamment orchestrée pour fabriquer et manipuler le consentement des sources d’information du public ». Selon l’auteur, « les médias nationaux ont probablement été trop respectueux envers la Maison-Blanche et l’administration concernant la plus importante décision de la nation durant les années où j’étais à Washington : la décision d’aller à la guerre en Irak », écrit-il. « L’effondrement des justifications fournies par l’administration pour la guerre, qui est devenu évident quelques mois après notre invasion, n’aurait jamais dû nous surprendre de la sorte… Dans cette situation les “médias libéraux” n’ont pas été à la hauteur de leur réputation. S’ils l’avaient été, le pays aurait été mieux servi ».
En 2006, Scott McClellan avait quitté la Maison Blanche par suite du scandale Valerie Plame qui avait fortement entamé le crédit de la Maison Blanche. Épouse de l’ancien ambassadeur Joseph Wilson qui avait accusé l’administration américaine d’avoir menti sur les prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein, madame Valerie Plame avait été l’objet d’une fuite dans la presse sur son rôle d’agent secret au sein de la CIA. Lewis Scooter Libby, ancien directeur de cabinet du vice-président américain Dick Cheney, avait été condamné à 30 mois de prison pour parjure, mensonge et obstruction à la justice dans le cadre de cette affaire.
Dans son livre, McClellan tire aussi à boulets rouges contre l’ancien stratège et conseiller de M. Bush, Karl Rove, et Lewis “Scooter” Libby. Il les accuse de l’avoir dupé à propos de leurs rôles dans le scandale de la divulgation de l’identité de l’ex-agent de la CIA. Selon Rove et Libby, McClellan n’assistait pas aux réunions-clés où était élaborée la politique américaine. Pour l’ancien conseiller en chef et stratège politique, ciblé par McClellan, Karl Rove, « cela ne ressemble pas à Scott, vraiment pas. Pas au Scott McClellan que je connais depuis longtemps. On dirait plutôt un blogueur de gauche ». Karl Rove suggère-t-il que quelqu’un d’autre aurait pu écrire ce livre? Voix discordante au chapitre des dénonciations contre l’auteur : la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, s’est déclarée en complet accord avec les critiques de McClellan.
Ce que confirme au fond McClellan est le fonctionnement en bulle étanche de l’administration de Georges W. Bush à la Maison Blanche. Déconnectée totalement de la réalité. Et ce que dit McClellan aux yeux de l’histoire n’est pas faux : « Personne ne peut savoir avec certitude comment sera jugée cette guerre dans des décennies, quand nous pourrons vraiment comprendre son impact. Ce que je sais, c’est que la guerre doit être engagée seulement quand elle est nécessaire et que celle d’Irak ne l’était pas ». Mais cela ne plaît pas à tout le monde. « La décision de McClellan de publier ses mémoires n’est pas professionnelle », a critiqué Frances Frago Townsend, ancienne conseillère de M. Bush pour la sécurité intérieure et la lutte antiterroriste.
Pourquoi donc McClellan s’est-il livré à un striptease aussi progressif? L’auteur du pavé soutient que Georges W. est un homme qui n’a pas le sens de la réalité et qui refuse de reconnaître ses erreurs. Des critiques qui ont suscité un tollé parmi les fidèles du président. L’actuelle porte-parole de la Maison Blanche, Dana Perino, a indiqué que M. Bush était « étonné » et « déçu » par le contenu du livre : « Scott, nous le savons, est mécontent de son expérience à la Maison blanche. Pour ceux d’entre nous qui l’ont soutenu avant, pendant et après qu’il ait été porte-parole, la perplexité est grande. Il est triste, et cela nous l’ignorions ».
En réponse à ces critiques, McClellan répond : « C’est une bataille du pouvoir et d’influence, au lieu de délibérations conjointes et de compromis. L’administration Bush se comportait comme si elle était toujours en campagne électorale, plutôt que d’avoir un dialogue honnête avec le peuple américain ».
Déjà premier dans les ventes de livres sur Amazon en une semaine de vente, alors que le livre sort aujourd’hui dans les librairies, l’Association libérale anti guerre du Golfe 2 s’oppose, comme l’indique ActuaLitté, au versement des revenus du livre à son auteur, Scott McClellan. Après avoir passé des années à défendre l’administration Bush, et perpétuer les mensonges qui ont conduit notre pays à la guerre, Scott McClellan est sur le point de faire de l’argent avec son livre ‘je balance tout’, et va brasser des centaines de milliers voire des millions de dollars, dénonce le groupe. Pendant ce temps, nos troupes sont encore en train de mourir en Irak ». À ce sujet, le site Web MoveOn.org invite les américains à signer une pétition pour marquer davantage cette opposition au versement des droits d’auteur à l’ancien porte-parole de la Maison Blanche.
La secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice, qui n’en manque pas une pour défendre la politique de son patron en Irak, n’a pas voulu commenter un livre qu’elle n’a pas lu, dit-elle. Mais, de Stockholm, elle s’est interrogée : « Si le monde entier ne croyait pas cela à l’époque, alors permettez-moi de demander pourquoi l’Irak se trouvait soumis à des sanctions parmi les plus sévères jamais imposées par la communauté internationale. On ne peut pas considérer cette époque avec le regard d’aujourd’hui et dire que nous aurions dû savoir certaines choses que nous ignorions en 2001, 2002 et 2003. Les États-Unis n’étaient pas les seuls à croire que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive ».
Pour madame Rice, à propos des erreurs commises par Washington en Irak, il est prématuré de juger l’histoire, et si certaines choses auraient pu être faites différemment, « déclarer la guerre à l’Irak en 2003 » et « libérer le peuple irakien de Saddam Hussein » n’étaient pas une erreur.
(Sources : AFP, Cyberpresse, Presse canadienne)
____________________________