vendredi 30 mai 2008

Les civils représentent 85 % des victimes des armes à dispersion et les enfants, 23 %

« Les civils ont payé cher l’absence de fiabilité et de précision des armes à dispersion larguées en masse sur de vastes zones. Leurs vies racontent l’histoire de la « souffrance inacceptable » que ces armes infligent. Il faut que ces pertes en vies humaines et notre humanité nous motivent collectivement à mettre un terme à ce schéma effroyable d’utilisation des armes à dispersion qui ont fait souffrir les populations civiles pendant des décennies. Pour bon nombre, nos efforts arrivent, hélas, trop tard », Jakob Kellenberger, Conférence diplomatique sur les armes à dispersion (armes à sous-munitions), Dublin, le 19 mai 2008.

_____________________

Selon un rapport de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat français, les armes à sous-munitions (BASM) ou armes à dispersion constituent une appellation générique désignant tout système d’armes constitué d’un contenant, ou « munition-mère » (missile, bombe, obus, roquette), destiné à emporter et disperser plusieurs munitions explosives, ou « sous-munitions », conçues pour fonctionner à l’impact. Le rapport nous indique que, depuis les années 1960, les armes à sous-munitions ont été utilisées dans une vingtaine de pays, parfois de manière circonscrite et lors de frappes ponctuelles, parfois de manière plus systématique et massive, notamment lors de la guerre du Vietnam et de la guerre du Golfe, puis, plus récemment, en Irak en 2003 et au Sud-Liban en 2006.

Entre 5 % et 30 % de ces armes n’explosent pas à l’impact au sol et menacent dès lors les populations des pays « pollués » comme le Laos, la Bosnie, l’Irak, l’Afghanistan ou le Liban. Les civils représentent 85 % des victimes d’accidents par mine ou munition explosées et les enfants 23 %, selon Handicap International.

À la Conférence diplomatique sur les armes à dispersion, qui s’est ouverte lundi 19 mai à Dublin, 111 pays ont, après 10 jours de négociations, donné leur accord à un projet de traité interdisant l’utilisation, la mise au point et le stockage des BASM dans le monde. La « Convention sur les armes à sous-munitions » prévoit, selon la version française de l’avant-projet, que chaque État signataire « s’engage à ne jamais, en aucune circonstance, employer d’armes à sous-munitions ; mettre au point, produire, acquérir de quelque autre manière, stocker, conserver ou transférer à quiconque, directement ou indirectement, des armes à sous-munitions ; assister, encourager ou inciter quiconque à s’engager dans toute activité interdite à un État partie en vertu de la présente Convention ».

Les grands absents à cette conférence? Les grands pays producteurs de ces armes, les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde, le Pakistan et Israël. « Cela aurait été mieux s’ils avaient tous été ici mais … le monde aurait-il été meilleur si nous avions tout laissé tomber en raison de leur absence? Non », a souligné à l’AFP le ministre norvégien des Affaires étrangères, Jonas Gahr Stoere. Les États-Unis, eux, ont prévenu que l’accord de Dublin ne changerait en rien leur politique militaire. « Les États-Unis partagent les craintes d’ordre humanitaire des pays rassemblés à Dublin, mais les bombes à sous-munitions ont montré leur utilité militaire, et leur élimination des stocks américains mettrait en danger la vie de nos soldats et celles de nos partenaires », a déclaré Tom Casey, porte-parole du département d’État. Un autre porte-parole de la Maison Blanche a indiqué, par voie de communiqué, que « les États-Unis sont profondément préoccupés par l’impact humanitaire, non seulement des armes à sous-munitions, mais de tous les types de munitions utilisés en temps de guerre ». Le communiqué rappelle aussi que les États-Unis « ont dépensé plus de 1,2 milliard de dollars pour nettoyer les zones de guerres et les anciennes zones de conflits et les rendre sûres pour les civils » depuis 1993.

Le ministre irlandais des Affaires étrangères, Micheal Martin, a affirmé que la communauté internationale entendait faire pression sur ces pays pour qu’ils abandonnent progressivement ce type d’armes. Le Royaume-Uni, qui figurait jusqu’ici parmi les États qui ne faisaient rien pour interdire ces armes, a joué un rôle important dans la rédaction de l’entente. Le Premier ministre britannique Gordon Brown avait annoncé la mise hors service de ses BASM peu avant l’accord. Berlin a pris la même décision jeudi avec effet immédiat. Bernard Kouchner a salué un texte destiné « à en finir avec le drame humanitaire » des BASM et a rappelé que Paris avait annoncé vendredi le retrait immédiat de “plus de 90%” de ses stocks de BASM.

Le traité, document qui est l’aboutissement de plus d’un an de pourparlers entamés en Norvège et qui devra être formellement signé à Oslo, en décembre prochain, entrera en vigueur six mois après sa ratification par 30 pays. Dès lors, l’interdiction des BASM sera immédiate. La destruction des BASM par les pays signataires devra avoir lieu dans un délai de huit ans. Le texte a été qualifié de « fort et ambitieux » par l’Irlande, d’ « historique » par les Pays-Bas et d’ « étape importante dans le développement d’un droit humanitaire international » par l’Autriche.

Selon la Suisse, un bémol persiste toutefois puisque les pays qui ont signé la convention pourront continuer de collaborer avec des pays non-signataires, qui utilisent encore ce type d’armes. S’il n’a pas été signé par Washington, le document contient plusieurs concessions aux États-Unis. Des versions précédentes du projet prévoyaient d’interdire une telle coopération, une idée rejetée par Washington et ses alliés de l’OTAN parce qu’elle rendrait difficiles, voire impossibles, les opérations conjointes de maintien de la paix. Toujours selon la Suisse, l’accord aurait pu être plus flexible sur les délais de mise en œuvre afin de rallier les pays producteurs. Sur l’absence, notamment, des États-Unis, Thomas Nash, coordinateur de la Coalition contre les armes à sous-munitions (CMC) soutient que le message envoyé aux États-Unis est que tous les alliés militaires ont interdit ces armes.

Selon le réseau des huit associations nationales de Handicap International (Allemagne, Belgique, Canada, France, Luxembourg, Suisse, Royaume-Uni, USA), certains points du traité constituent de sérieuses déceptions, à commencer par le principe d’interopérabilité : les États signataires sont autorisés, comme le déplorait la Suisse, à participer à des actions militaires conjointes avec des États qui utiliseraient des BASM, consacrant l’influence des États-Unis sur le processus. « Une vigilance de tous les instants devra être de mise afin de s’assurer que certains États ne profitent pas des failles que présentent ce traité pour continuer à faire usage de ces armes », a déclaré Madame De Graff, directrice de Handicap International Canada.

Selon le quotidien britannique The Independent, il s’agit là d’un « pas en avant significatif » (a step forward) mais « que d’un pas en avant ». « Il ne faut pas y voir une destination finale (…) Si les plus grandes armées de la planète refusent de limiter leurs stocks, quel bien cela pourrait-il apporter? », écrit l’éditorialiste. L’accord ne sera « pas universel », souligne pour sa part le Financial Times. « Mais le nombre grandissant de gouvernements soutenant le traité suggère que les normes de la guerre changent ».

Il faut être réaliste, comme le rappelle le colonel Jean-Louis Dufour, officier de carrière dans l’Armée française, ex-attaché militaire au Liban, chef de corps du 1er Régiment d’infanterie de marine, cité par L’économiste, quotidien marocain. « Des États qui en possèdent, comme la France, ont déclaré « retirer immédiatement du service opérationnel la roquette M 26 », ce qui permet de s’en réserver l’usage en cas de besoin. D’autres États, comme la Russie ou la Chine, mais aussi le Pakistan, l’Inde, Israël, opposés à toute interdiction, ont jugé inutile de participer à la Convention. Non présents eux aussi à Dublin, les États-Unis ont menacé de ne plus prendre part à des opérations multinationales de maintien de la paix si la conférence prononce l’interdiction des sous-munitions. Le bannissement de cette arme pourrait bien seulement ajouter un chapitre au volume déjà épais des limites à l’emploi de la violence armée que les hommes s’efforcent d’appliquer à la guerre depuis deux mille ans ».

(Sources : AFP, Cyberpresse, L’Économiste, Presse canadienne, The Independant, The Financial Times)

____________________________