mardi 13 mai 2008

Selon l’Association médicale canadienne, Taser International confronte de façon musclée chercheurs et coroners

Une décision judiciaire rendue en Ohio est particulièrement inquiétante. Un tribunal de l’Ohio a ordonné le retrait de toute référence à l’arme Taser dans les résultats d’autopsie que pratique un médecin légiste. Taser a intenté une poursuite contre le médecin légiste d’un comté de l’Ohio après qu’elle eut avancé que le recours au pistolet à impulsion électrique avait été un facteur ayant contribué à trois décès dans le territoire sous sa juridiction. Le principal médecin légiste des États-Unis a jugé que la décision de la cour, rendue la semaine dernière, était « dangereusement proche de l’intimidation ».

Le gouvernement de la Colombie-Britannique a mis sur pied une Commission d’enquête sur l’utilisation du Taser à la suite de la mort de l’immigrant polonais, Robert Dziekanski, à l’aéroport de Vancouver en octobre dernier. Robert Dziekanski, 41 ans, venait rejoindre sa mère, Zophia Cisowski qui vit à Kamloops, en Colombie-Britannique. Cette histoire avait fait le tour du monde en raison d’une vidéo captée par un témoin sur les lieux du drame. L’arme à décharge électrique est depuis très mal perçue par la population. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a demandé au juge à la retraite, Thomas Braidwood, de présider cette enquête à deux volets. Une première partie de l’enquête portera uniquement sur la sécurité du pistolet électrique. La seconde partie de l’enquête examinera l’incident au cours duquel est mort Dziekanski quelques minutes après avoir été atteint par une ou plusieurs décharges d’un Taser par des policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Thomas Braidwood a ouvert l’enquête en rappelant que des millions de personnes à travers le monde avaient vu l’enregistrement vidéo de la mort de M. Dziekanski, et que la réaction avait été immédiate et intense. Madame Zophia Cisowski, la mère de Robert Dziekanski, ne formule qu’un vœu : que l’enquête mette fin à l’utilisation des armes à décharge électrique. C’est le message que transmettra à la commission l’avocat de madame Cisowski, Walker Kosteckyi. « Des gens sont morts après avoir été victimes du Taser, et un moratoire s’impose, le temps de récolter davantage d’information sur sa sécurité », a rappelé l’avocat. Il explique qu’aucune étude indépendante d’envergure n’a jamais été menée sur l’utilisation du pistolet Taser, ce qui n’empêche pas les forces policières de tenir pour acquise la sécurité de l’arme.

C’est un peu ce que confirme le Journal de l’Association médicale canadienne (AMC) qui prend position dans un éditorial cinglant : « Les dangers associés à l’utilisation du pistolet électrique Taser doivent faire l’objet d’études scientifiques indépendantes ». La publication dénonce la firme Taser International pour avoir financé la réalisation de la majorité des études qu’elle cite afin de démontrer que son produit est sécuritaire. Selon l’association médicale canadienne, Taser International a confronté de façon musclée les chercheurs et les coroners qui se sont inquiétés des dangers du pistolet électrique.

La police d’Ottawa, par exemple, continue d’utiliser le pistolet électrique. Une quarantaine de minicaméras seront insérées à l’intérieur des pistolets. Le sergent Mark Barclay, de l’escouade tactique, croit que la population comprend que le pistolet Taser est utilisé en toute légalité. Paul Smith n’est pas de cet avis. La police d’Ottawa avait utilisé le pistolet Taser contre, lui le 29 mai 2003, alors qu’il était menotté. Une enquête interne avait d’abord innocenté les policiers mais M. Smith a, par la suite, obtenu gain de cause en appel parce que des témoins avaient capté la scène. La police d’Ottawa assure de son côté que les images tournées lors d’un incident ne peuvent pas être manipulées après une intervention. Après les multiples bavures et tentatives de camouflage des corps policiers et leur tendance nouvelle à censurer leurs rapports internes, difficile à croire.

Contrairement, par exemple, aux prétentions de la Gendarmerie royale du Canada, Dziekanski était inoffensif et les images captées en direct confirment que les policiers fédéraux ont déformé les faits pour tenter de camoufler leur bavure. La Presse Canadienne, en vertu des dispositions de la Loi sur l’accès à l’information, a obtenu une copie du rapport de la Gendarmerie royale du Canada sur la mort de Robert Dziekanski. Rapport fortement censuré, il va sans dire. Bien que le nom de M. Dziekanski ait disparu du document de quatre pages, il est clair que ce dernier porte sur l’incident Dziekanski pour quiconque a vu la vidéo prise par un témoin et ils sont des millions dans le monde entier à l’avoir vue. Et cette même vidéo a provoqué une vague de protestations et la tenue à la grandeur du pays de plus d’une douzaine d’enquêtes sur l’utilisation de l’arme Taser par la police. Qu’à cela ne tienne, la GRC protège son personnel : le nom et le grade de l’agent s’étant servi de l’arme Taser, le nom de son superviseur, des détails au sujet de la durée de l’incident de même que le nombre de fois que l’arme a été utilisée ont été censurés.

Des députés de l’opposition, au parlement canadien, et des membres d’organisations de défense des droits de la personne ont critiqué la GRC pour avoir supprimé des détails sur des affaires ayant impliqué l’arme Taser, notamment au sujet des blessures subies par les personnes atteintes de décharges.

Les responsables de la Commission du gouvernement de la Colombie-Britannique ont indiqué que leur enquête - portant sur l’aspect médical, l’usage fait par la police de l’arme Taser, la formation et d’autres questions générales relatives au pistolet à impulsion électrique - se poursuivrait et que leurs conclusions ne seraient pas influencées par la décision du tribunal de l’Ohio. Toutefois, il pourrait en être autrement lors de la deuxième partie de l’enquête qui portera plus précisément sur les circonstances de la mort de Robert Dziekanski à l’Aéroport international de Vancouver, l’automne dernier. « Une fois que nous allons nous pencher sur ce qui est arrivé à l’aéroport, ça va être différent. Ca va être une vraie enquête dans un sens plus conflictuel », a indiqué Art Vertlieb, conseiller de la Commission d’enquête.

Devant cette Commission, un cardiologue spécialisé en électrophysiologie, le Dr Zian Tseng, de San Francisco, a déclaré devant la commission d’enquête que l’utilisation du Taser comporte des risques bien réels. Selon le médecin, même une personne en parfaite santé peut mourir d’une décharge du pistolet électrique, si elle frappe au bon endroit et au bon moment. Il y a environ trois ans, M. Tseng avait fait parler de lui en déclarant qu’une décharge du pistolet pouvait provoquer l’arythmie cardiaque. Le chercheur aurait été approché par l’entreprise Taser pour qu’il révise ses déclarations aux médias, lui offrant même de financer ses recherches, ce qu’il aurait refusé.

Le président-fondateur d’Ageis Industries, Ken Stethem, est venu également témoigner devant la Commission d’enquête, présidée par le juge Thomas Braidwood. L’entreprise fabrique un bâton qui permet d’atteindre les muscles avec une décharge électrique. C’est un compétiteur des industries Taser.

Selon le témoin, Taser International a utilisé une méthodologie déficiente dans la création, l’élaboration et la mise en marché de l’arme à décharge électrique. Il a affirmé qu’une entreprise doit normalement effectuer des recherches médicales et recueillir des données sur la sécurité, avant de tester le produit sur des animaux, puis sur des humains, ce que Taser International n’aurait pas fait, selon lui. Monsieur Stethem a ensuite souligné que l’information sur le brevet du Taser indique que l’arme émet entre 100 et 500 milliampères d’électricité, alors que des recherches médicales ont découvert que 100 milliampères peuvent hausser la fréquence cardiaque à un rythme fatal.

En France, Taser est encore au premier plan de l’actualité. Olivier Besancenot est accusé de diffamation pour avoir déclaré pendant la campagne présidentielle de 2007 que l’arme était responsable de “150” décès aux États-Unis, ce que l’entreprise nie en réclamant le nom des victimes. L’Express a dévoilé que la vie privée d’Olivier Besancenot « a été épiée, disséquée, mise en fiches par une officine de renseignement privée ». La compagne de monsieur Besancenot, directrice littéraire chez Flammarion, et leur petit garçon de quatre ans et demi, auraient été également espionnés. Et les comptes bancaires du couple décortiqués. L’Express citait même les dirigeants de Taser France comme les possibles commanditaires de ces actes d’espionnage. La société a aussitôt démenti. Taser France a cependant rappelé qu’un contentieux entre elle et Besancenot doit être réglé devant les tribunaux en juin.

(Sources : AFP, Cyberpress, Canoë, Express, Presse canadienne)

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