« J’ai voté oui. C’est ce qu’on me demandait de faire », a déclaré à Reuters un homme de 57 ans, à Hlegu, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Rangoun, où le vote a été reporté de deux semaines. La plupart des gens l’ont sans doute fait. Sur 20 personnes interrogées par Reuters près de bureaux de vote, samedi à Hlegu, seules deux ont reconnu avoir voté non - en chuchotant et après avoir jeté un regard nerveux derrière eux. Comme le rapporte le Courrier international, le texte du projet est disponible dans de nombreuses librairies de Rangoon sous la forme d’un livre de 149 pages vendu presque 1 dollar, une somme exorbitante pour la majorité des habitants de ce pays pauvre. Than Than, 45 ans, est femme au foyer. Elle n’a pas l’intention de dépenser de l’argent pour acheter cet ouvrage : « Nous n’avons même pas besoin de le lire, affirme-t-elle. Même une simple ménagère comme moi connaît suffisamment bien le régime militaire. Je pense qu’ils l’ont fait seulement pour s’assurer de rester au pouvoir ».
Le généralissime Than Shwe, numéro un birman depuis 1992, est soit un naïf, ce dont je doute, soit un fieffé imbécile, ce dont je ne doute pas, pour croire que le simulacre de référendum, qu’il vient de tenir dans son pays, va être tenu, dans le monde civilisé, pour crédible. Avant le début des opérations de vote, des rumeurs évoquaient une victoire programmée du « oui » à 84,6 %. Mais qui va croire, un instant, que cette nouvelle Constitution va ouvrir la voie à des « élections multipartites » en 2010 et à un « transfert de pouvoir » progressif aux civils sur le modèle indonésien? « Cette farce de référendum sera inscrite en lettres vraiment noires dans l’histoire de l’élection et de la démocratie bloquée », a dénoncé le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner.
Pourquoi, en 1990, les premières élections pluralistes qui ont été très largement remportées par la Ligue nationale pour la démocratie (LND), cofondée par Aung San Suu Kyi, n’ont-elles pas été reconnues par la junte militaire? Qui plus est, c’est ce sinistre généralissime Than Shwe qui, une fois devenu le numéro un de la Birmanie, a annulé les élections de 1990 et maintient en résidence surveillée Mme Suu Kyi, devenue Prix Nobel de la Paix.
À son arrivée au pouvoir, le généralissime fait maison nette. En 2004, il limoge pour corruption son Premier ministre, le général Khin Nyunt. Celui-ci avait eu des pourparlers avec Mme Suu Kyi. Khin Nyunt et sa famille ont donc été arrêtés et mis sous écrous. Et ce paranoïaque s’est autoproclamé la réincarnation d’un roi du passé et ne se fait plus appeler que « Bu Daw », un titre emprunté aux anciens souverains. Selon Aung Naing Oo, analyste birman réfugié en Thaïlande, ces galonnés au pouvoir « sont très riches, bourrés de fric ». Selon diverses statistiques, publiées par AFP, les forces armées représentent près de la moitié du budget de l’État et 5% du produit intérieur brut. Ce PIB est l’un des plus faibles de la planète, loin derrière le Cambodge, le Laos ou le Bangladesh.
Un foyer sur quatre vit sous le seuil de pauvreté, relève la Banque mondiale, alors que le pays dispose d’importantes ressources naturelles (gaz, pétrole, or, rubis, teck, cuivre). Force est maintenant de comprendre pourquoi des pays comme la Chine, la Russie, l’Inde et la Thaïlande, intéressées par ses ressources naturelles, en particulier le gaz, côtoient sans mot dire un homme aussi répugnant? En 2007, le régime birman aurait gagné 2,7 milliards de dollars grâce aux exportations de gaz naturel, soit une augmentation de 80% sur un an, rapportait récemment un journal gouvernemental.
Pendant que la junte jouit d’un train de vie fastueux, le despote généralissime Than Shwe maintient en esclavage 47 millions de Birmans. Alors que les pays voisins du Sud-Est asiatique s’ouvrent et font profiter les populations du développement économique, la junte referme ses frontières et s’enrichit au détriment de sa population. Étant une dictature militaire, « lorsque vous êtes dans une position de pouvoir au sein de l’armée, vous pouvez vous enrichir facilement », commente Aung Naing Oo, analyste birman.
Le généralissime Than Shwe, réputé sensible aux conseils d’astrologues, était déterminé à ce que le référendum se tienne à la date prévue. Par exemple, pendant que Nicolas Sarkozy dénonce samedi un régime « éminemment condamnable qui refuse l’aide internationale », le journal officiel du régime annonce que « la tenue du référendum a été couronnée de succès dans l’ensemble du pays » et la télévision d’État diffuse des images de généraux se rendant aux urnes pour voter. Cet article n’évoque pas l’une des pires catastrophes de l’histoire du pays et aucune image ne parvenait de cette même télévision pour illustrer les rescapés du cyclone qui continuaient dimanche à fuir le delta de l’Irrawaddy, région la plus touchée, en quête de nourriture, d’eau et de médicaments. Combien du cynisme, la télévision a largement relayé un spot publicitaire où des chanteurs enjoués exhortaient les Birmans à voter car « le plus bel avenir s’ouvre devant nous si la Constitution est approuvée ». Ce même clip fustigeait aussi les « manipulations » de « colonialistes », les « ingérences étrangères », et plaide pour la défense de la « souveraineté » et de l’ « unité nationales ».
L’aide internationale aux quelque deux millions de sinistrés s’est un peu accélérée dimanche mais elle reste bien en deçà des besoins gigantesques. Dans son rapport, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) faisait état, vendredi dernier, d’estimations oscillant entre 63.000 et 102.000 morts et de 220.000 disparus. Entre 1,2 et 1,9 million de personnes tentent de survivre au dénuement semé par Nargis lors de son passage il y a huit jours. Vu l’ampleur de la tragédie, le volume d’assistance est à des lieues des besoins, selon l’ONU, pour qui seulement 500.000 rescapés ont à ce jour reçu un soutien. Pour calmer le jeu, l’ambassadeur de la Birmanie aux Nations Unies répétait vendredi dernier que son pays avait « l’intention de coopérer avec la communauté internationale pour faire face à ce grand défi ».
Sauf que les militaires birmans entendent gérer eux-mêmes les aides matérielles et financières promises par millions d’euros. La junte a fait savoir qu’elle ne laisserait pas entrer sur son territoire les équipes de logisticiens qui permettraient d’accélérer l’acheminement de l’aide dans le delta inondé, inaccessible par la route. Le désordre persiste : les volumes sont insuffisants et les problèmes logistiques demeurent. Selon les rares ONG présentes sur place, les soldats distribuent les colis de manière très sélective et ne sont pas du tout prêts à gérer une telle situation. La junte a réclamé des moustiquaires et des pilules pour purifier l’eau mais se refuse, encore une fois, à laisser les employés humanitaires étrangers distribuer cette aide dans les zones sinistrées. À Labutta, ville du delta où 80% des logements ont été détruits, les autorités ne fournissent qu’une tasse de riz par famille par jour, a confié à Reuters un responsable de l’aide humanitaire de la Commission européenne.
Signe des difficultés en vue pour les opérations humanitaires, un bateau transportant de l’aide de la Croix-Rouge a coulé après avoir heurté un tronc d’arbre dans le delta de l’Irrawaddy (sud-ouest), a déclaré l’organisation, qui ne déplore toutefois aucun blessé. Après plusieurs jours de frictions avec les autorités, les cargaisons du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies ont été débloquées et remises aux agences respectives en vue de distributions, a indiqué dimanche une source onusienne. Médecins du Monde, dont un avion était en route dimanche vers la Birmanie, a assuré avoir obtenu l’autorisation du régime militaire « de conserver son chargement et de gérer la distribution de son aide humanitaire ». De nombreux rescapés ont été blessés au dos et aux membres par des débris de toute sorte arrachés par les vents de près de 200 km/h. Si ces blessures s’infectent, ils risquent la septicémie. Il a fallu attendre huit jours pour que la junte militaire envoie des médecins dans le delta.
L’ONU a indiqué que la situation était encore loin d’être idéale avec les autorités, en particulier sur les plans administratif et opérationnel. « Il y a toujours de lourdes contraintes, notamment la question des visas qui reste en suspens ».
La communauté internationale a déjà promis des dons pour 67 millions de dollars, dont 31 millions ont déjà été honorés sous forme de matériel, de nourriture ou d’envoi d’équipes de secours. L’ONU vient de lancer un nouvel appel de fonds de 187 millions de dollars pour venir en aide pendant six mois aux sinistrés en Birmanie.
La France qui tente de faire adopter une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU imposant à la Birmanie de laisser passer l’aide, a appelé « solennellement » jeudi soir la junte à « lever toutes les restrictions ». Mais plusieurs pays, emmenés par la Chine, s’opposent à l’évocation de la question par le Conseil. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères de Chine, Qin Gang a dit espérer que la Birmanie coopérera avec la communauté internationale. De son côté, le président chinois Hu Jintao, en visite à Tokyo, a espéré que le cyclone qui a ravagé la Birmanie n’allait pas remettre en cause la « réconciliation » du pays et son « développement démocratique ». Tous auront compris que le « développement démocratique » dont il est question dans les propos de Hu Jintao visait la tenue du référendum de samedi. Le généralissime Than Shwe et le président chinois Hu Jintao partagent les mêmes préoccupations démocratiques. C’est rassurant.
(Sources : AFP, Courrier international, Radio-Canada, Le Figaro, Le Monde, Reuters)
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