La Gouverneure générale, représentante de la reine d’Angleterre et garante de l’unité canadienne, a terminé son tour de piste en France. À l’Élysée, madame Michaëlle Jean a été reçue avec les égards réservés aux chefs d’État. Elle a passé en revue la Garde républicaine, avant d’être accueillie par le président Sarkozy sur le parvis du palais présidentiel. Elle a été reçue à Matignon par le premier ministre François Fillon. Tour de piste terminé, disions-nous. Elle rentre au pays. L’absence du premier ministre québécois, Jean Charest, à des cérémonies, la semaine dernière, concernant le 400ième anniversaire de la fondation de la ville de Québec, a été largement soulignée sur fond de polémiques. « La monarchie est antidémocratique, archaïque, folklorique », avait souligné férocement le chef du Bloc québécois, monsieur Gilles Duceppe.
Le Canada jubile. Le Globe and Mail a marqué le ton, dans un éditorial intitulé « Vive le Canada uni » : « M. Sarkozy a apporté une confirmation bienvenue à ceux qui prédisaient qu’il mettrait de côté l’attitude équivoque des récents présidents français à l’égard du souverainisme québécois et du fédéralisme canadien ». Il est vrai que monsieur Nicolas Sarkozy leur a donné toute une occasion de fierté. « Il faut que vous le sachiez, la France aime beaucoup le Canada », a-t-il déclaré à la Gouverneure générale du Canada, madame Michaëlle Jean, à l’occasion du 63e anniversaire de la victoire du 8 mai 1945. Dans une formulation toute française, monsieur Sarkozy a répété à plusieurs reprises que la France est proche du Québec et qu’elle aime beaucoup le Canada. « On aime les deux. Et ceux qui sont morts ici, on savait de quel pays ils venaient, mais on ne leur a pas demandé de quelle région ils venaient ni quelle langue ils parlaient ».
Madame la Gouverneure générale du Canada a souligné cette : « occasion idéale de célébrer les liens profonds et de très longue date entre la France et le Canada, toute cette histoire que nous avons en partage ».
Pour Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes, qui a rencontré madame Jean à La Rochelle : « la gouverneure générale est « une source d’inspiration, bien sûr, parce qu’elle connaît les enjeux », a dit la socialiste, en évoquant « des liens d’amitié profonds », une « compréhension mutuelle » et des « valeurs de civilisation » communes à la France et au Canada.
Le Globe and Mail se félicite du fait que le président français « a fermement réaligné la politique étrangère française vers le Canada et a pris ses distances avec les souverainistes québécois soulignant qu’il ne veut plus désormais avoir à choisir entre le Canada et le Québec ». Le quotidien anglophone montréalais The Gazette ironise en soulignant que cette affaire « porte un coup à la mythologie souverainiste », voulant que la France soit « la carte maîtresse » des indépendantistes.
Au pays, les partis politiques ont disputé leur interprétation de l’histoire. Pour le premier ministre, Stephen Harper, heureux de la tournure des événements, la Gouverneure générale a un rôle dans ces célébrations puisque « elle est le successeur aujourd’hui de Samuel de Champlain, le premier gouverneur du Canada ». Il n’en fallait plus pour faire bondir le Bloc québécois : « Tout le monde sait très bien que Champlain n’a jamais été gouverneur du Canada, mais bien de la Nouvelle-France », a affirmé son, Pierre Paquette. « Associer Nouvelle-France et Canada comme le font la gouverneure générale et le premier ministre, c’est réécrire l’histoire ». Nouvelle réplique du ministre des Transports et lieutenant politique de Stephen Harper au Québec, Lawrence Cannon : « la ville de Québec n’a pas été fondée par des souverainistes, c’est clair. Québec a été fondé par des gens courageux, par des gens qui voyaient grand et qui voyaient loin. Champlain lui-même a parcouru et cartographié l’Acadie, il a vu la Nouvelle-Angleterre, il a vu effectivement la vallée du Saint-Laurent et la baie Géorgienne. Ce n’est pas compliqué à comprendre, Champlain a été le fondateur de Québec et le précurseur du Canada ». Réponse du leader parlementaire du Bloc québécois, Pierre Paquette : « En 2008, on célèbre la fondation de la ville de Québec, berceau de la nation québécoise. Un point, c’est tout ».
Au Québec, âpres débats également. Mais où était donc le premier ministre du Québec? Monsieur Charest, comme l’écrivait un chroniqueur du Journal de Québec : « lui, soulignait avec emphase à l’Assemblée nationale les liens privilégiés que le Québec entretient avec la… Bavière, en Allemagne! » L’entourage du premier ministre a montré beaucoup d’impatience devant la controverse.
Pour monsieur Mario Dumont, chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ) : « M. Charest voulait avoir une vision plus canadienne de la relation bilatérale Québec-France et on a l’impression que, dans ce ménage à trois, il a été emporté par le courant ». Pour appuyer davantage son commentaire, monsieur Dumont a ajouté : « Dans un ménage à trois, parfois la ligne devient bien mince entre être l’amant négligé et le cocu content ». Réplique immédiate du premier ministre Charest : « Le gouvernement fédéral fait partie des célébrations du 400ième et il n’y a pas là de contradiction ».
Autre débat sur l’histoire : Pauline Marois, chef du Parti québécois, a accusé le premier ministre de réécrire l’histoire en affirmant que la fondation de la Ville de Québec marquait les débuts du Canada. « C’est un déni de l’histoire. Il y a 250 ans qui séparent la fondation de Québec de la naissance du Canada ». « On ne peut pas réécrire l’histoire comme on voudrait qu’elle ait eu lieu ». Réponse du premier ministre Jean Charest : « Les Québécois étaient des Canadiens avant que le Canada n’existe. Et le Canada n’existerait pas sans le Québec. Ça, c’est la réalité de ce qui nous définit, comme peuple et nation ».
À vrai dire, dans ce débat, la déclaration la plus près de la réalité est celle qu’a faite la ministre des Relations internationales, Monique Gagnon-Tremblay : « Ottawa a investi 110 millions de dollars dans les fêtes du 400ième, ce qui lui donne le droit de participer aux célébrations ». Et son collègue, le ministre des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, ne croit pas qu’Ottawa ait pris le contrôle à l’étranger des fêtes du 400ième. « Il ne faut pas voir ça comme une guerre de visibilité. Il faut voir ça comme un travail d’équipe où chaque partenaire veut s’affirmer dans le processus ». Devant les reporters, M. Mario Dumont a renchéri : « Que le gouvernement fédéral ait investi des fonds publics dans l’organisation de la fête ne lui donne pas pour autant le droit de réécrire l’histoire ».
Le premier ministre du Canada a préparé de longue date ces célébrations. Il entend occuper le terrain et damer le pion aux vilains séparatistes du Québec. Ottawa a tenté d’imposer le bilinguisme pour toutes les activités du 400ième. Il a dû céder face au refus du Québec, mais le protocole d’entente que les deux gouvernements ont signé prévoit que le 400ième de Québec devra représenter la diversité culturelle du Canada.
Lors de sa première rencontre avec Nicolas Sarkozy en juin 2007, Stephen Harper lui avait demandé d’aider le Canada à célébrer le 400ième anniversaire. Par la suite, un porte-parole du chef d’État français a communiqué avec la Gouverneure générale, Michaëlle Jean, pour l’inviter. Une visite de cinq jours qui s’est terminée par une halte à Bordeaux, où elle a assisté aux cérémonies de commémoration de l’abolition de l’esclavage en présence de Nicolas Sarkozy. Cette visite est un franc succès : la Gouverneure générale a bénéficié d’une grande couverture médiatique, ayant même été qualifiée de « presque reine du Canada ».
Du côté français, il ne faut pas se surprendre du nouvel axe qu’entend donner aux relations France-Canada le chef de l’État. La présence d’un Paul Desmarais, présent à la fête qui a suivi l’élection de Nicolas Sarkozy, et à qui la France a remis les insignes de la Légion d’honneur (en présence de Jean Charest), a certes joué d’influence dans ce nouveau recentrage du président. D’autant plus que ce dernier défend en plus personnellement des idées de droite qui rejoignent la philosophie du gouvernement Harper. Messieurs Harper et Desmarais ne sont pas réputés pour flirter avec les idées souveraines du Québec. Le président de la République, fort éloigné des tendances nationalistes et souverainistes d’une faction de la classe du Québec, est d’ores et déjà sous haute influence fédéraliste.
L’ambassadeur du Canada en France, Marc Lortie, avait bien raison de qualifier cette visite sans faille de « moment très fort » pour la relation du Canada avec la France. En ce qui concerne le Québec, ce sera plus tard. Sous une autre république. « On n’oppose pas nos deux amitiés et nos deux fidélités. On les rassemble pour que chacun comprenne que ce que nous avons en commun, on va le tourner vers l’avenir pour que l’avenir du Canada et de la France soit l’avenir de deux pays pas simplement alliés mais deux pays amis », rappelait Nicolas Sarkozy. Merci monsieur le président. Grâce à votre généreuse contribution, Ottawa a réalisé la plus belle opération de récupération du siècle, comme le disait mercredi soir une personnalité québécoise croisée chez l’ambassadeur.
(Sources : Canoë, Cyberpresse, Presse canadienne, Radio-Canada)
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