Dans le numéro du 26 mars, le journal Alternatives présentait en exclusivité des extraîts du livre Noir Canada sous la direction d’Alain Deneault, publié chez Écosociété. Quelques semaines plus tard, voilà qu’Écosociété était menacée de poursuite par la multinationale Barrick Gold. Le collectif et son éditeur ont refusé de se laisser intimider par un géant minier qui dispose de ressources quasi-illimitées et n’hésite pas à déployer son arsenal pour défendre sa réputation. Les avocats de Barrick n’avaient pas pris connaissance de l’ouvrage de 350 pages, qui n’est pas encore disponible en librairie. Ils affirmaient néanmoins que toutes les allégations qu’il contient au sujet des activités de la société en Afrique sont « fausses et grandement diffamatoires ». Mais selon la maison d’édition, Écosociété : « Les horreurs ici rassemblées provoquent des hauts le coeur. Malheureusement, ce Noir Canada existe bel et bien et cet ouvrage se donne pour mission et devoir d’informer les citoyenNEs canadienNEs sur les agissements hautement critiquables des sociétés minières et pétrolifères canadiennes en Afrique ».
Voici cet article qui était, en mars dernier, à l’origine des suspiscions de la minière Barrick Gold.
Afrique : exploitation à la canadienne
Le Canada se targue d’être un pays phare en développement international. Alain Deneault, avec la sortie de son livre Noir Canada aux Éditions Écosociété remet en doute cette image de bienfaiteur. D’après ses recherches, les compagnies canadiennes, extractrices des ressources, commettent en Afrique des crimes dignes des empires coloniaux de l’époque.
Qu’il s’agisse du pétrole du Nigeria, de l’or des mines à ciel ouvert du Mali et de la Tanzanie, ou des richesses minières inépuisables des sols saccagés de la République du Congo, les canadiennes Barrick Gold, IAMGOLD, Emaxon, AMFI, Banro, Anvil et bien d’autres se partagent la plus grande part du gâteau africain. En effet, en 2003, 53 % des entreprises minières actives en Afrique étaient canadiennes. Et dans cette quête commerciale, où chaque kilomètre carré peut valoir plusieurs millions en ressources, les méthodes utilisées pour gagner ces profits mettent en péril tout l’avenir du continent.
Pillage et complicité de guerre
Ces compagnies jouissent d’une souveraineté offshore. Elles ont accès à toute une gamme de services crapuleux, allant des paradis fiscaux aux paradis judiciaires, à tout un réseau mafieux de trafics de toutes sortes. Le livre Noir Canada cite la compagnie Emaxon, basée à Montréal, qui agit à la solde du géant diamantaire International Diamond Industries. Dirigée par Dan Gertler, cette compagnie a réussi à obtenir les droits exclusifs sur l’exploitation des diamants en République démocratique du Congo (RDC), entente qualifiée de « vol institutionnalisé » par bons nombres d’observateurs internationaux, dont le Fonds monétaire international. On retrouve maintenant ce même Gertler au côté de Joseph Kabila, président de la République démocratique du Congo (RDC), le conseillant militairement, lui fournissant des armes et l’intégrant dans ses réseaux. Tout ça après avoir financé la guerre menée par le père, Laurent-Désiré Kabila.
M. Deneault, qui est aussi à la tête du collectif Ressources d’Afrique, dénonce dans son livre d’autres procédés utilisés par certaines compagnies canadiennes pour arriver à leur fin. C’est le cas du prospecteur Sutton Ressources, sous les guides de l’autre canadienne, Barrick Gold. En Tanzanie, en 1996, Sutton Ressources a été soupçonnée d’avoir enterré vivants au bulldozer des mineurs artisanaux de l’endroit, qui protestaient contre les expropriations massives et violentes de plusieurs villages. Barrick Gold avait obtenu du gouvernement tanzanien, grâce à son conseil consultatif composé de Brian Mulroney et Georges Bush Sr., les droits d’exploitation de cet important gisement aurifère, un des plus importants en Afrique de l’Est.
Des compagnies canadiennes ne se gênent pas non plus pour financer des guerres, et l’exemple de la crise qui fait rage en RDC depuis plus d’une décennie est stupéfiant. Avec la fin du contrôle étatique exercé par le président Mobutu par l’imposition des privatisations forcées par la Banque mondiale au début des années 1990, les compagnies canadiennes se sont associées d’abord au dictateur en place, mais ensuite avec les rebelles menés par Laurent-Désiré Kabila dans l’Est du pays. Kabila a donc obtenu, par l’octroi de contrats d’exploitation, une reconnaissance économique internationale, avant même de prendre le pouvoir. Cette aide financière a été précieuse pour renverser le dictateur Mobutu. Les compagnies canadiennes (Anvil, Banro, Barrick Gold, Emaxon, Kinross, etc..) en profitent : près de 300 milliards de dollars (en valeur boursière actuelle) ont été partagés, en ressources et infrastructures. Et seulement des miettes comme redevance pour l’État congolais.
La complicité de la Bourse de Toronto
« Le but du livre n’est pas seulement de relater les faits qui se sont déroulés sur le sol africain, mais surtout de savoir à qui profitent ces nombreux abus », explique M. Deneault. « Il faut que les Canadiens se questionnent sur leurs placements financiers. En investissant dans leurs REER, leurs portefeuilles financiers, leurs placements dans les compagnies canadiennes inscrites en Bourse à Toronto, ils deviennent complices, sans le savoir, des pires méfaits commis en Afrique ». Pourquoi la Bourse de Toronto ? Elle est beaucoup plus permissive que ses voisines américaines. Les compagnies profitent de ce « paradis juridique » en n’ayant aucun compte à rendre sur leurs activités illicites en sol étranger.
Contrairement aux bourses américaines, celle de Toronto ferme les yeux sur la méthode suivante : les compagnies prospectrices évaluent à la baisse la valeur réelle des gisements, les achetant à bas prix au pays d’accueil. Elles spéculent par la suite sur la valeur réelle des ressources disponibles sur les marchés boursiers. Les prix des actions montent en flèche, les compagnies engrangent les profits, profitant et abusant même des conditions d’engagement envers les pays hôtes : évasions fiscales, arriérés salariaux, ententes à rabais sur les prix des ressources, etc.
Et le Canada agit hypocritement, laissant agir ces compagnies qui nous représentent à l’étranger, les appuyant même dans leur démarche. « Il est inquiétant de voir les agences gouvernementales, comme l’ACDI, octroyer des fonds d’aide au développement à certains pays africains, alors qu’au même moment des compagnies canadiennes se livrent parfois au pillage des ressources de ce même pays. L’ACDI agit comme une agence de marketing pour le Canada, permettant de masquer les abus commis par les compagnies canadiennes », dénonce M. Deneault.
Et après l’Afrique, le Canada ?
Ce qui est alarmant, c’est que l’on retrouve ces mêmes compagnies partout au pays, exploitant ici les ressources canadiennes. Le livre Noir Canada mentionne IAMGOLD, qui empoisonne, par son exploitation de mines d’or à ciel ouvert, des villages entiers au Mali. Selon plusieurs enquêtes relatées dans le livre, dans certaines régions près des mines de Sadiola et Yatela, quatre femmes sur cinq auraient fait des fausses couches depuis le début de l’exploitation des mines, où sont déversées des quantités astronomiques de cyanure et d’acide chlorhydrique, qui contaminent les nappes phréatiques. Cette même compagnie extrait du niobium, à quelques kilomètres de Chicoutimi.
Alain Deneault émet cette mise en garde : « Logiquement, les compagnies canadiennes, qui profitent des largesses des gouvernements africains et mettent à mal le bien commun des populations locales, vont vouloir profiter de l’érosion de nos propres systèmes de protection publique pour profiter ici aussi des richesses énormes des sols canadiens ».
Alain Deneault réfute aussi l’argument selon lequel ces compagnies canadiennes qui investissent ici consolident une souveraineté économique canadienne. Ces compagnies pourraient du jour au lendemain passer aux mains d’étrangers.
De quoi se poser des questions sur nos priorités, nos besoins. « Pour la population canadienne, à quoi peut servir l’exploitation éhontée du diamant, de l’or, en Afrique comme au Canada, si en plus les profits engendrés vont alimenter des compagnies suspectes qui s’attaquent au bien commun ? », mentionne-t-il.
L’auteur soutient que l’approche du fédéral pour mettre au pas les compagnies canadiennes ne fonctionne pas. Sans coercition, les mesures incitatives et volontaires de contrôle sont des coups d’épée dans l’eau. Alain Deneault conclut : « Il faut en revenir à un positionnement politique et établir un rapport de force en s’enquérant sur ce qu’il advient des fonds que nous plaçons collectivement dans une Bourse, celle de Toronto, qui est ultra permissive ».
Source : Alternative