jeudi 1 mai 2008

À Guantanamo, Omar Khadr, 21 ans, est interdit de lecture

Le Canadien Omar Khadr, premier enfant-soldat jugé pour crimes de guerre dans l’histoire moderne des tribunaux pour crimes de guerre, n’était âgé que de 15 ans lors de son arrestation en Afghanistan. Il s’expose à la prison à perpétuité s’il est déclaré coupable des chefs de meurtre, complot et soutien au terrorisme qui pèsent contre lui. Il a aujourd’hui 21 ans. Il est enfermé depuis son arrestation dans l’infâme prison de Guantanamo. Les États-Unis détiennent environ 275 hommes à la base de Guantanamo, à Cuba, que les autorités soupçonnent de terrorisme et de liens avec le réseau al-Qaïda et les talibans. Il est prévu que 80 de ces hommes soient traduits devant un tribunal spécial pour crimes de guerre. Au pays de la démocratie et de la droite religieuse, Guantanamo est un mal nécessaire. L’ancien ministre de la Justice français Robert Badinter avait souhaité s’y rendre pour le procès du jeune Canadien mais s’est vu opposer un refus par les autorités américaines.

Le juge militaire de Guantanamo, le colonel Peter Brownback, vient de rejeter la demande d’annulation des poursuites contre Omar Khadr. Le commandant William Kuebler l’avocat de ce dernier. Omar avait juste 15 ans, explique l’avocat, quand on lui a tiré dans le dos après une fusillade qui a duré quatre heures à Khost, en Afghanistan. Il est accusé d’avoir jeté dans la bataille une grenade tuant un soldat américain, toutefois les preuves présentées ces derniers mois soulèvent des doutes significatifs sur les allégations du gouvernement. William Kuebler avait fait valoir, il y a trois mois, que la mise en accusation de son client contrevenait au droit international, notamment au Protocole facultatif à la Convention internationale des droits de l’enfant dont les États-Unis sont signataires.

L’avocat d’Omar Khadr s’est déplacé au Canada, devant le sous-comité des Affaires étrangères de la Chambre des Communes, pour défendre la cause de son jeune client. Son message était clair et les parlementaires d’Ottawa l’ont bien reçu : « Si votre pays ne ramène pas Omar Khadr au plus vite il va croupir toute sa vie en prison aux États-Unis. [...] Khadr n’est pas un ennemi, mais une victime ». L’avocat a prévenu les parlementaires : « Il ne s’agit pas de donner à ce jeune homme une seconde chance: il n’a jamais eu de première chance. L’unique bénédiction qu’il n’ait jamais eue est d’être né Canadien. Ce pays représente maintenant son dernier espoir », a avancé William Kuebler.

Comme l’indique Patrice Roy, de Radio-Canada : « Le gouvernement conservateur refuse d’exercer des pressions sur Washington, et les libéraux, quand ils étaient au pouvoir, n’ont rien fait non plus. L’ancien ministre libéral des Affaires extérieures Bill Graham vient d’ailleurs de faire son mea culpa: « Nous aurions dû protester », dit-il aujourd’hui ».

Manon Cornellier, du quotidien Le Devoir, décrit en ces termes l’opinion du gouvernement conservateur du Canada : « Le secrétaire d’État au multiculturalisme, Jason Kenney, qui participait à la rencontre du comité, n’a pas été ébranlé. Il refuse toujours de considérer Khadr comme un enfant soldat, d’envisager de le ramener au Canada pour y être jugé ou encore de critiquer, ne serait-ce que du bout des lèvres, le système des commissions militaires mises sur pied par le gouvernement Bush ». Tous les pays occidentaux ont négocié avec succès le rapatriement de leurs ressortissants — tous adultes — détenus à Guantanamo. Khadr est le seul citoyen d’un pays industrialisé à y être encore. Selon William Kuebler, seul son rapatriement pourrait permettre au ressortissant canadien, détenu à la base américaine de Guantanamo, d’avoir un procès équitable.

Jason Kenney, qui s’exprime au nom du gouvernement conservateur, tient ce raisonnement pour ne pas intervenir : « Le procès américain est légal. Il n’existe pas de disposition permettant de traduire Omar Khadr devant un tribunal canadien. Il n’a pas commis de crime au Canada. Il n’a pas tué de Canadien à l’étranger. Qu’est-ce qui pourrait justifier sa prise en charge par la justice canadienne s’il était transféré ici? », a déclaré le secrétaire d’État au multiculturalisme. Le lieutenant-commandant Kuebler a soutenu que le processus judiciaire militaire américain est conçu pour que l’accusé soit trouvé coupable. Le tribunal sera d’autant plus intraitable qu’Omar Khadr est le fils d’Ahmed Saïd Khadr, maintenant décédé, et considéré comme un des financiers d’Al-Qaïda. « Omar se considère comme une victime des décisions prises par sa famille à sa place [...] Il n’a pas choisi d’aller se battre en Afghanistan, en tant qu’enfant-soldat de 15 ans », a expliqué William Kuebler. Ce qui n’a pas ému outre mesure Jason Kenney.

Monsieur Kuebler décrit le jeune homme comme un garçon de 15 ans, apeuré, blessé, un garçon qui, comme n’importe quel enfant, se recroquevillerait contre un buisson quand une bataille ferait rage autour de lui. « Je ne crois pas que quiconque puisse être acquitté sur la base de Guantanamo », a déclaré monsieur Kuebler. L’avocat a expliqué aux journalistes que des témoins de la fusillade dans laquelle le sergent Speer est mort avaient suggéré que le militaire pourrait avoir été tué par des soldats américains qui auraient été vus lançant des grenades non loin de la victime. Et selon l’avocat Kuebler, le gouvernement américain détermine lui-même quels documents classifiés étaient appropriés dans le cas d’Omar Khadr, accusant les procureurs de dissimuler des informations qui seraient accablantes pour l’accusation.

Dennis Edney défend gratuitement les droits du plus jeune détenu de Guantánamo depuis 2003. Comme l’indique le quotidien La Presse : « Ça fait cinq ans que je demande le dossier médical d’Omar et je ne l’ai toujours pas. Des années que je demande à ce qu’on lui fournisse un bandeau pour se couvrir les yeux, parce qu’il est dans une cellule avec des néons allumés 24 heures sur 24. Même ça, ils n’ont rien fait », s’époumone l’avocat joint par La Presse. À 15 ans, Omar Khadr a perdu un oeil, emporté par un bombardement américain en Afghanistan. Six ans plus tard, dans sa prison de Guantánamo, le citoyen canadien perd peu à peu l’usage de son deuxième œil.

Dennis Edney dénonce le gouvernement conservateur du Canada : « Comment le gouvernement peut-il dire qu’Omar Khadr est traité humainement alors que toute la planète connaît la vérité sur Guantánamo? Tous ses droits sont bafoués : il a parlé deux fois à sa famille au téléphone depuis 2002. Il ne peut étudier. N’a pas accès à un psychologue. C’est honteux », s’oppose celui qui, à ce jour, a pu rendre six visites à son client. Amnistie internationale, Human Rights Watch, le Barreau canadien et cinq des plus importantes associations d’avocats de la Grande-Bretagne ont tour à tour demandé au gouvernement canadien de rapatrier le jeune Khadr afin qu’il soit jugé au Canada. Le Canada fait la source oreille.

Un document rendu public jeudi révèle que le Canada avait demandé aux États-Unis de ne pas envoyer le jeune Omar Khadr à Guantanamo, après sa capture en Afghanistan, en 2002. Dans la lettre datée de septembre 2002, le gouvernement fédéral plaidait que le camp de prisonniers situé au sud-est de Cuba était inapproprié pour le jeune citoyen canadien, qui n’avait que 15 ans à l’époque.

La Chambre des Communes s’émeut des gaffes du ministre Maxime Bernier. « Incompétent ». « Irresponsable ». « Mauvais calcul politique ». Pourquoi ces quolibets? Parce que le ministre a réclamé publiquement le départ du gouverneur de Kandahar. La sortie du chef de la diplomatie canadienne a retardé le départ, négocié dans les coulisses, du gouverneur afghan contesté. « Le ministre précédent, Peter MacKay, avait des problèmes identiques à ceux de Maxime Bernier. La politique étrangère vit au gré des désirs du premier ministre », croit Charles-Philippe David, professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal. Et c’est dans cette incompétence la plus crasse du gouvernement du Canada que croupit à Guantanamo l’enfant-soldat, Omar Khadr.

En août 2006, le représentant démocrate de Floride, M. Robert Wexler, réfutait, dans le Monde Diplomatique, avec véhémence l’objection selon laquelle les « extraordinary renditions » (« arrestations extraordinaires », c’est-à-dire l’interpellation clandestine, par des agents secrets sans mandat d’arrêt judiciaire, de suspects n’importe où dans le monde, pour les conduire dans des prisons cachées où ils peuvent être soumis à la torture) pourraient être assimilées à un terrorisme d’État. « Même si nous faisons des choses illégales, nous a-t-il déclaré, ou si nous faisons du mal – et je sais que parfois il peut s’agir de choses épouvantables – nul ne peut nous placer sur le même plan que les terroristes ».

C’est bien tard que les libéraux du Canada exigent maintenant, de manière assez hypocrite, le rapatriement d’Omar Khadr au Canada. « Les libéraux pressent le gouvernement depuis près d’un an de rapatrier M. Khadr au Canada afin que ses droits de citoyen canadien soient respectés. M. Dion a répété sa demande de rapatriement après avoir rencontré le capitaine de corvette William Kuebler, l’avocat militaire américain principal d’Omar Khadr, et son avocate-conseil adjointe, Rebecca Snyder. M. Dion avait rencontré une première fois l’avocat américain de M. Khadr en septembre 2007 ».

En terminant, l’avocat militaire américain de Khadr, William Kuebler, avait glissé à son client le scénario du « Seigneur des anneaux » en attendant son procès à la base navale américaine de Guantanamo, à Cuba. Les autorités militaires américaines ont indiqué avoir confisqué le scénario du film tiré du livre de J.R.R. Tolkien au Canadien. Il aurait été confisqué parce qu’il s’agit d’un document sans lien avec sa défense. Me Kuebler a indiqué que les autorités lui avaient aussi interdit de jouer au domino et aux échecs avec Omar Khadr.

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