mercredi 30 avril 2008

Nicolas Sarkozy en Tunisie : « Ces controverses m’importent peu »

Nicolas Sarkozy n’a rien d’un homme extraordinaire si ce n’est qu’il est un politicien ordinaire. L’homme qui se voulait en rupture du passé a épousé rapidement les habitudes de ses prédécesseurs, notamment la pratique de l’oubli. Fonction oblige. Pourquoi s’embarrasser aujourd’hui des droits de l’homme alors qu’il reste encore quatre ans pour corriger rapidement les « trous de mémoire ».

Lors de son entretien qu’il souhaitait « magistrale et inoubliable » avec la presse, plongé qu’il était dans le décor magnifique de l’Élysée, Nicolas Sarkozy n’était plus le dirigeant arrogant qui se serait joué du pouvoir mais le guide modeste et soucieux de bien accomplir sa mission. Et qu’importe si, dans cette poursuite de sa mission, il faut recourir à de petits « trous de mémoire ». Seule la vision compte : « Depuis 20-25 ans, la France était endormie. Le monde change, le monde a changé et la France quels que soient les efforts méritoires des gouvernements de gauche comme de droite, ne s’est pas adaptée au même rythme que les autres. On a un contexte international difficile, raison de plus pour accélérer les réformes ».

Le voyage de Nicolas Sarkozy a, une fois de plus, été ponctué par de violents reproches d’une certaine classe politique et par des groupes de pression. Au cœur des mondanités, entre cocktails et petits fours, Nicolas Sarkozy a levé un toast à l’honneur de son hôte : « Aujourd’hui, l’espace des libertés progresse. Ce sont des signaux encourageants que je veux saluer ». Zine el-Abidine Ben Ali, président de la Tunisie, a accueilli avec satisfaction cette reconnaissance internationale de son homologue, le président de la République des Droits de l’homme.

Comme pour son récent voyage en Chine, il faut éviter les sujets qui fâchent. Une rencontre entre entrepreneurs français et tunisiens – et l’intérêt économique de la France – valent bien la mise au rancart des sujets qui fâchent. Nicolas Sarkozy qui, il y a à peine un an, avait promis de mettre les droits de l’Homme au cœur de sa politique étrangère, pourra, à son retour de Tunisie, se féliciter : « Airbus a annoncé qu’elle venait de signer un accord avec Tunisair pour une commande ferme de seize avions ». Alstom a obtenu le marché de la construction d’une centrale thermique. La France élargit le cadre régional de sa technologie nucléaire : « Paris va aussi offrir à Tunis un accès à sa technologie nucléaire civile sous la forme d’un accord-cadre. Identique à ceux paraphés par Tripoli, Rabat ou Alger ».

Nicolas Sarkozy avait un message plus pressant à livrer, devant 500 patrons français et tunisiens, son projet d’Union pour la Méditerranée. Le partenariat entre les deux rives de la Méditerranée, qui doit être officiellement lancé le 13 juillet, permettra, aux yeux de son principal concepteur, la création d’un « pôle gagnant-gagnant qui concurrencera l’Asie ».

D’autre part, le président Sarkozy démontrera l’importance de ne pas céder aux groupes de pression qui ne comprennent rien à la diplomatie. « La France doit signer avec Tunis sa première convention de gestion de l’immigration avec un pays maghrébin. Le texte doit renforcer la lutte contre les clandestins et ouvrir le territoire français à l’immigration professionnelle ». Et comme le montre si bien Jean Quatremer : « Le Chef de l’État français souhaite que le premier « coprésident » de la future Union pour la Méditerranée (UPM), outre lui-même, bien sûr, soit le grand démocrate Mohammed Hosni Moubarak, le président égyptien, constamment « réélu » depuis 1981. Et que le futur « secrétariat général » permanent soit localisé en Tunisie, un modèle incontesté pour les droits de l’homme dans le monde ».

Taoufik Ben Brik est journaliste et un opposant tunisien. Interrogé par le Nouvel Observateur, il fait un rappel historique important : « Depuis Mendès-France, en passant par De Gaulle, Giscard, Mitterrand, Chirac… jusqu’à Sarkozy, la France n’a jamais vraiment envoyé de sermons à la Tunisie. Bourguiba ou Ben Ali n’ont jamais entendu dire par la France qu’ils devraient donner davantage de libertés à la Tunisie. La France en serait pourtant capable, car c’est l’ancien colonisateur et la Tunisie est encore aujourd’hui quasiment une colonie française. Ben Ali doit sa longévité à la France ».

Nicolas Sarkozy aura réussi, lors de son séjour en Tunisie, à marquer les esprits et à inscrire dans l’histoire une nouvelle déclaration historique : « personne ne peut se poser en censeur. Je viens d’un continent dont l’histoire, y compris l’histoire récente, recèle des tragédies abominables et je ne vois pas au nom de quoi je me permettrais (…) de m’ériger en donneur de leçons ». Il y a même fort à parier que cette dernière déclaration éclipsera cette autre tellement plus importante pour le merveilleux monde des affaires : « La décision d’acheter 19 Airbus est opportune », a estimé Nicolas Sarkozy devant un parterre de plusieurs centaines d’hommes d’affaires français et tunisiens à l’initiative des organisations patronales des deux pays, le MEDEF et l’UTICA.

Le président Sarkozy a montré qu’il pouvait se battre pour des idées : « La France entend maintenir sa position de premier partenaire économique de la Tunisie avec un volume d’échanges record de 7 milliards d’euros enregistré en 2007. Nous sommes prêts à nous battre pour la conserver » et la « conforter », a lancé le président aux hommes d’affaires. « La Tunisie est pour nous beaucoup plus importante que de nombreux autres pays », a-t-il ajouté. Le président Sarkozy a rappelé la signification du partenariat entre les pays : « Vous avez une main d’œuvre qui ne demande qu’à être formée, nous avons beaucoup d’intelligence et beaucoup de formation (…), ce n’est pas les uns contre les autres, c’est les uns avec les autres. C’est ça le partenariat ».

Le nucléaire est un autre sujet fâcheux? « Ces controverses m’importent peu », a dit Nicolas Sarkozy. « L’énergie nucléaire, c’est l’énergie du futur, car dans 50 ans, il n’y aura plus de pétrole, ni de gaz. Elle l’est aussi pour l’Orient et pour les pays arabes, parce qu’il n’y a aucune raison de condamner ces pays au sous-développement » et que « sans énergie, il n’y aura pas de croissance ni de développement », a-t-il plaidé. Et le président Sarkozy a de la suite dans les idées : « L’énergie nucléaire, c’est l’énergie du futur (…) la France vous dit que sa technologie, qui est une des plus sûres du monde, une des meilleures du monde, elle est décidée à la mettre au service du développement de vos économies (…), l’Europe ne connaîtra pas la stabilité si vous ne connaissez pas le développement, voilà pourquoi il faut s’unir ».

Si les droits de l’homme ne sont pas matière à donner des leçons, rien ne vaut une ouverture marquée sur l’Islam, « ouvert et tolérant qui caractérise si bien la Tunisie et dont le monde a tant besoin ». Tout en visitant la médina et la mosquée de la Zitouna, le couple présidentiel a salué la présence du grand rabbin de France Joseph Sitruk dans la délégation qui l’accompagnait.

Rama Yade, la secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme, qui accompagnait M. Sarkozy, a reçu dans l’après-midi Me Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, mais a annulé un rendez-vous prévu avec l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), sa présidente Mme Cherif. Khadija Cherif, également militante des droits de l’Homme et présidente d’une ONG féministe, avait déclaré plus tôt, à propos du président Sarkozy : « Sa priorité c’est le commerce, mais il devrait savoir que le développement ne peut pas être qu’économique. Il ne s’agit pas de donner des leçons mais de reconnaître la réalité. Je vois que le président Sarkozy ne s’intéresse pas à la réalité de ce pays ».

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