Cela devait être un jeu. Dans une école de Montréal, 26 élèves de la polyvalente Antoine de Saint-Exupéry ont été agressés, à la fin du mois dernier, à l’aide d’un objet piquant par des adolescentes âgées de 12 à 17 ans. Le jeu consistait à piquer le plus grand nombre d’élèves à l’aide d’un compas ou de punaises. Des rumeurs ont immédiatement circulé selon lesquelles l’une des victimes serait porteuse de l’hépatite B. Les parents sont furieux et craignent que leur enfant ait été contaminé. Outrés d’avoir été tenus dans l’ignorance par la direction de l’école. Ils ont appris l’évènement par un quotidien de Montréal.
Ces petits gestes, au premier abord, qui semblent anodins, dérapent. Rapidement. En juin 2007, des croix gammées et les mots « white power » sont peints en noir sur les murs du centre culturel d’une réserve algonquine du Québec (Kitigan Zibi, près de Maniwaki). Le même mois, trois incendies éclatent en deux semaines dans un camp de vacances de la communauté juive hassidique (Val-David). La déperdition scolaire, la drogue, le harcèlement sexuel, le racisme, la cyberintimidation et la violence sous toutes ses formes font maintenant partie de la vie quotidienne en milieu scolaire.
Étonnamment, il semble que les autorités gouvernementales n’aient pas encore un portrait précis des différentes formes de violence à l’école.
Les actes de nature criminelle relève du gouvernement fédéral. Le Bloc québécois a proposé des modifications au Code criminel pour interdire les délits à caractère haineux perpétrés sur des bâtiments comme les écoles, les garderies, les centres communautaires et tout autre établissement à vocation administrative, sociale, culturelle ou sportive appartenant aux groupes minoritaires présents au pays. Le projet de loi présenté par la députée « bloquiste », Carole Freeman, est débattu en chambre. Selon madame Freeman, « les préjudices sont souvent causés contre des enfants qui n’ont pas à vivre ces messages de haine et de violence ».
En France, les enseignants d’une école de Vénissieux ont dénoncé, selon Libération, la violence qu’ils subissent depuis des mois. Pas une violence volontaire. Celle d’un enfant de 12 ans souffrant de troubles du comportement. Il a été placé en décembre 2006 en CM2, « en adaptation », procédure qui permet de maintenir à l’école un enfant handicapé. Un adulte chargé d’un « emploi de vie scolaire » l’accompagne en permanence, mais sans être formé pour gérer les troubles du comportement. Les enseignants, qui ne le sont pas non plus, ne parvenaient plus à le contenir. La famille de l’enfant déscolarisé n’était pas là.
Au Québec, la violence physique est beaucoup plus fréquente chez les jeunes enfants que chez les adolescents, qui usent surtout de violence psychologique, comme le taxage ou l’intimidation, rapporte Isabelle Hachey, du quotidien La Presse. Ainsi, 77% des actes violents, rapportés l’an dernier à l’Alliance des professeurs de Montréal, étaient, au primaire, des agressions physiques; ce chiffre chute à 38% au secondaire. Sur les 154 actes violents recensés en 2006-2007 dans des classes primaires, une dizaine ont éclaté en maternelle. « Les enseignantes sont moins portées à dénoncer la violence dont elles sont victimes quand leurs agresseurs sont hauts comme trois pommes », faisait remarquer la présidente de l’Alliance des professeurs de Montréal.
Les enseignants et les directions d’école ont de plus en plus de difficulté à contrer la violence dont ils sont victimes. Le nombre d’incidents violents augmente de façon considérable dans les classes québécoises. Autre fait troublant, les parents sont souvent une source de violence à l’école. Certains d’entre eux sont carrément dangereux. Ils vont parfois très loin dans leurs propos et leurs gestes vis-à-vis des professeurs et des directeurs d’école. Certains établissements ont même adopté des mesures de protection contre ces parents.
Quoi qu’il en soit, la situation est suffisamment sérieuse pour que la ministre de l’Éducation du Québec, Michelle Courchesne, réagisse sans délais. Chaque école primaire et secondaire devra se doter d’un plan pour contrer la violence en ses murs. « Bien entendu, s’il nous faut protéger la vaste majorité des élèves contre le taxage, le racisme, la cyberintimidation et la violence sous toutes ses formes, il nous faut aussi nous préoccuper des élèves qui éprouvent des problèmes de comportement », a expliqué la ministre Courchesne. Le gouvernement du Québec investira donc 16,88 millions de dollars répartis sur trois ans dans un programme de mesures visant à contrer la violence à l’école.
Le Plan d’action s’articule autour de quatre grands axes : la prévention et le traitement de la violence, la concertation et la formation, la recherche et la documentation et, le suivi et l’évaluation du plan. Le gouvernement compte produire un rapport sur la situation nationale au plus tard à l’automne 2008. Le plan de la ministre, qui pourrait aussi obliger toutes les écoles de la province à se doter d’une politique antiviolence claire, structurée et échelonné sur trois ans, mettra à contribution non seulement le ministère de l’Éducation, mais aussi ceux de la Santé, de la Justice et de la Sécurité publique.
La Centrale des syndicats du Québec accueille favorablement ce plan de mesures car elle estime que la violence est l’un des motifs principaux qui incitent les jeunes enseignants à quitter la profession. Les dernières données démontrent que 20 % d’entre eux abandonnent la profession avant de terminer leur cinquième année de carrière.
En France, signe également de la désagrégation du milieu scolaire : chaque jour, environ soixante professeurs sont agressés. Cette inquiétante moyenne, que vient de publier l’Observatoire national de la délinquance (OND), s’accompagne d’autres chiffres : durant l’année 2005-2006, 250 des cas signalés se sont produits avec arme et on a recensé cinquante agressions sexuelles. Entre 2002 et 2006, ce type de comportement a progressé de 30 %.
Comme l’écrit France-Soir : « On ne compte plus les plans annoncés en dix-huit ans par les pouvoirs publics. Celui de novembre 1990, signé Lionel Jospin, alors ministre de l’Education nationale ; celui de mai 1992, qui marque la collaboration entre le ministre de l’Intérieur de l’époque, Paul Quilès, et son collègue de l’Éducation nationale, Jack Lang ; celui de mars 1995, mis en place par François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale ; celui de novembre 1997, dû à Lionel Jospin, Premier ministre ; celui du printemps 2001, signé Jack Lang, de retour à l’Éducation nationale ; celui de novembre 2002, conçu par Luc Ferry et Xavier Darcos ; ceux de François Fillon en 2004, de Gilles de Robien en 2006… Récemment, Xavier Darcos, actuel ministre de l’Éducation nationale, a promis un « code de paix scolaire national ». En attendant, des gosses continuent à se faire « salement cogner ».
Mince consolation pour le Québec. Richard E. Tremblay, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le développement de l’enfant, s’inscrit en faux contre ce débat qui pointe au sein des groupes d’instituteurs et de professeurs. Selon monsieur Tremblay, interrogé par Isabelle Hachey, « Cela fait depuis la fin des années 1970 que j’étudie ce problème et, à l’époque, les enseignants disaient la même chose! Ce n’est pas vrai qu’il y a plus de problèmes. Dans l’ensemble, au Québec, il y a moins de violence qu’il y a 20 ans ». C’est la perception de la société qui a changé, dit-il : moins répandue qu’avant, la violence choque davantage.
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