mardi 22 avril 2008

Jimmy Carter - Le marchand de cacahuètes au Proche-Orient

Comment indisposer le président Georges W. Bush et son allié, Israël, sur la question du Proche-Orient? Simple. Le prix Nobel de la Paix 2002, Jimmy Carter, vient de le montrer : en recherchant, par un investissement de sa personne, le dialogue avec tous les acteurs du Moyen-Orient. Et c’est en ambassadeur personnel de la paix, doublé d’une certaine connaissance du dossier, pour avoir été président de la première puissance mondiale, qu’il visite la région. Jimmy Carter entend fonder ce dialogue non sur l’exclusion mais sur une recherche de consensus. Pour faire avancer les négociations de paix, Jimmy Carter consulte et propose.


Âgé de 84 ans, l’ancien président américain, fort de son rôle dans la signature des accords de paix égypto-israélien de Camp David en 1979, persiste et signe : le Hamas doit nécessairement être associé, d'une façon ou d'une autre, aux efforts de règlement au Proche-Orient. Jimmy Carter s'est entretenu avec le président syrien, Bachar al-Assad, des « relations syro-américaines et du processus de paix ». Avec raison, il prône également l'ouverture d'un dialogue avec la Syrie, jugeant difficile de conclure une paix dans la région sans elle.


Critiqué par les États-Unis - à commencer par la secrétaire d'État américaine, Condoleezza Rice - et par Israël, Washington a ressorti son habituelle rhétorique : madame Rice a déclaré ne pas voir l'intérêt de telles discussions, qualifiant le Hamas de « principal obstacle à la paix ». Amos Gilad, du ministère israélien de la Défense, a estimé pour sa part qu'une telle rencontre [avec Mechaal] serait d'autant plus honteuse que Jimmy Carter incarne la paix.


Washington voudrait isoler la Syrie davantage, qu'il accuse de bloquer les efforts de paix dans la région en soutenant les groupes radicaux palestiniens comme le Hamas. Le président syrien Bashar al-Assad et l’ex-président Jimmy Carter ont abordé la possibilité de la levée du blocus à Gaza et une éventuelle trêve entre les Palestiniens et les Israéliens. Et bien évidemment, la détérioration de la situation dans la bande de Gaza, actuellement contrôlée par le Hamas, était à l’ordre du jour. Selon Jimmy Carter, Bashar al-Assad est convaincu que les points de désaccord avec Israël étaient tous pratiquement résolus, et que la seule question qui restait encore en suspens était l'obstination d'Israël à vouloir négocier en secret, alors que les Syriens exigent des pourparlers officiels et publics.


M. Carter s'est entretenu au Caire avec une délégation du Hamas après que l'État hébreu l'eut empêché d'entrer dans la bande de Gaza pour rencontrer des responsables du Hamas. C’est à Damas que Jimmy Carter a rencontré à deux reprises le chef politique du mouvement islamiste palestinien, Khaled Méchaal. « Il est très important que quelqu’un rencontre les dirigeants du Hamas pour exprimer ses vues, pour jauger s’ils peuvent faire preuve de souplesse, pour tenter de les convaincre de cesser toute attaque contre des civils innocents en Israël et de coopérer avec le Fatah », a déclaré Jimmy Carter avant sa rencontre avec Khaled Méchaal. Selon le Prix Nobel, si pour certains le Hamas est un obstacle pour la paix, c’est parce que celui-ci est non seulement considéré comme une organisation terroriste, mais surtout isolé, écarté de toute négociation sur le processus de paix au Proche Orient, alors qu’on devrait compter avec lui.


La Maison Blanche a demandé à Carter de ne pas rencontrer les dirigeants du Hamas. « Le président (George W. Bush) juge que si l'ancien président Carter veut y aller, s'il le fait à titre privé, il ne représente pas les États-Unis », a déclaré la porte-parole de la Maison Blanche, Dana Perino. Ce qui fâche Américains et Israéliens est le fait que Jimmy Carter peut être reçu au Caire et à Damas, par les dirigeants égyptiens et syriens comme par ceux du Hamas, pour discuter de paix. Il est également attendu en Jordanie et en Arabie saoudite. Et au-delà de la rhétorique américano-israélienne, le dialogue est possible avec le Hamas et la Syrie, comme le montre bien Jimmy Carter. Pourquoi pas alors la paix dans la région?


Toutefois, il convient de ne pas sous-estimer le mouvement du Hamas qui contrôle la bande de Gaza depuis juin 2007 après avoir défait les forces fidèles au Fatah du président palestinien Mahmoud Abbas. Il ne reconnaît pas l'existence d'Israël, prône la lutte armée pour libérer les territoires occupés et a revendiqué des attentats meurtriers anti-israéliens. La rencontre avec Jimmy Carter sera l’occasion pour le Hamas : « de clarifier ses positions et de lui permettre de briser la politique d'isolement imposée par les États-Unis, Israël et d'autres parties », a soutenu un de ses représentants, Sami Abou Zouhri.


Dans le Courrier international, Michael Young, du Daily Star, ne voit pas positivement la visite de Jimmy Carter au Moyen-Orient. Il s’explique : « Des négociations avec le Hamas reviendraient en fait à saper l'autorité et la crédibilité du président palestinien Mahmoud Abbas. Les partisans du dialogue rétorqueront qu'Abbas est d'ores et déjà discrédité. Cela ne fait que confirmer leur intention de remplacer Abbas par le Hamas en tant que principal interlocuteur de l'État hébreu. Il serait absurde aujourd'hui de faire du tort à Abbas en donnant voix au chapitre au Hamas, qui n'a jamais soutenu les accords conclus avec Israël du temps d'Oslo. D'ailleurs, faire entrer le Hamas dans les négociations ne ferait que légitimer son rejet de ces accords et de l'ensemble du processus d'Oslo. Ce qui ne manquerait pas de limiter davantage encore la marge de manœuvre déjà étroite de Mahmoud Abbas ».


Et Young de conclure : « Jimmy Carter vient de s'atteler à une bien vaine entreprise risquant de compliquer une situation déjà complexe. On a souvent dit que Carter était meilleur en tant qu'ex-président que président. Cela n'a rien d'un compliment, étant donné la calamité que fut son passage à la Maison-Blanche, exception faite des accords de Camp David [entre Israël et l'Égypte]. La paix entre Palestiniens et Israéliens semble encore bien lointaine, mais Carter n'accélèrera pas le processus en acceptant d'être le pigeon de Khaled Meshaal ».


Fort de ce raisonnement, nous serions en droit de nous interroger sur les résultats concrets obtenus par le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, pour soulager la misère de son peuple, sur le levée du bouclage de Gaza, sur les privations du peuple palestinien et son isolement, et cela, au-delà de la rhétorique de guerre des factions en présence.


David Ruzié est professeur émérite des universités, spécialiste de droit international. Il intervient régulièrement dans la presse israélienne. Dans une dialectique qui lui est propre, voici ce qu'il pense de l'initiative de paix de Jimmy Carter : « Comme nous l’avons déjà relevé, il y a quelques jours, ce n’est pas parce que l’ancien marchand de cacahuètes, également ancien président des États-Unis, Jimmy Carter, a eu des contacts, à Damas, avec le chef du Bureau politique du Hamas, qu’il est, nécessairement, sur la bonne voie. Et cela, surtout lorsqu’il véhicule des balivernes du genre : « le Hamas est prêt à reconnaître Israël si un accord de paix est conclu et approuvé par un referendum » (comme si la reconnaissance d’Israël, admise par l’OLP et son chef de l’époque, auquel a succédé Mahmoud Abbas, régulièrement élu, pouvait être remise en question....). Certes, pour différentes raisons, dont la principale est l’incapacité du Fatah de Mahmoud Abbas à tirer les Palestiniens de la misère, non seulement par son incompétence, mais, aussi et surtout, par la corruption, qui le gangrène (comme en témoigne la découverte de 3 000 téléphones portables dans la voiture de l’un des adjoints de Mahmoud Abbas à un poste frontière), l’ancrage du Hamas, dans la société palestinienne, est une réalité ».


Récemment, un pasteur très écouté aux États-Unis, John Hagee, de la puissante église Cornerstone de Dallas, a accompagné son soutien au candidat républicain aux présidentielles John McCain de certaines remarques. « Ce que le sénateur McCain devrait faire, je crois, pour attirer les évangéliques dans son camp, c’est montrer très clairement qu’il est un ardent défenseur d’Israël et qu’il est fort de 24 années de lutte pro-vie [anti-avortement]. Et je pense que sur ces deux points ils se retrouveront sur le même terrain, et auront une compréhension commune ».


Je préfère le discours du vendeur de cacahuètes – porteur d’espoir – aux annonces faites par Israël de coloniser davantage la Cisjordanie. Le chef politique du Hamas, Khaled Mechaal, a déclaré lundi que son mouvement ne reconnaîtrait pas Israël, mais qu'il accepterait la création d'un Etat palestinien sur la base des frontières antérieures à 1967. Cette déclaration revient à reconnaître tacitement à Israël le droit d'exister aux côtés d'un Etat palestinien, sans aller jusqu'à la reconnaissance formelle de l'Etat hébreu.


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