mardi 29 avril 2008

Ingrid Betancourt à nouveau dans la lumière crue de l'actualité

Lorsque les sentiments sont au plus bas désespoir, quelque part, subsiste, enfoui là où on s’en doute le moins, un petit rayon de soleil. Ainsi va la résilience de l’homme. Et ce petit rayon viendra-t-il de la visite de Bernard Kouchner actuellement en Colombie? Se dégagera-t-il des rencontres de Bogotá (Colombie) puis de Quito (Equateur) et enfin de Caracas (Venezuela)? Nul ne saurait le prédire ou n’oserait le prédire.


Ingrid Betancourt revient à l’avant-scène de l’actualité. Bernard Kouchner va tout tenter, une nouvelle fois, pour obtenir la libération des otages des Farc. Encore une fois, des familles vivront sur un mince filet d’espoir. Y aurait-il dans les cartons du ministre Kouchner de nouvelles cartes qui permettront – dans cette jungle opaque de l’affaire Betancourt – de frayer un chemin qui ouvrira la voie à des négociations sérieuses avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie?


Il lui faudra vaincre les réticences et la défiance du président Alvaro Uribe qui campe inexorablement sur ses positions : les seules médiations autorisées sont celles de l'Église et des délégués européens. Kouchner est prévenu : un retour à une médiation d’Hugo Chavez est totalement exclu. Selon le quotidien national colombien El Tiempo, Uribe ne s’enthousiasme guère de la visite de Bernard Kouchner car il sait bien de quel message est porteur le chef de la diplomatie française : Kouchner insistera, comme l'a souhaité le chef de l'État français, Nicolas Sarkozy, pour que le président Hugo Chavez reprenne du galon.


Bernard Kouchner voudrait bien relancer les pourparlers entre le Venezuela, l'Équateur et la Colombie. Comme il voudrait bien relancer les fragiles négociations avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie. Quoiqu’il dise, quoiqu’il fasse, le ministre français n’a d’autre issue que d’ébranler le mur d’intransigeance du président Uribe. De leur côté, les Farc accusent les Européens d'avoir révélé à Bogota où se trouvait Raul Reyes, peu avant qu'il soit tué par l'armée colombienne. Enfin, Chavez, a déclaré avoir perdu tout contact avec les FARC depuis que le système de contacts entre le Venezuela et les FARC, a été pulvérisé au début de mars.


Le ministre Kouchner aura beau plaider la détermination de la France, si cette dernière n’est pas partagée par le principal interlocuteur, Alvaro Uribe, à quels résultats pourra-t-il s’attendre? Nicolas Sarkozy aura beau clamer sa détermination à faire en sorte que le dossier des otages et la solution humanitaire avancent malgré les obstacles, que pourra-t-il si cette dernière ne s’inscrit pas dans une démarche régionale de tous les acteurs œuvrant vers le même objectif? Et déjà la Colombie a fait connaître sa dissidence. « La priorité, c'est qu'on la ramène », avouait Nicolas Sarkozy lui-même en rappelant, lors de son interview télévisée jeudi, qu'il s'était engagé le soir de son élection à « faire libérer cette femme qui vit un martyre ». Les vœux de Nicolas Sarkozy ne sont certainement les mêmes que ceux de Uribe. Nous assistons dans le présent cas à un véritable dialogue de sourds.


Bernard Kouchner devra se rappeler que le président Alvaro Uribe jouit d’une popularité qu’envierait volontiers, aujourd’hui, Nicolas Sarkozy : il est crédité à 84 % d’opinions favorables, devant Ingrid Betancourt, 72 %. Uribe, contrairement à son homologue français, Nicolas Sarkozy, ne connaît pas de fléchissement dans les marques de satisfaction de son peuple. Et Uribe n’est pas sans savoir que le taux de mauvaises opinions (64%), adressé au président de la République française, est le plus élevé jamais enregistré par l'institut BVA depuis la création de son baromètre en 1981. Les FARC ne sont pas sans se rappeler, non plus, qu’au plus fort de sa popularité, en mai dernier, ils avaient demandé à Nicolas Sarkozy d'intervenir en faveur de la création d'une zone démilitarisée des municipalités de Florida et de Pradera (sud-ouest) pour négocier un échange de prisonniers, notamment d'Ingrid Betancourt. Uribe s'était fermement prononcé en faveur d'une option militaire pour libérer les otages. « Ici, il n'y aura pas de petits jeux avec ces bandits des FARC, ici, il n'y a pas de zone démilitarisée », avait-il riposté.


Puis, contre toute attente, Hugo Chavez a réussi l’impossible. Deux opérations de libération d’otages. Tout le succès des opérations éclipsait les efforts légitimes du président de la République. Seuls les résultats comptent.


Depuis la mort du numéro deux des Farc, Raul Reyes, les espoirs de parvenir à la libération d’autres otages paraissent de plus en plus minces. Ivan Marquez, le chef des Farc, déclarait au journal argentin Perfil que les possibilités de continuer à libérer des otages étaient « closes » ». Avant de préciser que M. Chavez « était le seul espoir pour délivrer Ingrid Bétancourt ». Et Alvaro Uribe a réitéré son opposition à la médiation, dans ce dossier, de son homologue vénézuelien, Hugo Chavez.


L’alignement de Nicolas Sarkozy sur son ami Georges W. Bush ne joue même pas en faveur d’Ingrid Betancourt. Il serait hors de question, et le président français le sait bien, que les États-Unis fassent pression sur Uribe pour qu’il assouplisse ses positions. Et un Chavez qui se lance à la conquête d’une gauche antiaméricaine, dans toute la région, n’est pas pour attendrir l’Oncle Sam. La création de la Banco del Sur – destinée à évincer de l’Amérique latine le Fonds monétaire international contrôlé par les États-Unis – n’apporte pas de l’eau au moulin pour que Georges W. Bush incite personnellement Alvaro Uribe de recevoir les demandes de son ami Nicolas Sarkozy. La Colombie est absente du financement de la Banco del Sur dont les membres sont l'Argentine, la Bolivie, le Brésil, l'Équateur, le Paraguay, l'Uruguay et le Venezuela, tous plus ou moins à gauche. Le Paraguay vient de basculer dans le champ de la gauche avec l’élection, toute récente, de Fernando Lugo, l’ancien « évêque des pauvres ».


Ce n’est pas parce que la diplomatie française clame l’importance de «remettre dans le jeu Hugo Chavez » que cela va changer quoi que ce soit au présent cul-de-sac. L’Oncle Sam aime bien le petit Nicolas français mais pas au point de lui céder Ingrid Betancourt au prix de concessions aux Farc. « Les seules avancées, c'est à Chavez qu'on les doit. C'est le moment de lui dire à quel point il est nécessaire et on compte sur lui », ont déclaré des sources diplomatiques françaises. Ce ne sera pas faute d’avoir essayé. Mais la complexité de la présente situation ne se dénouera pas avec des vœux pieux.


« La courtoisie nous oblige à écouter le chancelier français pour voir quelles initiatives il veut proposer ou quelle est sa vision de la question », a déclaré dimanche soir le ministre des affaires étrangères, Fernando Araujo, sur la chaine de radio privée RCN. M. Araujo a précisé que le seul chemin possible pour libérer les otages est la médiation de l'église catholique et des émissaires européens (France, Suisse et Espagne).


La courtoisie se perd lorsque l’irritation monte. Libération cite l’indignation d’un éditorialiste colombien qui n’est pas tendre envers le président français : « Nicolas Sarkozy n’a-t-il rien compris aux Farc ou a-t-il encore fait son numéro ? Le 6 décembre, il lance un message via la radio et la télévision au chef de la guérilla, Manuel Marulanda, lui « demandant solennellement de relâcher » Ingrid Bétancourt. Sans réponse. Quant au Falcon envoyé début avril en Colombie et revenu huit jours plus tard sans l’otage, il témoigne d’une opération menée avec amateurisme. Comment croire qu’une initiative qui n’offrait rien aux Farc et excluait du jeu Hugo Chávez, le président du Venezuela, puisse réussir. « Rien que du cinéma. Y a-t-il une seule personne pour croire sérieusement qu’ils vont libérer leurs précieux prisonniers sans contrepartie ? », s’est indigné l’éditorialiste colombien Antonio Caballero, pour qui Sarkozy est « un exhibitionniste compulsif ».


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