L’Observatoire du journalisme, situé au Québec, a relayé le point de vue de Matthew Little et de Jason Loftus, de La Grande Époque. Je relaie à mon tour cet article qui donne un point de vue éclairé sur les médias chinois au Canada.
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Au Canada, les médias chinois attisent la colère contre les Tibétains
C’était une diffusion typique de la chaîne de télévision d’État chinoise. Le narrateur a présenté le reportage : « Incités et dirigés par la clique du Dalaï-lama, quelques criminels ont battu, détruit, pillé et incendié dans le centre-ville de Lhassa, causant d’immense dommages à la vie et à la propriété des gens ».
Des commentaires comme celui-là, qui introduisait un documentaire du 23 mars dernier sur les troubles au Tibet, ont été diffusés dans les domiciles des Canadiens d’origine chinoise au cours des trois dernières semaines par la chaîne du régime communiste – China Central Television 4 – transmise sur le câble par la compagnie de télécommunications Rogers. Il y a deux semaines, les reportages de CCTV 4 sur le Tibet duraient jusqu’à 15 minutes et étaient diffusés jusqu’à huit fois par jour. Ils présentaient tous une version unilatérale des évènements à Lhassa depuis le début des manifestations, le 10 mars.
Contredisant des rapports selon lesquels la police a violemment réprimé les manifestations, CCTV 4 a affirmé que les autorités chinoises ont utilisé une « retenue maximale », ne répliquant pas lorsque attaquées, ne jurant pas lorsque critiquées. Les fidèles du Dalaï-lama, toutefois, étaient décrits continuellement comme des « émeutiers hors-la-loi » commettant des «atrocités» sur des gens innocents, ces derniers étaient cités comme déclarant ouvertement leur «haine» des manifestants. « Leurs intentions sinistres sont de tirer avantage des prochains Jeux olympiques pour saper la stabilité et l’unité de l’environnement social, dans une tentative de séparer le Tibet de la mère patrie », a présumé le narrateur.
Pouvoir souple
Autrefois confinée aux médias de Chine continentale, la ligne de parti du régime communiste est maintenant dominante dans les médias de langue chinoise à l’étranger. Des contrats de diffusion, comme celui avec Rogers, et l’influence grandissante sur plusieurs journaux chinois ont aidé Pékin à faire passer son message.
Les effets d’une telle couverture médiatique peuvent se mesurer par la manifestation pro-Pékin qui a eu lieu à Toronto la fin de la semaine dernière.
Un organisateur de la manifestation « antiviolence », qui a demandé d’être identifié seulement comme « Chris », affirme que l’objectif de l’évènement était de démontrer la « vérité » au sujet du Tibet. « Mort au Dalaï-lama! », pouvait-on entendre chez les participants. « Quittez le Canada! », criaient d’autres Chinois s’adressant à un groupe de Tibétains rassemblés pour dénoncer cette manifestation « anti-tibétaine »
Un dépliant qui annonçait l’activité incluait des images prises de la CCTV avec des légendes comme « Des Tibétains “pacifiques” mettent le feu à l’école secondaire de Lhassa. La majorité des salles de classe (90 %) a été détruite ».
« La violence [est] créée par le peuple tibétain », a affirmé Chris en entrevue. « Ils sont contre toutes les autres ethnies; ils veulent juste chasser tout le monde [du Tibet]… Le gouvernement chinois n’a rien fait de mal ». Chris, comme d’autres Chinois, mentionne qu’il fait confiance à certains des journaux chinois les plus largement distribués au Canada – comme le Sing Tao Daily – pour le renseigner sur ce qui se passe vraiment au Tibet.
Liens financiers
Mais beaucoup de journaux chinois ont, ces dernières années, adopté des positions éditoriales très favorables au régime chinois. La Jamestown Foundation, un groupe de réflexion américain dont une de ses spécialisations est la Chine, a analysé en 2001 l’influence de Pékin sur les médias chinois d’outre-mer. Elle a découvert que trois des quatre journaux chinois d’importance publiés aux États-Unis – le Sing Tao Daily, le Ming Pao Daily News et The China Press – sont tous sous influence directe du gouvernement communiste chinois. Le quatrième, le World Journal, est administré par une maison mère à Taiwan et cède de plus en plus à la pression de la Chine continentale, estime Jamestown.
« Les médias chinois traitent la nouvelle comme des émeutes anti-Chinois plutôt qu’anti-gouvernement. Ils essaient d’en faire quelque chose contre le peuple chinois. Ce n’est pas contre le peuple chinois », croit pour sa part Tsering Wangdu Shakya, spécialiste du Tibet à l’Université de Colombie-Britannique.
Trois de ces journaux – Sing Tao, Ming Pao, et le World Journal – ont aussi des éditions canadiennes.
« Pour se préparer au retour de Hong Kong à la Chine en 1997, le gouvernement chinois a fait d’énormes efforts au début des années 1990 pour acheter plusieurs agences de médias importantes à Hong Kong. Ceci a été effectué par le biais de commerçants tierce partie qui ont des liens d’affaires étroits avec la Chine », indique le rapport de la Jamestown Foundation.
Dans le cas de Sing Tao, le régime chinois a fourni un soutien financier pour aider la propriétaire de l’époque, Mme Sally Aw Sian, qui était victime d’une crise financière à la fin des années 1980, rapporte Jamestown. Il en a résulté une transformation du journal en une publication procommuniste qui a même vu un ex-éditeur du Quotidien du peuple (l’organe officiel du régime chinois) prendre la barre. Même si Sing Tao Canada est maintenant une propriété majoritaire de TorStar, qui possède également le Toronto Star, la branche canadienne reçoit ses nouvelles sur la Chine de la maison mère, Sing Tao, à Hong Kong. Actuellement, la plupart des journaux importants en langue chinoise au Canada font du journalisme pro-Pékin très similaire à ce que l’on retrouve en Chine communiste, à l’exception de l’édition chinoise de La Grande Époque, le Dajiyuan.
Une activité prorégime chinois a eu lieu au quartier chinois de Montréal le samedi 29 mars. Dans le petit parc Sun Yat-sen, à l’angle des rues De La Gauchetière et Clark, une vingtaine de personnes qui affirmaient être des étudiants universitaires s’étaient rassemblées avec bannières et prospectus de 13 h à 16 h. Ils voulaient « dénoncer les mensonges des réseaux CNN, BBC et CTV » quant aux récents évènements à Lhassa, pour montrer à quel point le régime chinois « protège » les Tibétains contre la «servitude» du «menteur et tortionnaire» qu’est le Dalaï-lama.
Le message qu’a lancé un peu plus tôt cette semaine en conférence de presse l’ambassadeur chinois à Ottawa, Lu Shumin, a fait des petits. Le groupe d’étudiants des universités Concordia et McGill scandait des slogans en faveur des Jeux de Pékin et d’autres pour «démentir» la couverture médiatique à laquelle ont eu droit les évènements au Tibet. Malgré le fait qu’ils se réclamaient vivement d’aucune appartenance politique et disaient ne pas être chapeautés par une organisation quelconque, un homme, dans la trentaine avancée, passait dans les différents petits groupes d’intervenants pour donner des indications sur la façon de réagir avec le public. «N’argumentez pas avec les passants», disait-il à un jeune Chinois distribuant des dépliants. Aucun des étudiants n’osait donner même leur prénom aux quelques passants qui s’arrêtaient intrigués. Pour ceux qui voulaient en savoir plus, on leur remettait une adresse courriel gmail.com, mais on refusait de donner le nom d’une personne à qui s’adresser en utilisant cette adresse.
L’ambassade et les étudiants
Les hauts fonctionnaires de l’ambassade chinoise à Ottawa ont écrit dans le Chinese Scholars Abroad, un périodique s’adressant aux étudiants chinois à l’étranger, que le département de l’Éducation de l’ambassade était responsable de surveiller les associations d’étudiants chinois dans 22 universités et collèges (ou cégep) à l’intérieur de six provinces canadiennes. Les autres associations seraient prises en charge par les consulats. « Souvent, ce ne serait pas bien vu pour la mission chinoise de faire certaines choses. Alors, d’utiliser des organisations d’étudiants, qui ont les apparences de neutralité, c’est plus efficace », explique Chen Yonglin, ancien diplomate ayant démissionné du consulat chinois de Sydney en 2005. « De tels groupes sont en fait contrôlés par la mission chinoise et sont l’extension du régime communiste chinois à l’étranger », développe-t-il à propos des tactiques générales de la diplomatie de Pékin.
D’après Chen, les étudiants s’impliquent dans les associations étudiantes dans l’espoir d’avoir des lettres de recommandation écrites par les consulats ou l’ambassade pour bonne conduite à l’étranger. Par ce moyen, ils obtiennent également des bourses d’études, du financement pour des activités et des billets de faveur leur permettant d’assister à des évènements artistiques, ajoute l’ex-diplomate.
En septembre 2005, Mme Lingdi Zhang, alors étudiante en informatique à l’Université d’Ottawa, avait reçu des menaces de Chris Xu, vice-président de la Chinese Student and Scholar Association (CSSA), l’association d’étudiants chinois de l’université. Il s’opposait à ce qu’elle pratique le Falun Gong, méditation persécutée en Chine, en lui disant de « surveiller ses arrières ». Le courriel terminait en affirmant que « l’association étudiante de l’Université d’Ottawa est sous la tutelle directe du département de l’Éducation de l’ambassade chinoise au Canada ».
Revendications
Sur les dépliants distribués au Chinatown, on peut lire que Pékin « protège la langue et la culture tibétaine » et défend les Tibétains contre « l’esclavagisme » qu’imposait le Dalaï-lama avant de s’exiler. L’activité, déclarent les participants, avait pour objectif de faire contrepoids aux « mensonges et préjugés » des médias occidentaux. Lorsqu’on demande à ces étudiants d’où proviennent les « mensonges » véhiculés par la CNN et la BBC et pour quelles raisons ces entreprises de presse auraient-elles intérêt à mentir, leur discours, si énergique au départ, s’éteint pour laisser place à un long silence.
Un jeune étudiant de Concordia affirme que les violences à Lhassa sont orchestrées par le Dalaï-lama. Une étudiante chinoise dans la jeune trentaine, à Montréal depuis trois ans, estime que le Dalaï-lama est « manipulé » par une obscure organisation. Quand on lui demande de quelle organisation il s’agit et quelles seraient les motivations de celle-ci, elle ne peut répondre.
Sur les feuilles d’information distribuées, on compare, entre autres, les moines Tibétains à des talibans.
Matthew Little et Jason Loftus, La Grande Époque - Toronto et Winnipeg
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