« Tracy avait déjà deux tiges de métal dans le dos. Ajouter une sonde, c'était impensable », a déclaré en 1993 Robert Latimer, un fermier de Wilkie, en Saskatchewan. Lourdement handicapée par une paralysie cérébrale, Tracy, qui était âgée de 12 ans, ne pouvait pas parler ni marcher, ni manger par elle-même. En octobre 1993, ce père de quatre enfants en vient à la conclusion que sa fille ressent des souffrances intolérables et décide, sans impliquer son épouse, de mettre fin à ses jours en l'empoisonnant au monoxyde de carbone. M. Latimer, qui dit avoir tué sa fille Tracy par compassion, ne supportait plus de la voir souffrir. Selon monsieur Latimer, l'enfant devait subir une quatrième intervention chirurgicale importante - l'amputation d'une jambe - et qu'on ne pourrait lui donner autre chose que du Tylenol pour atténuer la douleur de l'opération.
La mort de Tracy Latimer avait déclenché un débat national sur l'euthanasie qui avait culminé par un verdict de culpabilité pour meurtre au second degré en 1994. Robert Latimer, qui est âgé de 55 ans, a passé les sept dernières années en prison et il n'est toujours pas d'accord avec le verdict de culpabilité qui a été rendu contre lui après deux procès devant jury et des démarches jusqu'en Cour suprême du Canada. Convaincu d'avoir fait la bonne chose en 1993, Robert Latimer rejette le jugement de la Cour suprême, qui estimait qu'il aurait pu faire plus pour améliorer la santé de sa fille, en lui introduisant une sonde d'alimentation, par exemple. Sa sentence minimale de 10 ans d'emprisonnement avait donc été maintenue en Cour suprême du Canada. Le plus haut tribunal du pays n'a pas accepté l'« exemption constitutionnelle ». Si elle l'avait fait, la décision aurait pu s'appliquer à d'autres jugements des tribunaux et aurait fait jurisprudence dans le domaine.
Le professeur Léon Schwartzenberg, cancérologue français connu pour ses réflexions sur la mort et l'euthanasie, a donné à Québec une conférence sur le thème Penser la fin de la vie. Il a pris position dans l'affaire Robert Latimer : « Il [Latimer] a décidé de l'endormir, ce qui me paraît un geste de compassion et d'amour. À mon avis, ceux qui ont décidé de le condamner auraient dû se demander s'ils auraient agi aussi bien que M. Latimer pendant les 13 dernières années où il s'est occupé de son enfant. Il faut aussi se rendre compte que le jugement risque de précipiter une loi sur l'euthanasie pour empêcher de telles condamnations, ce qui serait déplorable ».
Un enquête effectuée par la maison Angus Reid et publiée dans le Globe and Mail en 1999, soit après le second procès subi par Latimer, montrait que 73 % de la population sondée était d’avis que l'inculpé devait encourir une sentence moindre que la peine minimale de dix ans d'emprisonnement alors que seulement 23 % préférait s'en tenir à l'application rigoureuse de la loi.
La Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) autorise finalement, après un premier refus, Robert Latimer à une libération immédiate. Il devra résider, à Ottawa, où une de ses sœurs habite, dans une maison de transition. Le premier refus de la Commission nationale des libérations conditionnelles était justifié par le fait que « Robert Latimer ne se sentait toujours pas coupable de son geste et que sa fille n'aurait pas voulu souffrir davantage ».
Comme l’expliquait, en janvier 2008, Jacques Gagné, professeur retraité de la Faculté de droit de l'Université Laval, au quotidien Le Devoir : « Le principe essentiel, susceptible de guider la Commission nationale des libérations conditionnelles dans l'octroi d'une libération, consiste à évaluer si le détenu peut représenter, par un élargissement total ou partiel, « un risque inacceptable pour la société ». Cette crainte ne s'applique pas au cas présent. Latimer a tué sa fille par compassion. Sa remise en liberté ne comporte aucun élément de dangerosité et au surplus, le problème d'une récidive ne se pose pas ». Et le professeur Gagné reproche à la Cour suprême du Canada la faiblesse de son jugement par le fait qu’elle a omis de distinguer entre le meurtrier qui tue autrui par compassion ou pitié et celui qui le devient sous l'égide de la haine ou de la cupidité. « Tous les meurtres sont différents et ne sont pas motivés par des desseins identiques. Comme l'exprime avec justesse le pénaliste David M. Paciocco, les soumettre tous à une peine minimale similaire devient irrationnel et pervertit le processus judiciaire en le rendant inéquitable ».
En France, un cas identique a attiré l’attention de l’opinion publique. Lydie Debaine, 62 ans au moment des faits, avait reconnu avoir tué, en 2005, sa fille unique, âgée de 26 ans, handicapée motrice et cérébrale dont l'état de santé se dégradait. Anne-Marie était invalide à 90%. A 26 ans, elle avait l'âge mental d'un enfant de 5 ans. Elle souffrait depuis plusieurs années de crises d'épilepsie, de violents maux de tête et de vomissements. Selon le dossier médical d’Anne-Marie : « l'aggravation de sa dépendance est irrémédiable ». Sa mère, qui quitte son emploi pour s'en occuper, est obligée de dormir à ses côtés, sur un tapis en mousse.
Après lui avoir donné plusieurs cachets d'anxiolytiques, Lydie Debaine a plongé Anne-Marie dans une baignoire pour la noyer, le 14 mai 2005 à Groslay (Val-d'Oise). La mère, qui a tenté de se donner la mort après l'avoir donnée à sa fille unique et qui est toujours vivante, a déclaré, comme l’avait fait Robert Latimer : « Je ne regrette pas mon geste mais ma fille me manque ». Comme Robert Latimer, encore une fois, cette mère ne pouvait plus supporter la souffrance de sa fille : « J'ai accompli ce geste dans un acte d'amour. Elle souffrait trop. Elle n'était pas blanche, elle était livide. Son visage était crispé par la douleur. Elle passait des jours et des jours sans dormir ». Avant de passer à l’acte, à l’insu de son mari, Lydie Debaine lui avait laissé un mot, un simple mot : « Pardon Fernand de te quitter, prends sur toi, courage, Anne-Marie ne s'est pas rendue compte, je t'aime, Lydie ». Elle avait tenté simultanément de se suicider en ingurgitant, elle aussi, des barbituriques.
Au cours de ses réquisitions, l'avocat général avait déclaré : « Elle est coupable du crime qui lui est reproché. Elle a tué sa fille avec préméditation. Elle était consciente de ce qu'elle faisait. Elle revendique un acte juste (...) Je ne le qualifierais pas d'acte juste ». Douze jurés ont répondu « non » à la question de savoir si Lydie Debaine avait commis un « homicide volontaire » à l'issue de deux heures de délibéré. Lydie Debaine a donc été acquittée par la cour d'assises du Val-d'Oise, une décision très rare dans ce genre d'affaires. Ces vingt dernières années, la justice française a, le plus souvent, prononcé des peines de prison avec sursis à l'encontre des parents meurtriers ou assassins de leurs enfants handicapés.
Son avocate, Caty Richard, avait plaidé l'acquittement et ému un juré en pleurs et une cour emprunte d'émotion : « C'est bien parce que Lydie Debaine lui a donné la vie, l'a portée à bout de bras, l'a aimée, qu'elle seule pouvait avoir le courage d'aller au bout de ses souffrances pour lui donner la mort, son ultime don ».
Sources : AFP, Cyberpresse, Le Monde, Nouvel Observateur, Presse Canadienne
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