Au Canada, la politique a beaucoup de difficultés à se détacher d’une culture du scandale. Comme si le peuple canadien était voué à vivre, de façon récurrente, son lot cyclique de scandales. Le Parti conservateur du Premier ministre Stephen Harper a remporté les élections législatives du 23 janvier 2006 et dirige depuis un gouvernement minoritaire. Pendant la campagne électorale, les conservateurs avaient mis l’accent sur l’éthique et avaient promis un gouvernement plus propre. Depuis son élection, Stephen Harper a multiplié les déclarations, contrôlé celles de ses ministres, fait voter une loi sur l’imputabilité, pour montrer aux Canadiens que son parti était bien plus honnête que les libéraux. Tout devait baigner dans l’huile pour faire en sorte que les membres du gouvernement conservateur soient associés, sans y déroger, aux deux règles incontournables du Premier ministre : éthique et probité.
Stephen Harper est plongé dans une véritable situation de crise. Il est encore aux prises avec Élections Canada. Comme le rappelle Le Devoir : « Quand il dirigeait la National Citizens Coalition, un groupe de pression de droite, il avait mené une bataille légale pour que soient abolis les plafonds de dépenses imposés aux groupes d’intérêt voulant participer à une campagne électorale. Il a perdu sa cause en Cour suprême en mai 2004 ».
Élections Canada revient le hanter. Lors de l’élection de 2006, le Parti conservateur a transféré des milliers de dollars dans les comptes bancaires de 67 candidats, argent aussitôt remis au siège social du Parti conservateur pour l’achat de publicités. Ces dépenses de publicité étaient destinées à des campagnes nationales et non à des campagnes en faveur des candidats locaux. Elles auraient dû être imputées, selon l’organisme de contrôle des élections au Canada, au Parti conservateur et non aux candidats locaux. Ce jeu d’échanges bancaires aurait permis au parti conservateur d’excéder de 1,2 million $ le plafond de dépenses permises en vertu de la loi électorale.
Depuis des mois, Élections Canada analyse de près les dépenses publicitaires de 67 candidats conservateurs au pays lors de la dernière campagne électorale, enquête qui a mené à une perquisition de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et d’Élections Canada au quartier général des conservateurs. « Le Commissaire aux élections fédérales a demandé à la GRC d’aider le commissaire à exécuter un mandat de perquisition », avait déclaré John Enwright, porte-parole à Élections Canada. « Le commissaire n’a rien à ajouter ». Stephen Harper n’hésite pas à établir un lien entre cette perquisition et une poursuite intentée par les conservateurs contre Élections Canada concernant son interprétation des règles en vigueur en 2006.
Au terme d’une enquête amorcée en avril 2007, Élections Canada accuse le Parti conservateur du Canada (PCC) et son bras financier, le Fonds conservateur du Canada, d’avoir contrevenu à la loi électorale canadienne. Dans un document assermenté de 70 pages, Élections Canada déclare que le Parti conservateur aurait mis au point, lors des élections fédérales de 2006, un système de transferts frauduleux qui permettait à l’organisation nationale de bénéficier de fonds destinés à des candidats régionaux. Le Parti conservateur du Canada a ainsi dépassé de 1,1 million de dollars la limite des dépenses autorisées à l’échelle nationale, qui était de 18 millions de dollars lors de la campagne de 2006.
Il y a sept mois, le directeur général des élections (DGE) demandait au Commissaire aux élections générales d’enquêter sur cette pratique comptable utilisée par les conservateurs. Le commissaire a pour mandat de veiller à l’observation et à l’exécution de la loi électorale.
Le Commissaire allègue que 67 candidats du parti ont illégalement réclamé 777 000 $ de dépenses qu’ils n’auraient jamais faites. Les conservateurs contestent cette interprétation et tentent d’obtenir gain de cause devant les tribunaux. Ils font valoir que tous les partis agissent de cette façon et qu’ils sont victimes de discrimination. « Je rappellerai au leader du gouvernement que seuls les rapports d’élections des conservateurs sont contestés, pas ceux des autres partis! », a répliqué en Chambre le député bloquiste Michel Guimond. Comme l’indiquait Le Devoir : « Au Québec, tous les élus conservateurs, sauf Jean-Pierre Blackburn et Denis Lebel (élu à la faveur d’une élection partielle), ont participé au système, y compris les ministres Maxime Bernier, Lawrence Cannon et Josée Verner. Dans le reste du pays, le ministre Stockwell Day et le whip du gouvernement, Jay Hill, sont impliqués également ».
Le Commissaire aux élections générales découvre, au cours de son enquête, qu’une agente officielle du Parti conservateur avait émis des doutes sur la légalité de ce système de dépenses. Elle aurait apparemment voulu demander conseil à Élections Canada afin de savoir si le processus était légal. Le parti lui aurait alors déconseillé cette démarche. Le commissaire indique de plus que le parti a cessé de collaborer avec Élections Canada à son enquête. Sur 18 personnes qu’Élections Canada a voulu interroger, 16 ont refusé d’être interviewées.
Selon le Parti libéral du Canada, le ministre des Transports, Lawrence Cannon, ferait partie, d’une poignée de conservateurs qui auraient pu jouer un rôle un peu plus actif dans l’organisation des transferts et sorties de fonds dans les comptes bancaires des candidats conservateurs lors de l’élection de 2006. Outre monsieur Cannon, les noms de Michael Donison, actuel conseiller du leader parlementaire Peter Van Loan, et de Patrick Muttart, chef de cabinet adjoint du premier ministre Stephen Harper sont également cités en raison du rôle qu’ils auraient pu avoir joué dans ces manœuvres bancaires.
Les libéraux du Canada sont prudents car ils se savent en terrain miné : « Nous ne suggérons pas que M. Cannon ait fait quelque chose d’illégal, a déclaré le député libéral de Beauséjour. Ce qui nous inquiète, c’est que son nom est sorti dans des documents présentés à la cour comme étant possiblement quelqu’un qui était impliqué à mettre sur pied ce stratagème », a déclaré le député libéral Dominic LeBlanc. Selon le député LeBlanc, les noms de ces personnes sont mentionnés dans le mandat qui a mené à la perquisition de documents au quartier général du Parti conservateur. M. Cannon ne serait pas un simple « participant innocent ».
Le nom de M. Cannon apparaît effectivement dans les documents déposés en cour pour appuyer la demande de mandat de perquisition. Il est souvent dans la liste des destinataires des courriels où il est question des budgets de publicité de candidats conservateurs au Québec. Les libéraux soutiennent que le ministre Lawrence Cannon devrait être suspendu de ses fonctions le temps que les enquêtes sur les dépenses électorales du Parti conservateur soient terminées et leurs conclusions connues.
D’ex-candidats sortent maintenant de l’ombre pour dénoncer les manœuvres du Parti conservateur du Canada. Certains disent même avoir fait l’objet d’intimidation pour leur refus de participer au stratagème. Un ex-candidat conservateur, dans Richmond-Arthabaska, en 2006, Jean Landry, affirme n’avoir eu droit à aucune publicité locale, ajoutant qu’il est prêt à témoigner à ce sujet. Le montant qu’il a reçu pour une telle publicité a dû être retourné au PCC. Selon M. Landry, le parti lui avait dit que ce principe du « in-and-out » lui permettrait d’être élu dans sa circonscription. L’ex-candidate conservatrice, dans Berthier-Maskinongé, Ann-Julie Fortier, a pour sa part raconté avoir fait l’objet de pression et même de menaces. Selon cette dernière, la menace était claire : si elle n’acceptait pas les faux frais dans sa campagne, elle « serait écartée ». Elle n’y a pas cru mais elle a été remplacée une semaine après le début de la campagne. Un autre ex-candidat, Martial Toupin, poursuit le Parti conservateur. Monsieur Toupin allègue que le parti a comploté pour l’écarter de la prochaine élection parce qu’il ne voulait pas être complice de toutes ces irrégularités.
Dans les entrevues menées par Élections Canada et citées dans le mandat de perquisition, des candidats et des agents officiels mentionnent leur étonnement lorsque l’offre du parti leur a été transmise. Les informations tendent à démontrer que les candidats avaient bien peu de latitude pour refuser l’argent du Parti conservateur. Selon Élections Canada, le stratagème utilisé par les conservateurs était érigé en système et n’avait rien d’improvisé. Tout cela avait pour but, en réalité, de contourner la loi électorale.
Le ministre des Finances, Jim Flaherty, s’est inquiété de la présence des caméras de télévision quand les policiers sont entrés et ressortis du quartier général du Parti conservateur du Canada. Le député conservateur Pierre Poilievre, qui représente la circonscription ontarienne de Nepean-Carleton, a même accusé Élections Canada d’avoir invité le Parti libéral du Canada à assister à la perquisition. Un vidéaste, embauché par les libéraux, était présent au moment de la perquisition, tout comme les caméras des grands médias nationaux qui filmaient la scène. Bref, selon les conservateurs, humiliés, la perquisition menée par la Gendarmerie royale du Canada aux bureaux du Parti conservateur, à Ottawa, a tourné en « cirque médiatique » et accusent de ce fait Élections Canada.
Les libéraux souhaitent maintenant que la Gendarmerie royale du Canada ouvre une enquête pour faire la lumière sur le présumé scandale des dépenses de publicité des troupes de Stephen Harper.
Les conservateurs qui espèrent pouvoir remporter une majorité lors du prochain affrontement électoral auront beaucoup de mal à limiter les dégâts et à convaincre l’électorat.
(Sources : Canoë, Cyberpresse, Le Devoir, Presse canadienne, Radio-Canada-CBC)
____________________________