dimanche 27 avril 2008

Israël au coeur des présidentielles américaines

Israël est-elle au centre de toutes les dérives verbales et de tous les dérapages dans la présente campagne présidentielle et dans la politique extérieure des États-Unis?

La chose est entendue : nous devrons vivre avec le choix du peuple américain pour son prochain président. Ce qui, par contre, est irritant est le fait que les choix de ces présidents élus en matière de stratégie géopolitique, dans le monde, peuvent nous entraîner dans des engagements qui nous sont totalement étrangers. Il faut savoir, comme le Canada et la France l’ont fait, dire un NON retentissant aux « invasions barbares » de l’Amérique.

Qui a dit qu’il n’y avait que les républicains pour tenir un discours belliqueux? Des voix s’étaient élevées pour ralentir les ardeurs de Georges W. Bush au plus fort de la crise nucléaire irano-américaine. Georges W. Bush n’avait pas apprécié l’amiral Fallon, qui a démissionné, le 11 mars dernier, après que ce haut gradé militaire ait émis des critiques, dans la revue Esquire, contre l’attitude de l’administration américaine à l’égard de Téhéran. Georges W. Bush avait de manière on ne peut plus cavalière jeté aux poubelles le rapport Bakker-Hamilton qui proposait aux États-Unis une ouverture des négociations sur le Moyen-Orient avec l’Iran, la Syrie et certains États arabes. Il est inutile de répéter toute la litanie des manquements graves à la logique diplomatique de Georges W. Bush. Le mal est fait. Et regrettables sont les décisions des deux gouvernements de droite du Canada et de la France de s’aligner, a posteriori, sur ce moribond en fin de règne.

Le général David Petraeus remplace le général Fallon et à nouveau le « roulement des tambours » se fera entendre jusqu’au départ de Georges W. Bush. Pendant ce temps-là, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller du président Carter qui prêche dans le désert, écrivait, le 30 mars dernier, dans le Washington Post : « si on avait demandé au peuple américain il y a cinq ans si l’obsession de Bush pour le renversement de Saddam Hussein valait 4000 vies américaines, près de 30 000 blessés et plusieurs milliards de dollars - sans parler des dommages non mesurables infligés à la crédibilité, à la légitimité et au statut moral des USA dans le monde entier - presque certainement la réponse à cette question aurait été un « non » sans équivoque ».

La Corée du Nord a aidé la Syrie à construire secrètement un réacteur nucléaire qui aurait permis de produire du plutonium à des fins militaires. Ce réacteur été détruit en septembre 2007 par Israël, dans le plus grand secret militaire, avec l’accord de Washington. Répétant le scénario sur l’Irak, les États-Unis ont présenté des documents prouvant, selon eux, que la Corée du Nord a aidé la Syrie à construire un réacteur nucléaire présumé, qui a été bombardé par des avions de guerre israéliens en septembre. En réplique, le représentant permanent de la Syrie aux Nations unies, Bachar Ja’afari, a déclaré : « Le principal objectif des allégations de la CIA américaine contre la Syrie est de justifier l’attaque israélienne contre le site syrien ».

Un nouveau front vient de s’ouvrir : l’axe Syrie et Corée du Nord sur fond de crise nucléaire. Mohamed ElBaradeï, de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a critiqué les États-Unis pour avoir tardé à communiquer leurs informations à l’AIEA alors que, selon eux, le projet syrien a été lancé en 2001, et Israël pour avoir mené le raid aérien, soulignant que les inspecteurs de l’AIEA auraient pu vérifier si des activités nucléaires non déclarées se déroulaient dans les installations. « À la lumière de ceci, je considère que le recours unilatéral à la force par Israël a sapé le processus de vérification qui est au cœur du régime de non-prolifération », a déclaré ElBaradeï. Ce que ne peut préciser Mohamed ElBaradeï sur les raisons qui font que cette information ne sort que très tardivement, d’autres n’hésitent pas à le faire : selon des politologues, l’administration Bush n’a pas voulu dévoiler ces renseignements plus tôt parce qu’elle craignait des représailles de la Syrie contre Israël.

John McCain n’en souhaitait pas mieux pour se remettre au premier plan de l’actualité. Il vient d’imposer un « jab » à son adversaire Barak Obama qui avait déjà déclaré qu’il accepterait de « rencontrer séparément, sans précondition », pendant sa première année de gouvernement, « à Washington ou ailleurs, les dirigeants de l’Iran, de la Syrie, du Venezuela, de Cuba et de la Corée du Nord ». Selon le candidat républicain : « Ils devraient expliquer au peuple américain comment parler sans condition à des dictateurs comme Kim Jong Il, à la lumière des récentes révélations, va servir les intérêts américains ». Le clan McCain ne fait pas dans la nuance. Rien à rivaliser avec la Maison Blanche. Selon Steve Schmidt, conseiller du candidat républicain, si le Hamas souhaite l’élection de Barak Obama, ce n’est qu’en raison de sa seule politique. « Hamas has said they want Barack Obama to win. The reason for that is his policy. He wants to negotiate with the terrorist-funding, nuclear-aspiring, holocaust-denying, Israel-threatening dictator of Iran ».

Comme l’indique avec justesse Richard Hétu, du quotidien La Presse, McCain fait retirer une publicité liant Obama à son ancien pasteur. Par contre il établit lui-même un rapport douteux entre le Hamas et Obama. Et la question que pose le correspondant de la Presse à New York est la suivante : « Aurait-il tout simplement décidé de ne pas parler de Jeremiah Wright pour que ses critiques oublient John Hagee, le pasteur anti-catholique qui lui a donné son soutien? » Il faut se rappeler que John Hagee, de la puissante église Cornerstone de Dallas, avait accordé son soutien au candidat républicain pour les raisons suivantes : « Ce que le sénateur McCain devrait faire, je crois, pour attirer les évangéliques dans son camp, c’est montrer très clairement qu’il est un ardent défenseur d’Israël et qu’il est fort de 24 années de lutte pro-vie [anti-avortement]. Et je pense que sur ces deux points ils se retrouveront sur le même terrain, et auront une compréhension commune ».

Force est de constater qu’Israël est au centre de toutes les attentions.

Et Hillary Rodham Clinton? Selon madame Clinton, elle a ressenti le don de Dieu et elle prend ses décisions sur les questions morales, comme l’avortement et le traitement réservé aux terroristes présumés, après avoir prié, médité et étudié. Hillary Clinton a déclaré sur CNN qu’elle a toujours senti la présence de Dieu dans sa vie. Elle a fait cette déclaration à l’occasion d’un débat sur « la foi et les valeurs » au Messiah College en Pennsylvanie. La religion joue un rôle considérable dans la vie politique américaine et une majorité écrasante d’électeurs avouent qu’ils ne voteraient jamais pour un athée.

Politique oblige. Hillary Clinton a déploré que le chrétien Barack Obama ne respecte pas les gens qui cherchent du réconfort dans la religion. Madame Clinton est revenue sur les propos aigres-doux sur les « cols bleus » tenus par Barack Obama. Mme Clinton a estimé qu’il avait fait une déclaration « élitiste, hors de propos et franchement condescendante ».

En Pennsylvanie, au cours d’un discours formulé à la veille de ces primaires, Hillary Clinton a appelé au soutien des Juifs de cet État, en affirmant que « si l’Iran attaque Israël avec l’arme nucléaire, les États-Unis auront la possibilité de détruire l’Iran complètement ». La menace est claire et limpide : « si elle était élue à la Maison Blanche en novembre, madame Clinton menace de « rayer de la carte » (we would be able to totally obliterate them) l’Iran au cas où ce pays lancerait une attaque nucléaire sur Israël ». Et madame Clinton d’ajouter : « Au cours des dix prochaines années, pendant lesquelles ils (les Iraniens) pourraient inconsidérément envisager de lancer une attaque sur Israël, nous serions capables de les rayer totalement de la carte ». Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, avait affirmé, en 2005, que l’État d’Israël devait être « rayé de la carte ».

Barak Obama a menacé également l’Iran : « les Iraniens peuvent être certains que je répondrai avec force, et qu’il est absolument inacceptable qu’ils attaquent Israël, ou aucun autre de nos alliés dans la région, avec des armes conventionnelles ou nucléaires ». Il a ajouté : « employer des mots comme “rayer de la carte” ne pouvait pas vraiment donner de bons résultats ».

Se disant en inspiration et en réconfort avec la religion, madame Hillary Rodham Clinton mesure-t-elle le sens de cette menace? Rayer un pays de la carte, c’est faire disparaître son peuple, son histoire, son existence même. Au pays de la démocratie et de la morale religieuse, facteur dominant dans les résultats pour l’élection d’un président ou d’une présidente, un tel discours a de quoi surprendre. Encore une fois, de telles menaces, formulées en pareils termes, s’inscrivent bien mal, en temps de paix, dans une logique diplomatique mondiale. Non seulement les États-Unis refusent toutes négociations avec l’Iran et la Syrie, non seulement les États-Unis sèment la guerre et la désolation en Irak, non seulement les États-Unis maintiennent dans l’indignité et la pauvreté la plus extrême le peuple palestinien, voilà que la candidate aux présidentielles 2008 utilise un discours proche du casus belli pour défendre un pays allié.

Si madame Clinton a l’expérience pour occuper le poste de Commandante en chef des armées, vient-elle de démontrer qu’elle en possède également le discernement et la clairvoyance d’un John F. Kennedy? Madame Clinton a-t-elle soupesé les conséquences d’une telle déclaration sur des pays voisins de l’Iran comme la Chine et la Russie? Comme l’indique Dedefensa : « le propos d’Hillary vaut le “Bomb, bomb, bomb Iran” de McCain et la différence entre les deux candidats laisse à peine la place à un papier de cigarette ». Lord Mark Malloch-Brown, ministre britannique, a jugé ces propos imprudents. « While it is reasonable to warn Iran of the consequence of it continuing to develop nuclear weapons and what those real consequences bring to its security, it is not probably prudent… in today’s world to threaten to obliterate any other country and in many cases civilians resident in such a country ».

Et la première chose qu’aurait dû savoir madame Hillary Clinton, en bonne politicienne qu’elle se prétend être, est qu’il est hasardeux et téméraire de répondre – en assemblée publique – à une question hypothétique. Et la deuxième chose que madame Hillary Clinton aurait également dû prendre en compte : l’Iran ne compte pas que des ennemis dans la région. Une tentative d’éradication de l’Iran de la carte ne serait pas sans conséquences. Madame Clinton n’a résolument pas la clairvoyance d’un John F. Kennedy.

N.B. Mes remerciements à Gilles pour ses précieuses informations.

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