La francophonie tient tête à Nicolas Sarkozy. Incapable de gérer comme il se doit, avec des gants de velours, le dossier TV-5, il faut craindre le style de la future présidence française au sein de l’Union européenne.
Il apparaît de plus en plus clair, au grand détriment de la politique de la droite de Nicolas Sarkozy, que le holding France Monde est contesté. Ce projet du gouvernement français consistait à regrouper les trois groupes audiovisuels (TV5, RFI et France 24) au sein de France Monde, dont le président serait Alain de Pouzilhac et la directrice générale Christine Ockrent, journaliste. Il n’en est pas question, ont répondu en bloc les partenaires de la France.
Les gouvernements partenaires de TV5 Monde, soit le Canada, le Québec, la Belgique et la Suisse, s’opposent au projet. La rupture s’est manifestée mercredi dernier. Les représentants de la télévision suisse romande ont menacé de se retirer de TV5 si TV5 Monde était entièrement subordonné à la France. La première réunion de mercredi s’est mal passée. Après la suspension de la rencontre matinale, plusieurs administrateurs ne se sont pas présentés en après-midi, privant l’assemblée de quorum. En effet, les représentants des quatre partenaires de la France dans la chaîne (Québec, Canada, Suisse et Communauté française de Belgique), de même que les trois représentants des salariés de TV5 Monde se sont déclarés absents en après-midi.
Selon le scénario français, la place qu’occupent les émissions des partenaires francophones, notamment les téléjournaux, serait déterminée par la France. Les partenaires sont contre cette façon de faire et la Suisse, devant ce qu’elle appelle la filialisation de TV5 Monde, menace de se retirer de la chaîne. Mais la France, qui finance 80 % de la chaîne de TV5 Monde, souhaite qu’Alain de Pouzilhac, qui préside France Monde, dirige aussi TV5 Monde. La ministre du Patrimoine canadien, Josée Vener, a proposé, comme le rapporte la Société Radio-Canada, que le poste de PDG de TV5 Monde soit scindé en deux, soit un président et un directeur général, et que ce dernier soit choisi et nommé pour trois ans par le conseil d’administration de la chaîne.
Les Belges ont, pour leur part, proposé, selon Le Point, qu’un comité d’experts se charge de désigner les candidats aux postes à responsabilité, ou du moins d’en établir une petite sélection. Habile. Et cocasse : cette méthode n’est pas sans rappeler la façon dont Nicolas Sarkozy a diplomatiquement écarté George-Marc Benamou de la Villa Médicis … La France n’a pas le monopole de la ruse.
Pouzilhac veut le même poste que Bonnemain et les partenaires étrangers campent sur leur position. François Bonnemain (l’actuel PDG de TV5) est prié par Matignon de céder sa place. La Suisse d’y oppose. Alain de Pouzilhac devrait se contenter d’être le président du conseil d’administration. Il devra accepter la présence d’un directeur général pour diriger la chaîne à ses côtés. Selon l’Express, les francophones ont entendu Alain de Pouzilhac tenir des propos peu diplomatiques à leur égard. Ces tractations de coulisses ont fait que les trois représentants des francophones ont déserté le conseil.
L’Express a bien décrit, en peu de mots, les tactiques manœuvrières derrière ce premier Conseil d’administration : « La méthode du passage en force ayant lamentablement échoué, certains proposent d’en revenir à de meilleurs sentiments à l’égard de nos amis suisses, belges et canadiens ». Comme l’a rappelé Fadila Laanan, ministre de la Culture et de l’Audiovisuel belge, « au-delà de cette question de la gouvernance, la véritable question est celle de l’autonomie de gestion de TV5 Monde quant aux développements stratégiques de la chaîne ». Surtout, encore une fois, après cette gaffe énorme commise avant même la tenue du conseil, dans le bureau de François Bonnemain, par Alain de Pouzilhac, candidat de Nicolas Sarkozy.
Autre candidate qui fait obstacle à un consensus de la part des partenaires de TV5 Monde : la désignation de Christine Ockrent à la direction générale déléguée relance nettement le débat sur l’indépendance de la nouvelle entité audiovisuelle.
Ces deux nominations, voulues et imposées par Nicolas Sarkozy, signifierait une direction franco-française qui affecterait, à l’évidence, le caractère international de la chaîne, codétenue par la France, la Suisse, la Belgique, le Canada et le Québec.
Le mois dernier, l’ex-premier ministre français Jean-Pierre Raffarin avait affirmé que le président français Nicolas Sarkozy pourrait profiter de son passage au Québec, l’automne prochain au Sommet de la francophonie, pour revoir la formule diplomatique française caractérisant la relation franco-québécoise depuis la fin des années 1970. S’il faut se fier aux événements de TV5 Monde, cela augure bien mal. Le Québec pourrait se passer des monologues du président Nicolas Sarkozy.
Alain Joyandet est en visite au Canada pour une tournée qui le conduira successivement à Ottawa, Montréal et Québec. Il compte profiter de ce séjour pour rassurer ceux qu’auraient inquiété les déclarations de l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin voulant que le président soit « contre le ni-ni ». Le ministre reconnaît que Nicolas Sarkozy aura « sans doute sa propre façon d’approcher la politique de la non-ingérence, non indifférence ».
Sur le dossier de TV5, M. Joyandet a dit espérer une « solution négociée et consensuelle (…) dans les jours ou les semaines à venir ».
Il faut espérer que le Québec remettra sur la table l’échec de cette rencontre du Conseil d’administration et « La méthode du passage en force ». Selon le quotidien Le Devoir, Alain Joyandet a affirmé que la France est prête à accepter que le directeur général de TV5 soit d’un pays autre que la France. Selon le ministre français, il resterait maintenant à se mettre d’accord sur la répartition des rôles entre celui qui sera le président de TV5 et celui qui en sera numéro deux, soit le directeur général. Pour le Québec, il est important de préserver le caractère multilatéral de TV5. Le directeur général devra donc disposer de larges pouvoirs et devra être indépendant du holding créée par Paris pour regrouper son audiovisuel extérieur public.
La participation de la France au capital de TV5Monde, actuellement de 66%, est également l’un des sujets de discorde, les autres partenaires exigeant que la France soit minoritaire. Selon le journal Les Échos, la France a accepté que FranceMonde ne détienne que 49% de TV5 Monde. « Mais si les participations détenues par France Télévisions, Arte et l’Ina (environ 17,5%) s’ajoutent au 49%, la France reste majoritaire », a souligné une source proche du dossier.
Une nouvelle réunion du conseil d’administration est convoquée pour le 29 avril, a-t-on appris jeudi auprès des services de la ministre belge chargée du dossier, Fadila Laanan.
Sources : AFP, Cyberpresse, le Devoir, L’Express, Les Echos, Le Monde, Le Point)
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