dimanche 13 avril 2008

La cyberintimidation : « À ta place, je me suiciderais »

Un soir de septembre (qu’importe l’année!), le fils de France, âgé de 12 ans, la rejoint au salon, en larmes. Il vient de recevoir un courriel d'un ami avec lequel il est en froid. Un courriel très particulier. « J'ai été abasourdie par ce que j'ai lu à l'écran. C'était un message d'insultes avec des mots très durs. Et le garçon terminait en disant : À ta place, je me suiciderais. Plus difficile, il y a eu un suicide dans ma famille. Mon fils, dont l'estime de soi est déjà faible, était démoli ». Bienvenue dans la cyberintimidation (de l'anglais cyberbullying ). Selon l’enseignant albertain, Bill Belsey, à qui l’on doit le terme cyberintimidation, « celui qui est intimidé se sent seul, poursuit Bill Belsey. Il se sait plus qui croire. Il n’a plus confiance en personne. Il faut faire comprendre aux jeunes que ce qu’ils font sur l’internet ne s’efface pas. En premier lieu, cela peut blesser quelqu’un. Mais cela peut aussi nuire à leur propre avenir ».

L'intimidation est une « action consciente, volontaire et délibérée, visant à nuire », écrit Barbara Coloroso dans son volume The Bully, the Bullied, and the Bystander : From Pre-School to High School – How Parents and Teachers Can Help Break the Cycle of Violence.

Rappelons ce mot de François Mitterrand : « Laissez la tyrannie régner sur un mètre carré, elle gagnera bientôt la surface de la terre ». Cette tyrannie, que nous appellerons pour les besoins du présent article intimidation ou harcèlement, se retrouve sous différentes formes à tous les âges : harcèlement psychologique, harcèlement sexuel, attaques par des gangs, violence amoureuse, agression, violence domestique, violence envers les enfants, harcèlement en milieu de travail, violence envers les aînés (Conseil national de prévention du crime, 1997).

« Violence » vient du latin « vis », qui signifie « violence », mais aussi « force », « vigueur », « puissance » ; « vis » désigne plus précisément « l'emploi de la force », les « voies de fait », ainsi que la « force des âmes » (R. Dadoun, La violence, Coll. Optiques de Hatier, page 6). L’intimidation pourrait se diviser en quatre grandes catégories : l’intimidation physique, l’intimidation relationnelle, l’intimidation verbale et l’intimidation électronique. Forme de violence perverse, qui se retrouve dans les familles, le couple et les entreprises, le harcèlement est une perversion morale répétitive de longue durée, processus de destruction inconscient, qui déstabilise et rabaisse l’autre au mépris de ses droits et de son équilibre psychologique.

Dans le Dictionnaire de la langue française, intimidation signifie : « Menace, pression pour intimider quelqu'un ». Et le Dictionnaire propose trois synonymes à intimidation : « chantage, menace, pression ». Dans un excellent document pédagogique, l’Université de Calgary définit ainsi l’intimidation : « l’intimidation est une volonté d’imposer son pouvoir et son contrôle sur autrui ». Le 12 décembre 1997, la Fédération des médecins résidents du Québec adoptait une définition de l’intimidation. « L’intimidation, c’est un comportement ou une parole de la part d’une personne qui utilise une situation de pouvoir pour troubler, gêner ou influencer les actes ou les idées d’une autre personne et qui a pour conséquence de nuire à l’emploi, au rendement académique ou au bien-être de la personne visée par ce comportent ou cette parole ».

Il convient de ne pas tout confondre. Tiennot Grumbach, spécialiste du droit social, estime que toute souffrance au travail n'est pas nécessairement du harcèlement : « Il existe une confusion entre le harcèlement moral, qui est l'œuvre d'un individu, (...) souvent pratiqué à l'insu de l'employeur, de façon secrète, dans une relation personnelle vraiment destructrice (...) et le harcèlement professionnel qui existe dans certaines entreprises. (...) Le premier est une faute répréhensible au civil et/ou au pénal. Le second relève d'une mauvaise gestion de l'entreprise. Les deux peuvent produire la même souffrance chez les salariés (...) mais ils imposent des réponses différentes ».

Les individus intimidateurs établissent leur pouvoir sur leurs victimes de multiples façons : par leur taille et leur force physique, en mettant le doigt sur les points faibles de leur victime, par leur rang dans le groupe, ou en se gagnant la collaboration des autres enfants (Conseil national de prévention du crime, 1997; Pepler et Craig, 1999).

Les jeunes qui intimident les autres, écrit Sécurité publique Canada, sont plus susceptibles également d'adopter des comportements antisociaux (Farrington, 1993). Certaines études révèlent que 30 à 40 % des enfants qui manifestent des problèmes d'agressivité ont un comportement violent lorsqu'ils sont adultes (Service public d'éducation et d'information juridiques du Nouveau-Brunswick). Chez les victimes, de l'intimidation répétée peut causer de la détresse psychologique et de nombreux autres problèmes (Besag, 1989; Olweus, 1993). Les effets de l'intimidation vont au-delà de l'intimidateur et de la victime et se ressentent dans tout le groupe, à l'école et dans toute la collectivité.

Les méchancetés lancées sur l’internet sont plus virulentes que celles lancées dans la cour d’école. « L’écran de l’ordinateur, cela enlève la retenue qu’une personne a naturellement dans le vrai monde. Quand tu es face à face avec quelqu’un et que tu es méchant, tu as un minimum d’empathie car tu vois la réaction. Pas sur l’internet », explique l’Américain John Halligan qui, depuis le suicide de son fils, multiplie les conférences : il veut que les États américains adoptent des lois qui préviennent la cyberintimidation dans les écoles.

Selon un sondage CROP, commandé par la CSQ et réalisé auprès de 1 200 de ses membres, sur la cyberintimidation en milieu scolaire, les élèves sont les premières victimes de ce phénomène. La cyberintimidation se déroulerait surtout par courriel (54 %), sur les sites Internet de clavardage (20 %) et par texto (11 %). Les commentaires des cyberintimidateurs portent généralement sur l'apparence des victimes. Seulement 5 p. cent des membres du personnel des établissements scolaires sont victimes de cyberintimidation. Les vraies victimes, ce sont plutôt les élèves.

Plus du quart (27 %) des personnes sondées ont dit connaître au moins une personne qui a été la cible d'attaques ou de menaces par Internet. Selon celles-ci, les victimes sont d'autres élèves fréquentant l'établissement (45 %) ou des enseignants (40 %). Parmi elles, 38 % sont des élèves de leur classe. Les personnes sondées qui proviennent du milieu de l'enseignement et qui ont vécu ce genre de situation ont été victimes en moyenne de trois incidents distincts de cyberintimidation. Dans plus de la moitié des cas (54 %), des insultes ou des menaces ont été proférées par courrier électronique.

Facebook, MySpace et MSN sont des véhicules puissants pour les jeunes qui désirent intimider leurs camarades. Jean-Philippe Pineault, du Journal de Montréal, donne l'exemple de Maude, 12 ans, qui refusait d'aller à l'école parce qu'elle était la cible de moqueries de la part de ses camarades sur Internet. « Je m'étais chicanée avec une fille et elle avait écrit que j'étais une conne et une bitch. Je pleurais tout le temps et je ne mangeais plus », relate l'élève de sixième année.

Voici des exemples de cette intimidation en milieu scolaire :

  • Commentaires sur l'apparence 38%
  • Propos diffamatoires 34%
  • Menaces de dommages corporels 20%
  • Commentaires sur l'enseignement 16%
  • Menaces ou insultes à caractère sexuel 9%
  • Messages haineux 5%
  • Messages d'atteinte à leurs biens 4%

Isabelle Grégoire, dans la revue Actualité, édition de décembre 2005, écrivait : « La cyberintimidation fait d'autant plus de ravages qu'elle n'est limitée ni dans le temps ni dans l'espace », observe le Canadien Bill Belsey, un des meilleurs experts mondiaux en la matière. Et elle peut entraîner des répercussions graves, allant jusqu'à la dépression, au suicide (des cas ont été signalés aux États-Unis et en Angleterre) et même au meurtre – au Japon, une jeune victime a fini par tuer son cyberagresseur ».

John Halligan travaille chez IBM. Le 7 octobre 2003 trace l’avant et l’après de sa vie. L’avant et l’après du suicide de son fils, Ryan, écrit Émilie Côté, du quotidien La Presse. Après les obsèques de Ryan, John Halligan veut comprendre. Pourquoi ce suicide? Lorsqu’il s’est connecté au compte AOL de son fils, John a tout compris. Ryan avait été victime de cyberintimidation. Des jeunes avaient répandu la fausse rumeur qu’il était gai. S’il était le trésor de ses parents, il était le souffre-douleur de ses camarades de classe, fait remarquer Émilie Côté.

La fille qu’aimait secrètement Ryan lui fait croire, par courriel, au cours de l’été, qu’elle voulait sortir avec lui. À la rentrée des classes, au beau milieu de la cour d’école, elle a traité Ryan de « loser » devant tout le monde. « Bien voyons, c’était une blague! » lui a-t-elle lancé, sous les rires méprisants de ses amies. Cette « double vie » de Ryan a consterné John Halligan. « J’étais un peu aveugle », estime-t-il, avec du recul. « Comme bien d’autres parents, je pensais que Ryan allait sur l’internet essentiellement pour s’amuser ».

Plus de 80 % des Canadiens sont d’accord ou entièrement d’accord pour dire que l’intimidation est l’un des plus graves problèmes auxquels se heurtent les élèves d’aujourd’hui. Près de la moitié (47 %) des parents canadiens avouent que leurs enfants ont été victimes d’intimidation et 16 % que les incidents de cette nature sont fréquents. Les Canadiens croient généralement que trop peu est fait pour prévenir l’intimidation et y mettre fin dans les écoles, et ils enjoignent tous aux intervenants concernés d’en faire davantage (Enquête sur les attitudes des Canadiens à l’égard de l’apprentissage (EACA), 2007).

Nicolas Aguila en a parlé sur le site Tom’s Guide : « Hatebook est un réseau social somme toute assez classique, avec toutefois ces petits détails qui ne trompent pas. Il est donc possible de se créer un « album de haine », dans lequel on va pouvoir mettre des photos des choses que l’on déteste. En bons haineux, les membres vont pouvoir remplir une fiche baptisée « pourquoi suis-je meilleur que vous ? ». Cette parodie ne manque d’ailleurs pas d’en rappeler une autre, découverte durant l’été et baptisée Arsebook. Cette fois, Hatebook va plus loin en créant un véritable réseau, quand Arsebook se contente d’une simple page d’accueil détournée. Mais une fois encore, l’intérêt de ce site ne réside pas dans les rencontres qu’il permet ou son caractère social, mais plutôt dans un détournement amusant de Facebook ».

Amusant? Au terme de votre inscription, vous recevez, semble-t-il, le message suivant : « Hello Sucker methodshop! Welcome to Hatebook! Your registration to the Evil Empire was successful. Feel free to pimp your hate profile ».

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