mardi 8 avril 2008

Un étudiant palestinien peut-il expliquer la Shoah devant un tribunal?

Les faits remontent au 26 février dernier. Une nouvelle qui avait bouleversé la communauté grenobloise : un étudiant juif s’était fait tabasser à la fac de pharmacie de Grenoble par un homme de 26 ans pour la seule raison qu’il était juif.

Dans la bibliothèque du campus de Saint-Martin d'Hères, un étudiant en première année de médecine a été poursuivi pour agression contre un étudiant en pharmacie de confession juive. Selon Mickael Finkelstein, d’Israël Valley, ce dernier, décrit par les étudiants grenoblois de sa faculté de Médecine Pharmacie de Grenoble comme très discret mais portant la kippa, n’avait jamais eu de problème avec son agresseur et travaillait tranquillement à la bibliothèque lors des événements. En cours d’audience, le prévenu a reconnu s'être laissé emporter après avoir tenté, en vain, de discuter religion avec sa victime. Le prévenu, âgé de 26 ans, s'est vu, en outre, infliger une peine de 80 heures de travail d'intérêt général (TIG) et devra verser 1.000 euros de dommages et intérêts à sa victime et 500 euros à la LICRA, partie civile.

L’affaire en serait restée là si je n’avais lu, par hasard, un autre article qui a traité en profondeur de cet incident de Grenoble. Aloys Evina, pasteur à Paris et président de la Mission Chrétienne Globale, une organisation de défense des libertés chrétiennes affiliée à la Conférence des ONG ayant des Relations Consultatives avec les Nations Unies, a, le 5 avril dernier, publié une opinion dans le Journal Chrétien.

Aloys Evina écrit : « le cadre est la bibliothèque universitaire de la faculté de Médecine Pharmacie de Grenoble, lieu, comme le rappelle le tribunal, qui devrait être particulièrement préservé et à l’abri ». Evina poursuit : « Un jeune étudiant, Benjamin, y travaille ; il porte une kippa, discrète puisque noire et de petite taille, comme le souligne le tribunal ». Le ton change comme vous le remarquerez : « Cela n’empêche pas un autre étudiant de la remarquer et de venir s’adresser au jeune juif, auquel il demande de discuter avec lui de religion (en particulier, il veut l’interroger sur Moïse) ». Benjamin lui réplique que cela ne l’intéresse pas, il veut travailler, les examens sont proches. L’autre insiste, et finit par lui dire qu’il est palestinien, à quoi Benjamin répète que cela ne l’intéresse pas et refuse toujours la discussion. Le Palestinien n’a pas de prénom.

Aloys Evina décrit les événements en ces termes : « L’agresseur s’énerve alors et se met à lancer des insultes : « Sale juif » (à 2 reprises) puis des propos plus rudes à base d’ « enculer » et de « niquer ta race ». Les événements se bousculent. Je cite à nouveau Evina : « Benjamin réagit en invitant son interlocuteur à sortir « casse-toi, laisse-moi travailler » et quitte lui-même la salle pour, semble-t-il, avertir l’appariteur. Mais l’autre le suit, et voulant le passage, Benjamin le pousse ».

En aucun temps, Aloys Evina ne s’interroge sur la version de Benjamin. Par contre, l’auteur poursuit : « A ce moment-là, le prévenu, à ce qu’il déclare, « s’est senti agressé » et d’un coup de poing au visage envoie Benjamin à terre, et continue à lui asséner des coups de pied à la figure, s’acharnant. Entre-temps l’appariteur a appelé la police. On peut remarquer qu’aucun des étudiants présents dans la salle de lecture n’est intervenu… »

Le président de la Mission Chrétienne Globale, une organisation de défense des libertés chrétiennes, ajoute, en entrefilet, ce commentaire : « L’interrogatoire de personnalité fait ressortir que l’agresseur est de religion musulmane mais n’appartient à aucune mouvance, n’est pas intégriste. (D’ailleurs, en déclarant qu’il est aussi chrétien…, il fait rire le président du tribunal qui lui demande s’il n’est pas aussi juif… . Voilà les faits, désolants, terribles et inquiétants ».

La description que donne Aloys Evina du déroulement du procès est particulièrement troublante. Si tant est que tout s’est déroulé réellement comme le prétend le pasteur.

Première remarque : « Le président, M. Azéma, et la procureure de la République, Mme Gouverneur, ont dès qu’ils ont pris la parole insisté sur la gravité des faits : « c’est inacceptable, intolérable, inadmissible » répètent-ils, et ils reviennent à plusieurs reprises sur la nécessité de ne pas banaliser un tel comportement ». Le président, monsieur Azéma, a-t-il été bien avisé de commenter en ces termes, en cours de procès, les événements? Les termes « inacceptable, intolérable, inadmissible » ne sont pas des qualificatifs qui montrent une grande neutralité de sa part.

Aloys Evina nous apprend que la LICRA s’est constituée partie civile. Le président et la procureur de la République, toujours selon l’auteur, rappellent que la loi a changé et retient les circonstances aggravantes d’actes à caractère raciste ou antisémite. Monsieur Evina décrit ce que nous pourrions supposer être un interrogatoire par le président : « Le président tente de faire œuvre pédagogique : il cherche à faire expliquer son comportement par le prévenu, il n’y parvient pas, n’obtenant que l’explication par « un pétage de plomb » ainsi que de vagues excuses envers le jeune juif ». Est-il dans l’attribution d’un président de faire œuvre pédagogique ou doit-il interroger un prévenu avec un maximum de circonspection eu égard à sa fonction ou est-ce une simple interprétation des faits du pasteur parisien?

Le président pose cette question particulièrement surprenante au prévenu : « Comprenez-vous la présence de cette communauté ? Que savez-vous de l’histoire récente qui permette de comprendre qu’elle soit blessée ? » L’auteur, Aloys Evina, explique ainsi le sens de cette question : « Voulant aller plus loin le président veut faire prendre conscience à l’agresseur et lui faire comprendre la constitution de partie civile par la LICRA, ainsi que la présence de quelques membres de la communauté juive de Grenoble ». Insatisfait de la réponse du prévenu, « le président, manifestant de façon visible son insatisfaction, lui donne le mot qu’il attendait du jeune homme : « la Shoah », explique Aloys Evina.

Qu’en conclure? Aloys Evina nous propose son interprétation : « L’étudiant en médecine, dont le président souligne, plusieurs fois le bon niveau intellectuel, le cursus scolaire accompli, et la bonne capacité de raisonnement n’a pas pu dire le mot. De là la nécessité pour ce jeune d’une formation citoyenne et historique, d’une prise de conscience : il ne sait pas répondre quand le président lui demande ce qu’il pourrait faire pour réparer…. ».

Madame la Procureur, selon le pasteur Evina, a rappelé au prévenu, dont le nom est toujours inconnu, certains principes républicains : « Elle parle véritablement, sans employer le mot, de territoire de la République, rappelant qu’on ne doit pas y importer le conflit du Moyen-Orient, en le sortant de son contexte suffisamment complexe ; que toutes les communautés y sont citoyennes à part entière et égale ; que chacun peut y pratiquer librement sa religion ».

Le bâtonnier, maître Dreyfus, fait valoir le traumatisme durable dont souffre Benjamin qui ne peut plus entrer dans la bibliothèque, et dont l’année universitaire risque d’être compromise. Il essaie lui aussi, de faire comprendre à l’agresseur la gravité des faits. Maître Derrida, pour la LICRA, montre que cet organisme lutte contre tous les racismes.

Enfin, le prévenu a été condamné à 3 mois de prison avec sursis, 80 jours de travail d’intérêt général (tous insistent sur cet aspect qui se veut éducatif) ; en outre, il devra verser 500 euros à la LICRA, et 1000 euros à la victime au titre d’indemnisation. Il a également été l’objet d’une sanction administrative de l’Université : interdiction de poursuivre son année universitaire (mais il pourra reprendre l’an prochain) et d’entrer dans la bibliothèque de la faculté.

Il ne fait aucun doute que Benjamin a été marqué par ces événements. Le prévenu a-t-il bénéficié d’une défense pleine et entière, de circonstances atténuantes, et de la neutralité du tribunal?


Les subtilités du droit ne sont pas le droit. Question hypothétique. Si le prévenu avait été juif et que la victime avait été palestinienne, quelle question aurait posé le président pour faire œuvre de pédagogie? La justice a-t-elle été bien servie dans le présent cas?

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