vendredi 7 mars 2008

« Si un général a de justes raisons de se mettre en colère, qu'il le fasse mais pas en tigre qui ne connaît aucun frein » (Sun Tzu)

J’ai invité Maître Sun Tzu, grand philosophe chinois, auteur d’un ouvrage important qui prend tout son sens dans notre nouveau siècle : L’Art de la guerre. À la lecture de cet ouvrage, force est de reconnaître, chez cet homme, une solide expérience et une connaissance approfondie du domaine militaire.

Question :

Maître Sun Tzu, merci d’abord d’avoir traversé tous ces siècles pour venir vous entretenir avec nous, aujourd’hui. Vous êtes né au VIe siècle avant Jésus-Christ. Votre ouvrage comprend 13 chapitres. Si vous deviez résumer en quelques mots, comment définiriez-vous votre œuvre L’Art de la guerre?

Réponse :

Si je devais résumer en quelques secondes, je vous dirais que L’Art de la guerre, c’est une méthode simple, que je trouve efficace, bien évidemment, qui consiste à amener votre ennemi à capituler mais sans combat, grâce à l'espionnage, l'analyse et la mobilité.

Question :

La première étape de votre ouvrage consiste à évaluer. Pourriez-vous dresser un parallèle avec notre réalité?

Réponse :

La gloire et le succès ne viennent jamais seul. Pour en goûter les effets, il faut maîtriser cinq grands axes : la doctrine, le temps, l'espace, le commandement, la discipline. En raison de la durée de cette entrevue, je ne pourrai pas développer chacun d’eux. Toutefois, permettez-moi de vous dire qu’au premier chef, la doctrine fait naître l'unité de penser. Le temps, c’est le Yin et le Yang par lesquels toutes les choses naturelles sont formées. L'espace, c’est la connaissance du haut et du bas, du loin comme du près, du large et de l'étroit, de ce qui demeure et de ce qui ne fait que passer. La science des ressources, le courage et la valeur, la rigueur sont les qualités qui doivent caractériser le commandement. Enfin, n'ignorer aucune des lois de la subordination et les faire observer à la rigueur est ce qui définit le mieux la discipline.

Sachez d’abord si vos ennemis sont plus puissants et plus forts que vous, Dans un tel cas, ne les attaquerez point. N’hésitez surtout pas à feindre quelquefois d'être faible afin que vos ennemis, ouvrant la porte à la présomption et à l'orgueil, viennent ou vous attaquer mal à propos, ou se laissent surprendre eux-mêmes et tailler en pièces honteusement. Et rappelez-vous : lorsque l'ennemi est uni, divisez-le ; et attaquez là où il n'est point préparé, en surgissant lorsqu'il ne vous attend point.

Question :

J’ai l’impression de lire Machiavel.

Réponse :

J’ai quelques années en avance sur Machiavel, ne trouvez-vous pas?

Question :

En effet. Vous avez traité de la nécessité de l’engagement. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette question?

Réponse :

La victoire est le principal objectif de la guerre. C’est le point de départ de votre engagement. S'il s'agit de prendre une ville, hâtez-vous d'en faire le siège. Ne permettez jamais que vos troupes courent le risque de tenir longtemps la campagne car cela sera pour vous une source de funestes malheurs. Je le répète : on ne saurait tenir les troupes longtemps en campagne, sans porter un très grand préjudice à l'État et sans donner une atteinte mortelle à sa propre réputation. Engagez-vous! Rappelez à vos autorités que l'essentiel est dans la victoire et non dans les opérations prolongées. Le peuple n’a de patience que pour les résultats!

Question :

Vous n’avez pas hésité à traiter indifféremment de la victoire et de la défaite. Pourquoi?

Réponse :

Il vaut mieux que l'armée de l'ennemi soit faite prisonnière plutôt que détruite ; il importe davantage de prendre un bataillon intact que de l'anéantir. Il est d'une importance suprême dans la guerre d'attaquer la stratégie de l'ennemi. Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu'elles ne surviennent. Celui qui est à la tête des armées peut se regarder comme le soutien de l’État, et il l'est en effet. S'il est tel qu'il doit être, le royaume sera dans la prospérité ; si au contraire il n'a pas les qualités nécessaires pour remplir dignement le poste qu'il occupe, le royaume en souffrira infailliblement et se trouvera peut-être réduit à deux doigts de sa perte.

Question :

Pensez-vous à quelqu’un en particulier?

Réponse :

Je ne fais pas de politique contemporaine.

Question :

Ah! D’accord. Vous collez par contre très bien à notre réalité quotidienne. Bref. Il ne peut y avoir engagement sans que les moyens suivent. Ne croyez-vous pas?

Réponse :

Celui qui se défend montre que sa force est inadéquate, celui qui attaque qu'elle est abondante. L'invincibilité se trouve dans la défense, la possibilité de victoire dans l'attaque. Prédire une victoire que l'homme ordinaire peut prévoir, et être appelé universellement expert, n'est pas le faîte de l'habileté guerrière. Soulever le duvet des lapins en automne ne demande pas grande force. Rappelez-vous les règles de calcul ; considérez les effets de la balance ; la victoire n'est que le fruit d'une supputation exacte. Vous donc, qui êtes à la tête des armées, n'oubliez rien pour vous rendre digne de l'emploi que vous exercez. Jetez les yeux sur les mesures qui contiennent les quantités, et sur celles qui déterminent les dimensions.

Question :

Nous ne pourrons pas, vous le comprendrez bien Maître, aborder les treize chapitres de votre prestigieux ouvrage. Mais je suis intrigué par la notion du changement que vous traitez. Pouvez-vous nous en parler un peu ?

Réponse :

Je veux bien. Je vais tenter d’être bref. D’abord, je veux être clair : un grand général doit savoir l'art des changements. S'il s'en tient à une connaissance vague de certains principes, à une application routinière des règles de l'art, si ses méthodes de commandement sont dépourvues de souplesse, s'il examine les situations conformément à quelques schémas, s'il prend ses résolutions d'une manière mécanique, il ne mérite pas de commander.

Question :

Avez-vous suivi l’actualité française, ces dernières semaines?

Réponse :

Je vous ai déjà répondu. Je ne fais pas de politique contemporaine. Donc, ne m’interrompez plus. Un général est un homme qui, par le rang qu'il occupe, se trouve au-dessus d'une multitude d'autres hommes ; il faut par conséquent qu'il sache gouverner les hommes ; il faut qu'il sache les conduire ; il faut qu'il soit véritablement au-dessus d'eux, non pas seulement par sa dignité, mais par son esprit, par son savoir, par sa capacité, par sa conduite, par sa fermeté, par son courage et par ses vertus.

Il faut qu'il sache distinguer les vrais d'avec les faux avantages, les véritables pertes d'avec ce qui n'en a que l'apparence ; qu'il sache compenser l'un par l'autre et tirer parti de tout. Il faut qu'il sache employer à propos certains artifices pour tromper l'ennemi, et qu'il se tienne sans cesse sur ses gardes pour n'être pas trompé lui-même. Il ne doit ignorer aucun des pièges qu'on peut lui tendre, il doit pénétrer tous les artifices de l'ennemi, de quelque nature qu'ils puissent être, mais il ne doit pas pour cela vouloir deviner.

Ceux des généraux qui brillaient parmi nos Anciens étaient des hommes sages, prévoyants, intrépides et durs au travail. Les troupes qu'ils commandaient étaient bien disciplinées, et toujours disposées à faire un coup de main au premier signal qu'ils leur en donnaient.

Sur les cinq sortes de dangers que je définis, dans L’art de la guerre, il en est deux sur lesquels je voudrais insister. D’abord le troisième danger. Un général qui ne sait pas se modérer, qui n'est pas maître de lui-même, et qui se laisse aller aux premiers mouvements d'indignation ou de colère, ne saurait manquer d'être la dupe des ennemis. Ils le provoqueront, ils lui tendront mille pièges que sa fureur l'empêchera de reconnaître, et dans lesquels il donnera infailliblement. Ensuite, le quatrième danger : un général ne doit pas se piquer mal à propos, ni hors de raison ; il doit savoir dissimuler ; il ne doit point se décourager après quelque mauvais succès, ni croire que tout est perdu parce qu'il aura fait quelque faute ou qu'il aura reçu quelque échec. Pour vouloir réparer son honneur légèrement blessé, on le perd quelquefois sans ressources.

Rappelez-vous : si un général a de justes raisons de se mettre en colère, qu'il le fasse, mais que ce ne soit pas en tigre qui ne connaît aucun frein. S'il croit que son honneur est blessé, et qu'il veuille le réparer, que ce soit en suivant les règles de la sagesse, et non pas les caprices d'une mauvaise honte.

Question:

Maître Sun Tzu, c’est tout le temps que nous avions pour cette entrevue. Merci de vous être déplacé de si loin. Un dernier conseil pour nos gens politiques, nos généraux, nos ministres et premier ministre?

Réponse :

Encore une fois, je ne fais pas de politique. Mais puisque vous sollicitez mon avis, je vous dirai : lisez mon livre, que diable!

Question :

Merci.

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