mercredi 20 février 2008

Toute dissidence, sous Nicolas Sarkozy, est-elle un retour aux « méthodes staliniennes »?

Le président de la République française n’en est plus qu’à 36% d'opinions positives. L'hebdomadaire L’Express qualifie cette chute « d'effet toboggan ». En moins de trois mois, le chef de l’État est en chute vertigineuse dans les sondages. Comme l’explique en peu de mots Challenges.fr, Nicolas Sarkozy a « perdu » 19 points de bonnes opinions et « gagné » 10 points de mauvaises opinions. Il s'agit d'un niveau d'impopularité rare pour un président de la République, souligne le directeur de BVA, Jérôme Sainte-Marie, le chef de l'État se situant au niveau atteint par l'ex-président socialiste François Mitterrand après trois ans de mandat, en 1984, ou de Jacques Chirac, cinq mois à peine après son élection en 1995 (Le Figaro).

Il n’aura fallu que moins d’un an à Nicolas Sarkozy pour atteindre un si bas niveau de popularité. Et ce bas niveau n’atteint en rien celui de la popularité du Premier ministre, François Fillion : 44% contre 43% le mois précédent. L’un des effets de cette chute verticale est que, maintenant, 37% des Français souhaitent d'ailleurs que la gauche sorte renforcée des élections, contre 28% qui voudraient que la majorité en sorte gagnante. Après « l’effet toboggan », « l’effet boomerang ». Le peuple renvoie son fait à son président dont il se déclare mécontent et insatisfait.

Pareil dévissage n’est sans conséquences sur les élus et les élues de la majorité. Une défaite majeure aux municipales ajouterait à l’instabilité que créent dans les rangs de l’UMP ces sondages catastrophiques. Et les observateurs de la politique savent bien qu’il est plus difficile de remonter une pente que de la dégringoler. Pendant que le président vaquait à ses occupations intimes, divorce et mariage, les réformes attendaient. Le président s’est-il tout simplement désintéressé de son peuple, tout occupé qu’il était à régler ses questions d’intendance et domestiques?

Parallèlement à cette déroute du chef de l’État, voilà que 17 personnalités politiques, d'horizons politiques très divers, paraphent un appel à la « vigilance républicaine », du 14 février dernier, rédigé par le fondateur du magazine, Marianne, Jean-François Kahn, parmi lesquels Dominique de Villepin et François Bayrou. Ce texte, il convient de le préciser, ne mentionne pas le nom de Nicolas Sarkozy mais il rappelle certains grands thèmes comme la place de la religion ou la politique extérieure de la France.

Pour le Premier ministre François Fillion, qui s’est porté à la défense du patron de l’Élysée, cette initiative démontrerait, à ses yeux, une attitude profondément anti-démocratique. « Cet acharnement que mettent certains responsables politiques qui n'ont pas été élus par les Français, qui n'ont pas été choisis par les Français, à tenter de déstabiliser le président de la République est de mon point de vue profondément choquant ». Selon le Premier ministre, « Il faut que tous le monde accepte les règles de la démocratie et les règles de la démocratie, ce sont les élections. Ce sont les Français qui choisissent ». Comprendre l’attitude du Premier ministre est relativement aisé. En saisir le sens du message l’est moins. « Cet acharnement que mettent certains responsables politiques qui n'ont pas été élus par les Français (...) à tenter de déstabiliser le président de la République est de mon point de vue profondément choquant et profondément antidémocratique ».

Les libertés d’opinion que s’octroie Nicolas Sarkozy, dans des domaines réservés comme celui du judiciaire, ne semblent poser aucun souci au Premier ministre Fillion. Les libertés d’opinion que s’octroient des personnalités, élues ou non élues, à travers un manifeste appelant à la vigilance paraissent soudainement suspectes aux yeux de François Fillion. Deux poids deux mesures. Pourquoi le fait de réaffirmer un « attachement aux fondamentaux d'une laïcité ferme et tolérante » devrait-il soudainement susciter la méfiance dans une société où la libre expression a encore droit de cité? Et que dire d’un commentaire excessif comme celui, rapporté dans les médias, du porte-parole de l'UMP, Yves Jégo, qui voit, sans gêne aucune, dans cet appel à la « vigilance républicaine » contre « toute dérive vers une forme de pouvoir purement personnel confinant à la monarchie élective » un retour aux « méthodes staliniennes » ?

Si le poids des mots déstabilise à ce point le gouvernement et son Premier ministre, que dire des résultats des derniers sondages qui montrent un net recul du président dans l’indice de popularité auprès du peuple français? L’État français serait-il en péril? Pourquoi tenir pour « séditieuse » cette libre opinion des signataires qui souhaitent prendre position « au-delà de leurs divergences » et qui déclarent partager leur attachement commun aux grandes options qui ont guidé depuis cinquante ans, et cela au-delà des clivages partisans, une politique étrangère digne, attachée à la défense du droit des peuples, soucieuse de préserver l'indépendance nationale?

Refuser toute dérive vers une forme de pouvoir purement personnel confinant à la monarchie élective procède d’un constat de plus en plus reconnu au-delà des frontières françaises. Pourquoi François Fillion s’est-il investi de la responsabilité de rassurer l’Europe sur la prochaine présidence française? François Fillon s'est efforcé de gommer l'impression d'arrogance, parfois prêtée à la France, vis-à-vis du Parlement européen, une institution avec laquelle la relation est « fondamentale » selon lui, notait le quotidien Le Monde. Il a poussé plus loin son propos en réfutant toute volonté de Nicolas Sarkozy de pousser la candidature de Tony Blair pour la future présidence de l'UE : « Ce sera un choix collectif qui sera fait de façon démocratique dans une concertation avec tous les États européens ».

Or le président semble à la croisée des chemins : autant les Européens que les français ne veulent plus d’une « star de la politique spectacle ». Et les Français, plus particulièrement, sont restés profondément amers de la ratification parlementaire du « traité de Lisbonne », car cette dernière apparaît au grand jour pour ce qu'elle est : « un déni de démocratie pur et simple ». Et l’agitation dans les salons feutrés de la diplomatie internationale n’a jamais et n’est toujours pas la bienvenue.

Comme l’indique Nicolas Dupont-Aignan, sur News Press : « derrière les coups de menton contre Bruxelles et l'OMC, derrière les déclarations martiales voire menaçantes, se dessine un projet politique totalement décalé par rapport aux aspirations profondes des Français. La remise en cause de la laïcité comme la dérive euro-atlantiste en politique étrangère, avec l'engagement accru en Afghanistan (au mépris des déclarations de veille de second tour présidentiel) et la création d'une base à Abou Dhabi, éloignent un peu plus les Français du Président ».

Pendant que le gouvernement et sa garde rapprochée cherchent des portes de sortie pour dépêtrer le président de sa mauvaise posture, les réformes attendent. Les sondages chutent. La grogne monte. Et l’opposition, cette gauche plurielle incontrôlable, devrait s’interroger sur sa propre incapacité à présenter un front uni devant un gouvernement de plus en plus soumis à un seul homme, « star de la politique spectacle ».

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