C’est un ton de conversation calme et détendu qui convient au vieillard, et chez le vieillard cultivé c’est un discours équilibré et apaisé qui s’assure par lui-même une audience.
Cicéron
Pour ce jour de repos, voici une réflexion de Cicéron sur la vieillesse.
[…] Comme j’avais l’intention d’écrire sur la vieillesse, tu me semblais mériter ce présent dont nous pourrions tous deux tirer profit. Pour ma part, j’ai pris un grand plaisir à la composition de ce livre : il a d’abord dissipé tous les tracas de la vieillesse, mais il me l’a surtout rendu douce et agréable. Jamais on ne pourra rendre assez justice à la philosophie : si on s’y soumet, on peut passer sans peine tout le temps de sa vie.
[…] Les gens qui n’ont en eux-mêmes aucune ressource pour vivre bien et avec bonheur [ad bene beateque vivendum] trouvent tout âge pénible ; mais ceux qui recherchent tous les biens en eux-mêmes ne peuvent considérer comme mauvais ce que la nécessité naturelle [naturae necessitas] leur apporte. Dans ce domaine on trouve avant tout la vieillesse, que tout le monde souhaite atteindre mais qu’on rejette quand on y est […].
[…] Il a pourtant bien fallu qu’il y ait un dernier stade, flétri et périssable, comme pour les baies des arbres et les fruits de la terre, une fois leur maturité révolue, et le sage doit le supporter paisiblement […].
[…] La vieillesse ne peut être supportable dans l’extrême pauvreté, et elle ne peut pas être insupportable pour un insensé même dans la plus insolente richesse […].
[…] Quand je fais le tour de la question, je trouve quatre raisons qui font paraître la vieillesse déplorable ; la première, c’est qu’elle écarte des affaires ; la seconde, qu’elle affaiblit le corps ; la troisième, qu’elle prive de presque tous les plaisirs ; et la quatrième, qu’elle est proche de la mort […].
[…] N’existe-t-il donc pas d’affaires qui intéressent les vieillards et qui puissent être réglées par l’esprit malgré la faiblesse physique ? […] Les grandes actions ne se font pas par la force, la précipitation ou la vivacité physique, mais par la détermination, la responsabilité, la réflexion. C’est ce dont la vieillesse non seulement ne manque pas, mais même s’enrichit […].
[…] Est-ce que Sophocle, est-ce qu’Homère, Hésiode, Simonide, Stésichore, est-ce qu’Isocrate et Gorgias, dont j’ai parlé antérieurement, est-ce que les plus grands des philosophes, Pythagore, Démocrite, est-ce que Platon, Xénocrate, puis Zénon, Cléanthe, ou bien Diogène le Stoïcien que vous avez vous-mêmes vu à Rome, est-ce qu’ils ont tous été contraints par la vieillesse à perdre la parole ? Est-ce que chez tous ces hommes l’activité intellectuelle [studiorum agitatio] n’a pas duré autant que la vie ?
[…] De même que les sages vieillards ont plaisir à voir des jeunes doués d’heureuses qualités, et que la vieillesse est plus légère à ceux qui sont respectés et appréciés par la jeunesse, de même les jeunes apprécient-ils les leçons des vieillards qui les engagent à s’attacher aux vertus [virtutum] ; et je ne pense pas vous être moins agréable que vous ne l’êtes pour moi […].
[…] En vérité c’est aussi grâce aux charmes de la conversation que j’aime les festins prolongés, et pas seulement avec les gens de mon âge, qui ne sont plus bien nombreux, mais aussi avec vous et les gens de votre génération ; j’ai beaucoup de reconnaissance pour la vieillesse qui a accru mon vif désir de converser et m’a débarrassé de celui de boire et de manger […].
[…] Je n’ai jamais approuvé ce proverbe ancien, et apprécié, qui dit : « Si tu veux avoir une longue vieillesse, deviens vieux de bonne heure ». J’aimerais mieux être moins longtemps vieillard qu’être vieux avant l’âge […].
[…] Le cours de la vie est défini, le chemin de la nature est unique et simple [una via naturae, eaque simplex], un moment précis a été attribué à chaque partie de la vie, si bien que la faiblesse des enfants, le caractère farouche des jeunes, la gravité de l’âge adulte et la maturité de la vieillesse ont un caractère naturel qui doit être accepté au moment approprié [naturale quiddam habeat, quod suo tempore percipi debeat] […].
[…] Les hommes les plus sages meurent le plus tranquillement, et les plus insensés dans un grand trouble : une âme capable de discerner mieux et plus loin ne vous paraît-elle pas partir vers le bonheur, contrairement à celle dont le regard est émoussé ? Pour moi, j’ai grande hâte de voir vos pères, que j’ai honorés et aimés, et je désire vivement rencontrer non seulement ceux que j’ai connus, mais aussi ceux dont j’ai entendu parler, sur lesquels j’ai lu ou même écrit. Et au moment de mon départ, personne ne pourra facilement me tirer en arrière ou, comme Pélias, me rajeunir. Et si un dieu généreux m’accordait de redevenir un enfant qui crie dans son berceau, je le refuserais avec force, et en vérité je n’accepterais pas d’être ramené du terme au point de départ, après avoir parcouru pour ainsi dire toute la carrière […].
[…] Je n’ai pas de plaisir à me lamenter sur la vie, ce que beaucoup de gens font, et même des gens instruits ; je ne me repens pas d’avoir vécu, puisque j’ai vécu avec la conviction de n’être pas né pour rien ; je sors de cette vie comme d’un séjour hospitalier, et pas comme d’une maison. Car la nature nous a donné une auberge, non une habitation […].
[…] Si nous ne devons pas être immortels, il est cependant souhaitable que l’homme s’éteigne au bon moment. Car la nature détermine la limite de la vie, comme de tout le reste. Or la vieillesse est pour ainsi dire le dernier acte de la vie, comme d’une pièce ; nous devons en fuir la lassitude, surtout quand est venue s’y ajouter la satiété. Voilà ce que j’avais à dire de la vieillesse : puissiez-vous y parvenir en éprouvant par votre expérience ce que vous m’avez entendu en dire […].
Cicéron
(Marcus Tullius Cicero)
« De Senectute » - La vieillesse - Traduction française de Vincent Ravasse, Août 2003