Il y a une nette rupture de ton chez le président Sarkozy. Les sondages baissent et le ton monte. Et lorsqu’il y a baisse de popularité, pour un président, ou un politicien, la faute en revient invariablement aux médias. Depuis le 8 janvier, date de la grande rencontre de presse, le ton a changé. Le président s’était montré narquois, ironique, hautain et désinvolte avec une presse française, elle aussi en rupture de ton dans ses relations avec la présidence. Le mot « monarchie présidentielle » a souverainement déplu au président qui l’a fait savoir au journaliste fautif. Devant plus de cinq cents de ses collègues.
Des voix s’élèvent pour exprimer une gêne incommensurable devant le comportement du président. Il s’en trouve immédiatement d’autres pour rabrouer ces voix gênées, mal à l’aise. M. Sarkozy ne réagit plus aux alertes de ses conseillers et des sondeurs. « Il a psychologiquement déserté la fonction, explique un membre de son cabinet. Il s’est gavé de bonheur au moment où les Français en étaient privés » (Le Monde). Le président du Conseil constitutionnel a estimé publiquement qu’ « à partir du moment où vous avez reçu une mission du peuple, quelle que soit cette mission, il y a une certaine tenue à avoir », évoquant la vie privée du chef de l’État. Était-ce bien fondé? Certainement. La fonction autorisait-elle son auteur à formuler cet avis? Le débat n’a porté que sur cette question. « Ce n’est pas au président du Conseil constitutionnel de donner des injonctions ni à l’exécutif ni au législatif ». Sauf que, Jean-Louis Debré n’a-t-il pas dit tout haut ce que la population pense tout bas, sondages à l’appui?
Qu’a dit, en d’autres mots, le président de l’Assemblée nationale ? « A travailler trop vite, on prend le risque de travailler mal ». Que pense, de la situation présente, Jean-Pierre Raffarin ? « Le chef de l’État, qui s’expose beaucoup, souffre de cette exposition, et son Premier ministre se trouve ainsi protégé ». Se trouve-t-il des voix pour les contredire? « Un président de la République n’est pas un fusible », a commenté M. Raffarin sur i-Télé. Qui pourrait le contredire quand il observe, avec justesse, que : « lorsque c’est le Premier ministre qui en profite, les rôles sont de ce point de vue un peu inversés ».
Si on en juge au diagnostic que pose Jean-Pierre Raffarin sur la présente situation, « le gouvernement a un problème de lisibilité, pas un problème de résultats ». En bon politicien qu’il est, monsieur Raffarin souhaite tirer profit des résultats sur la lutte contre le chômage en France. « En 2007, le nombre de chômeurs a diminué de 200.000 et le gouvernement n’en parle pas. C’est un excellent résultat. Que le gouvernement l’explique, que le gouvernement mette ses actions en perspective, nous annonce le programme de réformes pour 2008 ». Ce que n’ignore pas le vice-président de l’UMP, c’est que pour atteindre cet objectif de lisibilité, il faut un « espace » dans les médias autre que celui qu’occupe pleinement, pour l’heure, le président Sarkozy.
Pour l’observateur étranger que je suis, force est de constater qu’au silence du gouvernement s’opposent des déclarations chocs venues de toutes parts des officines politiques qui encerclent le pouvoir. Cela fait désordre. Des élus de droite eux-mêmes critiquent de plus en plus ouvertement la façon de fonctionner de l’Élysée, et notamment l’interventionnisme des proches conseillers du président qui relèguent dans l’ombre le gouvernement. Il est de plus en clair qu’un contrôle doit être fait dans l’équipe présidentielle et que les rôles doivent être clarifiés. Il en va même de la crédibilité de la présidence à cet égard. Et les admonestations du président contre ceux ou celles qui en font la remarque sont déplacées et le desservent auprès de sa propre équipe. Comme l’indique le Monde : « A quelques semaines des municipales, chacun joue sa carte. Les uns pour éviter les défaites, les autres pour se protéger en cas de remaniement. Après le conseiller spécial Henri Guaino, c’est au tour du secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, d’être pris pour cible par les députés ».
Autre image discordante : l’absence de stratégie. Une panique semble s’être installée tant au sein du gouvernement (à l’égard d’une chute popularité dans le cours des prochaines élections municipales) qu’au sein de la présidence (multiplication des annonces et promesses bienfaisantes à l’endroit de publics cibles). Or cette nouvelle prodigalité toute présidentielle (comme la prime de 200 euros à quelque 600.000 retraités) s’inscrit en parfaite contradiction avec des déclarations antérieures, faites il y a moins de deux mois, selon lesquelles les caisses de l’État étaient « vides ». Rien de mieux qu’une chute dans les sondages pour regarnir les « caisses de l’État ». Qui dit mieux?
Le président a-t-il irrémédiablement compromis son image de marque? Inscrite sous le sceau de l’arrogance, l’image du président est devenue son propre ennemie. La remontée sera pénible, laborieuse et fort longue. La crise des relations personnelles entre le président et les Français souffrira davantage au cours des prochaines semaines et des prochains mois. Il suffit de consulter les blogs, de lire les médias, voire même les hebdomadaires, d’écouter les commentaires pour comprendre que la rupture, voulue par le président, lui est maintenant cruellement servie par la population de la France. Pourra-t-il surmonter cet état momentané de faiblesse à moins d’un an du début de son mandat? L’écrivain québécois, Gilles Marcotte, écrivait : « On pardonne toujours à la force. Mais la faiblesse n’a pas d’excuse, n’est pas charitable, parce qu’elle n’a rien à offrir ».
L’impétuosité galopante du président Sarkozy est telle qu’il laisse une image de désordre et de déséquilibre dans ses comportements officiels. Les sondages baissent? Le ton monte! Procès, invectives, Nicolas Sarkozy réussit à lui seul à se mettre à dos médias et population. Hier, Ryanair. Aujourdhui, Nouvel Observateur. Qui sera le prochain sur la liste? En Indes, lors de sa rencontre de presse, très agacé, le chef de l’État a passé un savon à un journaliste devant tous ses confrères. A un autre, il a reproché de se comporter comme dans un « commissariat de police ». Ces critiques sont surtout révélatrices du désarroi de Nicolas Sarkozy, pourtant jugé expert en la matière, et des siens face à l’emballement qui a saisi les médias après l’officialisation de sa liaison avec Carla Bruni (L’Express). Que pourront pour Nicolas Sarkozy les critiques de Rama Yade qui dénonce un climat malsain? Rama Yade a voulu défendre « l’honneur d’un homme ». Fustigeant les « charognards » et des « attaques personnelles violentes », la secrétaire d’État aux droits de l’Homme a accusé sur RTL « les gens qui veulent la peau de Nicolas Sarkozy » de vouloir « leur revanche » (Le Figaro).
Au plan international, les histoires domestiques du président précèderont le rôle que doit jouer, au deuxième semestre de 2008, la France au sein du Conseil de l’UE. Elle prendra la succession de la Slovénie et passera le relais, en 2009, à la République tchèque. Deux événements importants marqueront son passage à la tête de l’UE : des élections en Russie et aux États-Unis en 2008. Il reviendra à la France d’établir des ponts avec les nouveaux dirigeants de ces deux pays partenaires. Tout affaiblissement du président Sarkozy ne simplifiera pas ces nouvelles responsabilités au sein de l’Europe. Il sera également intéressant d’observer le comportement de la France à l’égard de la Chine, des Jeux Olympiques de Pékin et du statut des droits de l’homme dans ce pays. « La Présidence française sera citoyenne, marquée par la réconciliation entre les Français et l’Europe », a déclaré le secrétaire d’État aux affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, le 20 septembre dernier, lors d’une conférence organisée par l’Institut français des relations internationales (IFRI). Et « la Présidence française de l’UE sera placée sous le signe de « l’Europe protection ». L’idée sous-jacente est de rassurer les citoyens européens, et notamment les Français, par rapport à l’Europe », a poursuivi le secrétaire d’État aux affaires européennes.
À cette même occasion, la France entend bien promouvoir au sein de l’Europe ses priorités sur le Pacte européen qui porte sur l’immigration et l’asile. François Fillion s’était montré assez clair sur les priorités qu’entendait privilégier la France : « ce pacte qui est négocié actuellement par Brice Hortefeux se présente de façon positive. Il devra couvrir cinq domaines, le premier c’est l’amélioration des contrôles aux frontières de l’Union. Il est absolument indispensable que l’Union européenne conduise une politique vigoureuse de contrôle aux frontières. Il n’y a pas aujourd’hui suffisamment de moyens pour assurer le contrôle des frontières extérieures de l’Union. Le deuxième domaine, c’est l’organisation de l’immigration légale en fonction des capacités d’accueil de chaque État membre. Le troisième sujet, c’est la question de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, la mise en place d’un régime commun de l’asile et enfin, la promotion du co-développement. Nous allons intensifier les contacts avec nos partenaires, avec le Parlement européen, et avec la Commission pour aboutir à un texte consensuel sur ce sujet ».
Le président Sarkozy aura-t-il la sagesse et le courage de modifier en substance son attitude face à cette rupture de confiance entre la population et lui? Saura-t-il apaiser lui-même les tensions qu’il a déclenchées, les feux qu’il a allumés et le mécontentement qui s’installe au sein de ses troupes? Alain Auffray, de Libération, posait la question à Jean-Pierre Raffarin : « Nicolas Sarkozy peut-il changer? ». Ce à quoi lui a répondu son interlocuteur : « Oui, le mouvement est dans sa nature. Ce sera de toute façon une nécessité cette année, avec les chantiers internationaux. En Europe, l’expression politique est plus collégiale et moins passionnelle. La légitimité du discours est liée davantage à des données objectives plus qu’au charisme de l’orateur ».
Pour la crédibilité de la France au sein de l’Europe, il est urgent que l’opinion de Jean-Pierre Raffarin se concrétise et qu’elle soit prise en compte par Nicolas Sarkozy lui-même.
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