La Grande-Bretagne est sous le choc. Le révérend Rowan Williams, archevêque de Cantorbéry et chef des 77 millions d'Anglicans dans le monde, n’aurait pu imaginer lancer pareille ondes de choc depuis sa très récente déclaration selon laquelle l'application de la « charia » était nécessaire pour la cohésion sociale, l'archevêque a répondu : « cela semble inévitable ». L’Archevêque propose tout simplement d’en adopter quelques principes dans la loi du Royaume Uni. Appliquer la charia, oui, mais sans les châtiments! Du côté du monde musulman, la satisfaction est grande. Très grande, même. La célébrissime université Al-Azhar l'a publiquement félicité, qualifiant ses propos de réalistes. Pour l’Archevêque Rowan Williams : « les musulmans britanniques devraient avoir le choix pour régler certains conflits, comme les divorces, de recourir soit à un tribunal civil soit à un tribunal islamique ».
Hani Ramadan, directeur du centre islamique de Genève, considère, pour sa part, que la « charia » est incomprise dans le monde. Il écrit : « Les musulmans sont convaincus de la nécessité, en tout temps et tout lieu, de revenir à la loi divine. Ils voient dans la rigueur de celle-ci le signe de la miséricorde divine. Cette conviction n'est pas nourrie par un fanatisme aveugle, mais par un réalisme correspondant à la nature des choses de la vie. Vivre en paix et en conformité avec l'être et le devoir, tel est le principe de leur engagement, parce que, comme le souligne le Coran, « c'est certes à Dieu qu'appartiennent la création et le commandement » (7, 54) ». Là où l’explication de Hani Ramadan heurte nos convictions occidentales, c’est lorsqu’il donne en exemple la lapidation. « La lapidation prévue en cas d'adultère n'est envisageable que si quatre personnes ont été des témoins oculaires du délit. Ce qui est pratiquement irréalisable, à moins que le musulman choisisse d'avouer sa faute. Avant l'exécution de la sentence, les juristes précisent qu'il lui est toujours possible de revenir sur son aveu ».
La charia, selon Ralph Stehly, Professeur d'histoire des religions à l'Université Marc Bloch, Strasbourg, n'est pas un code, comme par exemple le code Napoléon en France Ce n'est pas un livre. C'est l'ensemble des interprétations juridiques et éthiques, souvent divergentes, qu'au cours des siècles les théologiens ont données (et continuent de donner) des Écritures sacrées islamiques : c’est-à-dire le Coran et la Sunna. La charia est plus qu'un droit, puisqu'elle inclut les prescriptions cultuelles, et que sa fin dernière est non seulement d'organiser en ce monde la vie la plus vertueuse et la plus utile, mais aussi de préparer les membres de la communauté à leur salut futur. La charia est orientée « eschatologiquement ». Elle classe les actions humaines en cinq catégories:
1) ce qui est obligatoire
2) ce qui est recommandé
3) ce qui est indifférent (ce sont les adiaphora de la pensée grecque), mubâh, ou licite
4) ce qui est blâmable (makrûh)
5) ce qui est interdit.
Ce qu'a souligné l'Archevêque de l’Église anglicane, Rowan Williams, sur la BBC, est que les Britanniques devraient appréhender la loi islamique, ou charia, avec « ouverture d’esprit ». Il est possible, pour l'Archevêque anglican, de parvenir à un « arrangement constructif » avec certains préceptes de la Charia. « Il est possible de trouver ce qui serait un arrangement constructif avec certains aspects de la loi islamique comme nous le faisons déjà avec des aspects d’autres lois religieuses », a-t-il affirmé, citant les tribunaux juifs orthodoxes ou le fait que les opinions anti-avortement des chrétiens sont « prises en compte par la loi ». « Cela semble inévitable. Certains préceptes de la charia sont déjà reconnus dans notre société et dans notre droit, donc ce n’est pas comme si on introduisait un système étranger et concurrent » Mais s’il y a place pour une telle évolution, « inévitable » selon l’archevêque, pour la cohésion sociale, il a aussi ajouté qu’il n’y avait pas de place pour « les châtiments extrêmes » et la discrimination envers les femmes en Grande-Bretagne. « Personne ne veut voir dans ce pays le genre d'inhumanité qui est pratiqué par la loi de certains pays musulmans, avec des punitions extrêmes et leur attitude vis-à-vis des femmes », a soutenu l’Archevêque.
Pourtant, le Conseil des musulmans de Grande-Bretagne, qui représentant 1,6 million de musulmans britanniques, a indiqué, après ces révélations de l’Archevêque Rowan Williams, que ses membres ne réclamaient pas de tribunaux islamiques.
En réalité, il semble que les déclarations de l’Archevêque Rowan Williams s’inscrivent en parfaite opposition à la montée de plus en plus évidente du laïcisme en Grande-Bretagne. En d’autres mots et selon ce dernier : « Il est dangereux que le gouvernement laïc possède un monopole pour définir l'identité publique et politique ». Plus tard, l’Archevêque a expliqué qu'il avait simplement souhaité ouvrir le débat sur « quelques-uns des problèmes posés par les droits des groupes religieux » dans une société laïque. En clair, l’Archevêque souhaite faire appel à la Charia pour soutenir sa propre lutte contre une trop grande place qu’accorde l’État à certaines dispositions laïques, comme le droit des homosexuels d’adopter des enfants.
Pour ses déclarations, l’Archevêque Rowan Williams a été désavoué par des membres du « Sinod général », le corps exécutif de l'Église anglicane. L'Archevêque est invité à démissionner, comme l’ont également demandé 82 % des téléspectateurs qui ont répondu au sondage de la chaîne de TV Sky. Dans les officines du gouvernement britannique, à Downing Street et au sein de l'opposition, la colère est loin de s’apaiser : « la loi est la même pour tous en Grande-Bretagne et elle n'est pas religieuse. Il n'est pas question d'adopter la charia pour juger les Musulmans ». Tel semble être le mot d’ordre qui circule à Londres. Le site Internet de la BBC a reçu quelque 17.000 messages, pour la plupart négatifs.
Les catholiques sont également montés aux barricades. Le Cardinal Cormac Murphy-O'Connor, chef des catholiques d'Angleterre et du pays de Galles, qui sont 4,5 millions, a fermement rejeté les propos de l'archevêque de Canterbury. « Les lois de ce pays n'admettent pas les mariages forcés ou la polygamie ».
Est-il nécessaire, en terminant, de rappeler certains faits qui remontent à mai 2006, en Allemagne. Selon Libération, une jeune Allemande de 26 ans, originaire du Maroc, avait fait appel à la police pour violences conjugales. Convaincue de l’échec de son mariage avec un Marocain du pays, cette mère de deux jeunes enfants s’était tournée vers la justice. Le mari violent est condamné à quitter le domicile conjugal, et à ne plus s’approcher de son épouse. Mais « il continue à la terroriser, et à la menace de mort », assure Barbara Becker-Rojczyk, l’avocate de la victime qui réclame alors un divorce « accéléré » en octobre dernier. La législation allemande prévoit un délai d’un an entre séparation et proclamation du divorce. La procédure « en accélérée », rare, est cependant prévue dans les cas de violence. Pourtant, la juge de Francfort saisie du dossier avait rejeté la demande de la victime. Au nom de la Charia !
Les deux époux venant d’un pays musulman, il ne convient pas d’évoquer le problème de la violence, estime la juge, puisque celle-ci est « autorisée » par la quatrième sourate du Coran. En se mariant avec un Marocain, la victime « devait s’attendre » à ce genre de traitement, précisait la juge, le 12 janvier 2006. La magistrate réitérait le 8 février 2006 son jugement en invoquant « l’honneur bafoué » du mari.
Le 12 septembre 2005, le premier ministre de l’Ontario, au Canada, Dalton McGuinty déclarait : « l'Ontario ne deviendra pas la première juridiction occidentale à autoriser le recours à un ensemble de règles religieuses appelées charia pour résoudre des conflits familiaux chez les musulmans et interdira tout arbitrage religieux dans la province ». Après un âpre débat sur la question, le premier ministre ontarien en est venu à la conclusion : « que le débat avait assez duré. Il n'y aura pas de loi de la charia en Ontario. Il n'y aura pas d'arbitrage religieux en Ontario. Il y aura une loi pour tous les Ontariens ». Magnanime, Dalton McGuinty déclarait : « Les Ontariens auront toujours le droit de solliciter l'avis de toute personne en matière de droit familial, y compris un avis religieux. Mais l'arbitrage religieux ne tranchera plus de questions de droit familial » (Le Devoir).