Le Premier ministre, Stephen Harper, est déterminé à choisir lui-même le moment de sa défaite en Chambre avant de convoquer des élections générales au Canada. Pour cela, il prend le contrôle des trois partis d’opposition pris au piège de l’habile stratégie des conservateurs minoritaires. Piège en trois volets.
Premier volet. Comme il fallait s’y attendre, monsieur Stéphane Dion a perdu le leadership au sein du parlement d’Ottawa. À la remorque des stratégies de Stephen Harper, monsieur Dion paiera cher ses valses hésitations. La stratégie de Stephen Harper est simple : contraindre Stéphane Dion à déclencher lui-même une élection générale en renversant le gouvernement minoritaire des conservateurs sur une motion qui propose de prolonger la mission de combat des 2400 soldats canadiens à Kandahar au-delà de la date butoir de 2009. Stéphane Dion n’est pas sans savoir qu’une défaite du gouvernement - le premier ministre compte faire de l'adoption de cette motion une question de confiance - entraînerait automatiquement la tenue d'élections générales au plus tôt le 17 mars, une campagne électorale devant durer au minimum 36 jours selon la loi.
Il faut rappeler que le groupe d'experts, présidé par John Manley, avait réclamé des renforts d'un millier d'hommes dans la région de Kandahar ainsi que des hélicoptères et des drones, jugeant ces conditions indispensables pour le maintien du contingent de 2.500 soldats canadiens à Kandahar, au delà de l'échéance actuelle de sa mission en février 2009.
Deuxième volet. Le gouvernement Harper fait flèche de tout bois : le Sénat vient d’être informé que le gouvernement lui donne jusqu'à la fin du mois de février pour adopter le projet de loi C-2, qui vise à renforcer certaines peines imposées à des criminels dangereux et à hausser l'âge du consentement sexuel de 14 à 16 ans. En cas de refus, Stephen Harper demandera à la gouverneure générale du Canada de dissoudre le Parlement en raison du fait qu'un de ses principaux projets de loi est bloqué par la Chambre haute. Les libéraux ont immédiatement rejeté cet ultimatum, soulignant que le Sénat ne peut défaire un gouvernement.
Troisième volet. Sur un autre front, le gouvernement de Stephen Harper provoquera le parlement sur une même question de confiance, cette fois lors de l’adoption du budget à la fin du mois de février ou au début mars. Pour cela, les trois partis d’opposition, libéraux, bloquistes et néo-démocrates seront mis au défi. En cas de rejet, le premier ministre n’aura d’autre choix que de convoquer des élections générales au pays.
Premier volet – Prolongement du mandat au-delà de 2009 en Afghanistan
Une rencontre a eu lieu entre Stephen Harper et Stéphane Dion. L’objet de la rencontre : l’Afghanistan. Le premier ministre a présenté une copie du texte qui sera soumis au vote, en Chambre des Communes, au cours du mois de mars après celui sur le budget, et qui suggère que le Canada poursuive sa mission de combat à Kandahar au-delà de 2009 si les pays de l'OTAN acceptent d'envoyer des renforts.
À la rencontre des chefs des pays de l'OTAN, en Roumanie, au début d’avril, le premier ministre Harper veut s’y présenter avec l'appui du Parlement. Rien n’est sûr. Stéphane Dion a exigé de ses députés libéraux qu’ils respectent la ligne de parti : la mission de combat devra se terminer en février 2009 pour faire place à une mission axée sur le développement, la sécurité et la formation des militaires afghans. Avant son adoption ou son rejet en Chambre, le chef de l’Opposition tentera d'apporter des amendements à la motion afin de mettre l'accent sur les efforts de reconstruction et d'aide humanitaire. Ce qui revient à édulcorer le texte d’origine, ce qui ne plaira certainement pas au gouvernement conservateur minoritaire.
Si le gouvernement devait être renversé sur la question de la présence militaire canadienne en Afghanistan, ce serait une première au Canada de fonder une élection générale sur la question de la guerre dans un tiers pays. « Les Québécois en général appuient les membres de l'armée canadienne mais sont contre l'intervention militaire passée février 2009 », commentait la leader des libéraux au Sénat et lieutenant politique pour le Québec, la sénatrice Céline Hervieux-Payette. Il reste qu’à travers le Canada, une élection générale sur l’Afghanistan reviendrait à poser la question suivante : pour ou contre la guerre? Les Canadiens sont peu habitués à prendre position sur de telles questions.
Deuxième volet – Le Sénat
Le projet de loi C-2 sur les crimes violents, s’il est enfin adopté par le Sénat, devrait « permettre d’imposer de nouvelles peines sévères à l’endroit des criminels ayant commis une infraction mettant en jeu une arme à feu, des délinquants sexuels et des délinquants violents récidivistes ainsi que des personnes qui conduisent avec les facultés affaiblies, pour ne nommer que ceux-là », comme l’indiquent les conservateurs. Le projet de loi fait passer l'âge du consentement sexuel de 14 à 16 ans. Depuis le 29 novembre, le projet de loi est au point mort puisque les sénateurs libéraux en retardent son adoption. Le projet de loi omnibus, pièce maîtresse du programme des conservateurs, a été déposé à la Chambre des communes en octobre. Il a été adopté en novembre par les députés et envoyé ensuite au Sénat, où il est toujours à l'étude.
Troisième volet – Le budget
Le ministre des Finances, James Flaherty, déposera le troisième budget du gouvernement conservateur minoritaire à la fin du mois de février ou au début mars. Les premiers budgets avaient été adoptés grâce à l’appui notamment du Bloc québécois, peu enclin à se rendre aux urnes. En octobre dernier, c’était au tour des libéraux de sauver la mise du gouvernement Harper en s’abstenant massivement de voter. Cette fois-ci, l’enjeu est de taille : l’aide financière que doit annoncer officiellement le gouvernement conservateur aux secteurs forestier et manufacturier. « Insuffisante », clament les syndicats. Le milieu syndical ne s'était pas gêné pour encourager les partis de l'opposition à voter contre le budget Harper. Le Premier ministre du Québec, M. Jean Charest, avait lui-même jugé insuffisants les 217 millions $ du programme fédéral qui iront au Québec, alors que son propre gouvernement a injecté 1,4 milliard $ dans le secteur forestier et 600 millions $ dans le secteur manufacturier, tous deux en difficulté.
Conclusions
Le gouvernement Harper joue gros. La mise sera difficile à faire avaler aux Canadiens. D’autant plus que dans le cas de l’Afghanistan, le gouvernement conservateur a montré au peuple canadien jusqu’où il pouvait mentir – lui aussi – pour faire passer ses idées au détriment de l’opinion publique. Il a peu fait par ailleurs pour convaincre la population canadienne du bien-fondé de la mission militaire en Afghanistan. Au contraire. Comme l’indique Robert Asselin, directeur adjoint de l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa : « avec la façon dont le gouvernement a cherché à régir et à dissimuler l'information dans le dossier des détenus afghans et sur la mission en général, il a largement contribué à semer le doute sur ses intentions réelles. Au-delà de cette mission, et au moment même ou les sondages démontrent que les Canadiens ont à cœur et cultivent le plus grand idéalisme sur le rôle que devrait jouer leur pays dans le monde, on cherche d'ailleurs toujours à comprendre pourquoi la politique étrangère de ce premier ministre et de ce gouvernement en est venue à reposer exclusivement sur une intervention militaire en Afghanistan ».
____________________________