Il semble y avoir une érosion dans les fondements du château familial des Clinton. Hillary, si chère au cœur de Bill, son inénarrable époux, pourrait-elle supporter de perdre, pour une deuxième fois consécutive, les primaires du New Hampshire ? Terminer, dans l’Iowa, à la troisième place derrière l’ex-sénateur de Caroline du Nord, John Edwards, bouscule un peu l’égo et ébranle les colonnes du château familial. La sénatrice de New York, donnée favorite à l’échelon national pour devenir la candidate du camp démocrate à l’élection présidentielle américaine de novembre, va devoir prouver sa capacité à encaisser les coups et se relancer dès mardi prochain. Ce n’était pas là, loin s’en faut, le scénario qui était prévu dans le clan des Clinton. Pendant ce temps, Barack Obama lance : « le changement arrive en Amérique », à ses partisans à l’annonce de son succès. Toute supputation est bien évidemment prématurée. Mais… tout de même!
Que quatre petits points d’avance (32 % d’intentions de vote) sur son rival, Barack Obama (28 %). L’écart amincit. Ce résultat découle d’un sondage réalisé, entre jeudi et vendredi, pour l’institut Zogby International. Un deuxième sondage, réalisé pour l’université de Suffolk à Boston, montre également un écart entre les deux rivaux, au profit, toujours, de Barack Obama (36 % contre 29 %). Comme un malheur ne vient jamais seul, selon une enquête, publiée par la chaîne d’information CNN et la chaîne locale WMUR, les deux candidats démocrates recueillaient 33% de soutiens, alors que John Edwards se plaçait troisième avec 20%. Ils seraient à égalité. Une longue route reste à parcourir avant de gagner la Maison Blanche.
« Merci Iowa! » avait lancé Barack Obama, d’un hôtel de Des Moines, capitale de l’Iowa, à ses partisans. Mme Clinton réunissait ses partisans, dans un hangar d’aéroport du New Hampshire, décidée à éviter un nouveau revers lors des primaires de mardi. Mme Clinton a écourté son discours pour laisser plus de temps aux questions. « Que voulez-vous savoir de nous? » demande-t-elle. Le message électoral aurait-il mal passé ? « C’est une battante, elle est prête », prévient son directeur de campagne, Terry McAuliffe. Après sa défaite, madame Clinton avait annoncé qu’elle adopterait désormais un style plus agressif.
Les hostilités des républicains, signe des temps, se tournent maintenant vers Barack Obama. John McCain, candidat lui-même aux présidentielles de novembre 2008, a lâché : « Il n’a pas l’expérience en sécurité nationale (qu’il faut) pour diriger ce pays ». « Obama n’a jamais dirigé de ville, d’État, de société », a renchéri l’ex-maire de New York Rudolph Giuliani.
C’est justement le thème de l’expérience qu’entendait mettre de l’avant madame Clinton pour regagner la confiance des électeurs : « le changement n’arrive qu’avec l’expérience », martèle-t-elle à travers les réunions qui se tiennent à un rythme d’enfer dans le New Hampshire. Mais attention : l’expérience, la redoutable intelligence politique, les moyens financiers considérables et la liste sans fin de soutiens politiques de madame Clinton ne l’ont pas mis à l’écart d’une défaite dans un si petit État comme l’Iowa. Plus de 70% des démocrates de cet État ont voté… contre Hillary Clinton. Et Barack Obama, ne l’oublions pas, a gagné dans un État composé de 95% de Blancs. Bref, une première victoire aussi importante que symbolique. Et ce thème de l’expérience, au détriment du changement, adopté par Barack Obama, a suscité bien des remous au sein de l’équipe de madame Clinton : « One longtime adviser complained that the campaign’s senior strategist, Mark Penn, realized too late that “change” was a much more powerful message than “experience.” Another adviser said Mr. Penn and Mr. Clinton were consumed with polling data for so long, they did not fully grasp the personality deficit that Mrs. Clinton had with voters ». Un examen de conscience douloureux qui s’est imposé dès le soir de la défaîte, en Iowa.
Madame Hillary Clinton tente, tant bien que mal, de démontrer le caractère instable de son rival, Barack Obama. Elle cherche à montrer, dans les débats publics, qu’il change constamment d’avis. Qu’il ne peut se fixer sur une opinion et la défendre jusqu’au bout : « You’ve changed positions within three years on, you know, a range of issues that you put forth when you ran for the Senate, and now you have changed…. ». Pour sa part, Barack Obama revient inlassablement avec son thème préféré : « I think the American people are hungry for something different and can be mobilized around big changes; not incremental changes, not small changes…. the truth is, actually, words do inspire, words do help people get involved, words do help members of Congress get into power so that they can be part of a coalition to deliver health-care reform, to deliver a bold energy policy ».
Isabelle Duriez, de Libération, soulève un point fort intéressant, qui illustre bien ce qui différencie Barack Obama de sa rivale, Hillary Clinton, et la politique : « Barack Obama parle d’espoir à l’Amérique, il parle de lui-même. De cet enfant que rien ne prédestinait à avoir ne serait-ce qu’une carrière politique. Né d’une amourette estudiantine entre un père venu du Kenya et reparti aussitôt son cursus terminé et une mère blanche du Kansas qui l’a emmené dans ses valises à Djakarta. De ce gamin noir qui sourit sur les photos entre ses deux grands-parents blancs qui l’ont élevé à Hawaii. De cet ado qui a touché au shit et à la coke, s’est cherché, et a fini par admettre que puisque tout le monde le considérait comme un Noir, il était noir ».
Il existe un véritable état de grâce entre les médias et Barack Obama. Ce que semble avoir perdu Hillary Clinton. « Says one longtime Democratic strategist, who is close to the Clintons : “Fundamentally, she is who she is; she can’t change who she is, and maybe this is not her time » comme l’indique Karen Tumulty, du Time.
Exprimeo tire de cette expérience, traumatisante pour madame Clinton, trois leçons intéressantes : « Tout d’abord, ces élections marquent une indiscutable percée d’une nouvelle génération. Les deux vainqueurs sont des candidats neufs. Ensuite, seconde modification, cette nouvelle génération d’élus démocrates a donné une ” raclée ” à une génération finissante dans un État pourtant rural. Enfin, les soutiens politiques ont beaucoup évolué. L’électorat féminin s’est beaucoup mobilisé pour Obama ».
S’agissant de l’électorat féminin, en octobre dernier, madame Clinton, à qui il fut reproché son manque d’humanité et de compassion, et sa trop grande froideur, s’est livrée un peu plus en espérant atteindre les femmes américaines. Elle racontait : « Je me rappelle d’une histoire, lorsque j’étais une jeune avocate. J’avais une audience, Chelsea était malade, et la baby-sitter n’était pas là », a-t-elle raconté. « J’ai eu beaucoup de chance et un ami a pu venir surveiller Chelsea tandis que je courrais au tribunal avant de revenir à la maison ». Le programme élaboré par son équipe prévoyait d’encourager l’aménagement des lieux de travail, un système de récompense pour les « entreprises modèles », et des mesures destinées à développer le travail à domicile dans les administrations fédérales. Est-ce que cela sera suffisant pour gagner la course ? Faudra voir.
Frank R. Baumgartner est professeur de sciences politiques à l’Université Penn State, en Pennsylvanie. Selon lui, depuis plusieurs mois, Hillary Clinton, qui passe pour être rigide, était aussi perçue comme la candidate inévitable du parti démocrate, celle qui allait forcément l’emporter. Cela a fini par énerver beaucoup d’électeurs. Cette défaite pourrait donc être dévastatrice pour la suite puisqu’elle n’apparaît plus comme la seule candidate possible. Pour l’analyste et professeur de sciences politiques, si Hillary Clinton perd dans le New Hampshire mardi prochain, ce sera fini pour elle. Mais dans cet État de la côte Est, où Bill Clinton est encore très populaire, elle a les moyens de rebondir. De son côté, même en cas de défaite, Obama devrait mieux faire que son score dans les sondages. Or dans notre système des primaires, cela équivaut à une victoire.
Video : The New Hampshire Debates