La Pologne est un pays de contrastes. Embarquée dans la modernité, elle reste hantée par son passé. Son rapport à la judéité a toujours et est encore trouble. Pendant que Varsovie va, le 27 janvier prochain, organiser la Journée Internationale du Souvenir de l’Holocauste, l’œuvre de l’historien juif américain, Tomasz Gross, « Fear : Crainte : l’antisémitisme en Pologne juste après Auschwitz »,soulève de nombreux débats où s’affronte la recherche d’une construction objective de la connaissance historique contre l’acceptation d’un passé qui se révèle plus comme un tabou. Le livre de Tomasz Gross vise à témoigner des craintes au sein de la population juive en Pologne au lendemain de la seconde guerre mondiale.
En visite à Bruxelles, en octobre dernier, le premier ministre polonais de l’époque, Jaroslaw Kaczynski, s’était employé à dissiper les « malentendus » : « Ne croyez plus à ce mythe de la Pologne antisémite, homophobe et xénophobe », avait-il lancé. Cette réputation est pourtant tenace. C’était presqu’hier, en 2005. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (Ecri), une instance du Conseil de l’Europe, s’inquiétait de la persistance d’un sentiment d’antisémitisme en Pologne.
L’Ecri avait noté alors que les « discours haineux à connotation antisémite étaient jugés courants en Pologne par de nombreux représentants de la communauté juive et ONG ». Elle soulignait également le nombre important de publications antisémites, en Pologne, en vente notamment dans une librairie située au sous-sol d’une église de Varsovie et citait une radio, « Radio Maryja », fondée par un prêtre catholique, « célèbre pour ses émissions intolérantes et particulièrement antisémites ». L’antisémitisme apparaissait, selon l’ÉCRI, dans les discours politiques, des « déclarations xénophobes et antisémites » d’hommes politiques de partis non extrémistes qui « exploitent les sentiments de certains membres de la population polonaise pour gagner des voix » pendant les campagnes électorales. Ce reproche a déjà été adressé à l’ancien président, Lech Walesa, qui avait souvent fait appel aux fantasmes antisémites de ses électeurs, accusant ses adversaires d’être des crypto-juifs au service de Moscou.
En mars 2006, des propos violents, dirigés contre la communauté juive, entendus sur « Radio Maryja » avaient ému la communauté internationale. Stanislaw Michalkiewicz, avait accusé les « juifs d’humilier » la Pologne et de réclamer des dommages pour les biens laissés après guerre : « Nous nous occupons de la démocratie en Ukraine et en Biélorussie, alors que, pendant ce temps-là, des youpins viennent par-derrière pour obliger notre gouvernement à leur payer un racket sous prétexte de revendications ». Selon Michalkiewicz, si la Pologne ne paye pas 60 milliards de dollars aux juifs, elle va être humiliée sur la scène internationale… Déjà « les juifs font des histoires à Auschwitz et les préparatifs d’une grande cérémonie de propagande à Kielce sont en cours pour l’anniversaire du soi-disant pogrom (en 1946, ndlr)».
En avril 2006, le Vatican avait adressé un nouveau rappel à l’ordre. « La pénible affaire de Radio Marija doit être considérée avec fermeté », avait écrit le nonce apostolique, Mgr Jozef Kowalczyk, dans une lettre à la Conférence épiscopale polonaise.Le Saint-Siège appelle avec insistance les évêques polonais à s’unir pour surmonter les difficultés provoquées par certaines émissions et les prises de position de Radio Maryja». De nombreuses personnalités catholiques avaient déjà publiquement protesté contre la ligne éditoriale de la radio, accusée, selon les termes employés par Lech Walesa, d’« instrumentaliser la religion ».
Pour revenir à l’auteur Tomasz Gross qui, faut-il le rappeler, est un historien juif américain, avant même que la version polonaise de son livre « Crainte » ne soit éditée, des plaintes en diffamation vis à vis de la nation polonaise étaient déposées, comme le rapporte Le magazine international polonais. La question, pour les autorités judiciaires polonaises, est d’examiner si les témoignages recueillis par Tomasz Gross relèvent de la propagande ou si il ne s’agit que de dévoiler ce qui a été trop longtemps caché ou non avoué. En réalité, cet ouvrage témoigne de tous les nombreux exemples de polonais qui ont continué à être persécutés au lendemain de la seconde guerre mondial, et des tensions que cette population a dû subir alors que celle-ci rentrait des camps de concentration dans le seul but de pouvoir retrouver une vie paisible en Pologne. Parmi l’un des exemples qui sont cités dans cet ouvrage, il y a celui d’un jeune enfant, qui au lendemain de la seconde guerre mondiale, n’était pas autorisé à parler polonais dans des endroits publics parce que ses parent avaient peur que la population polonaise environnante ne reconnaisse son accent yiddish.
L’écrivain, Aleksander Kaczorowski, désapprouve cette décision des autorités judiciaires polonaises. « En lançant cette enquête […], le parquet de Cracovie essaye, en s’appuyant sur des méthodes policières, […] de tuer dans l’œuf un débat essentiel et nécessaire sur la genèse de l’antisémitisme polonais. Il se fonde sur une loi absurde qui prévoit que quiconque accuse publiquement la nation polonaise d’avoir participé, organisé ou d’être responsable de crimes communistes ou national-socialistes, encourt une peine de prison de trois ans. […] Ce n’est que l’une des conséquences de la politique historique, qui était l’un des principaux mots d’ordre du parti Droit et justice [PiS], l’ancien parti au pouvoir. Mais cette affaire n’a rien à voir avec les principes d’un État démocratique ».
Szewach Weiss, ancien ambassadeur d’Israël à Varsovie, affirme que la Pologne doit faire face à son passé. « J’espère que des livres comme « La crainte » vont déclencher une sorte de catharsis. Ce processus déplaisant de purification est nécessaire, parce qu’un meurtre est un meurtre. L’antisémitisme, la xénophobie et le racisme sont une ignominie. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, la plupart des Polonais sont bien éloignés de tels comportements. Il existe néanmoins des endroits en Europe où l’on trouve un antisémitisme plus marqué. On ne peut pas simplement effacer les turpitudes de l’histoire ». Pour le prix Nobel, Elie Wiesel, il ne s’agit pas pourtant de retenir à l’égard de la Pologne une responsabilité collective, mais bien de reconnaître la responsabilité des véritables coupables. Annoncer la vérité ne signifie pas que toute une nation est condamnée et que ses nouvelles générations doivent en assumer la responsabilité, il s’agit d’avoir un regard sur son passé, opinion qui rejoint celle de Szewach Weiss.
Jan Zaryn, appartenant à l’Institut Polonais du Souvenir, a expliqué que le livre de Tomasz Gross consiste à présenter les polonais tel que des antisémites, ou du moins à en renforcer le stéréotype, et non pas à présenter une version objective des faits historiques. D’après Jan Zaryn, l’étude des crimes commis par l’Allemagne nazi et les soviétiques ne permettent pas de qualifier explicitement les polonais d’antisémites, cet ouvrage ne servirait qu’à spéculer. Ce qu’il faut, par contre, savoir, en terminant, c’est que, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, l’article 132 du code pénal polonais condamne à trois années d’emprisonnement toute personne qui imputerait au peuple polonais une participation aux crimes commis par l’Allemagne nazi ou encore par les agents soviétiques. Et dire que l’Histoire est un devoir de mémoire, qui trouve son sens quand on l’exerce afin d’éviter les erreurs du passé, et cela d’autant plus à une époque où on a cru au retour des haines raciales avec la réapparition en Pologne de la Ligue des Familles Polonaises sous l’ancienne coalition gouvernementale.
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