Sur la question de l’Afghanistan, il n’est plus possible pour le gouvernement minoritaire de Stephen Harper de nier les faits : « Un groupe de défense des droits humains a rendu publics lundi des documents qui démontrent que le gouvernement fédéral savait que les prisonniers remis aux autorités afghanes étaient soumis à la torture ». « Ottawa ne peut plus nier l’existence de la torture en Afghanistan et le premier ministre Stephen Harper devra maintenant en tenir compte », a déclaré le président de l’association, Jason Gratl.

Pendant ce temps, dans la capitale canadienne, le groupe de travail indépendant sur l’Afghanistan, présidé par John Manley, recommande au Canada de prolonger sa mission militaire en Afghanistan après février 2009, à condition d’obtenir des renforts dans la région de Kandahar ainsi que l’accès à des hélicoptères de transport et des drones pour appuyer les troupes au sol.

Dans son rapport d’une centaine de pages, l’ancien vice-Premier ministre libéral John Manley et son groupe estiment que le Canada doit mettre plus l’accent « sur les questions de diplomatie et de reconstruction ». Pour permettre au Canada d’aller au-delà de son échéance actuelle, fixée en février 2009, le groupe de travail indépendant sur l’Afghanistan formule deux conditions. La première condition réside dans l’engagement des partenaires du Canada, au sein de la Force d’assistance à la sécurité (Isaf), de déployer un nouveau groupement tactique d’environ un millier de soldats dans la province de Kandahar « afin de permettre aux Forces canadiennes d’accélérer la formation de l’Armée nationale afghane ». La seconde est que le gouvernement mette à la disposition des Forces canadiennes au plus tard en février 2009 de nouveaux hélicoptères de transport de moyen tonnage ainsi que des drones (véhicules aériens sans pilote) à haute performance pour des opérations de renseignement, de surveillance et de reconnaissance.

S’agissant de cette dernière condition, les experts jugent aussi que les militaires canadiens devront « progressivement délaisser les missions de combat pour se concentrer davantage sur la formation des forces nationales de sécurité ». Oui, il faut équiper davantage nos soldats en Afghanistan pour le combat et oui, nos soldats doivent délaisser le combat pour la formation. Et ces mêmes experts affirment que si ces conditions ne sont pas respectées, le gouvernement devra faire savoir aux autorités afghanes et aux pays alliés qu’il entend transférer la responsabilité de la sécurité à Kandahar. En d’autres termes, le gouvernement canadien devrait signaler à l’OTAN son intention de se retirer en février 2009.

Dans un esprit tourné à l’optimisme, le rapport Manley vise, rien de moins, que la réalisation de cet ultime objectif : « Contribuer à bâtir un Afghanistan plus stable, mieux gouverné et plus fort sur le plan économique nous apparaît comme un objectif réalisable pour le Canada. Mais l’issue demeure incertaine. La guerre qui se déroule en Afghanistan est complexe. L’avenir est parsemé de dangers, qui peuvent faire échec aux plans les mieux élaborés et aux prévisions les plus sûres ».

Le temps a cruellement manqué au chef du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion, pour lire le rapport. Il n’a pu que répéter que l’intervention dans son état actuel doit se terminer en février 2009.

Plus chanceux, le chef du Bloc québécois a pu prendre connaissance et commenter le rapport. Gilles Duceppe accuse le comité Manley d’avoir donné un chèque en blanc au gouvernement Harper en recommandant une prolongation de la mission canadienne sans fixer de date limite. Pour monsieur Duceppe, il faudrait voter aux communes sur cette question avant la prochaine rencontre des pays membres de l’Otan sur la question afghane, qui aura lieu le 2 avril en Roumanie. Le Bloc se dit prêt à assumer les conséquences de son vote si jamais celui-ci était considéré comme une question de confiance et qu’il menait à la chute du gouvernement minoritaire.

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jack Layton, qui a pu lui aussi prendre connaissance et commenter le rapport, a réaffirmé sa position exigeant un retrait des Forces canadiennes de l’Afghanistan, car, selon lui, cette mission est un échec. Il a rappelé que le gouvernement Harper est en déphasage avec les Canadiens qui, comme le suggèrent les sondages, sont contre la présence canadienne en Afghanistan. Jack Layton est loin de pratiquer l’optimisme du comité Manley : « Nous sommes contre un prolongement indéfini de la mission […]. Cette mission est non seulement mauvaise pour le Canada, mais elle est aussi mauvaise pour l’Afghanistan, car la situation est pire que ce qu’elle était il y a plusieurs années », a déclaré le chef néo-démocrate.

La Société Radio-Canada a interrogé deux experts. Le lieutenant-colonel à la retraite, Gilles Paradis, estime que plusieurs recommandations du rapport Manley « sont périmées ». Il a cité comme exemple « l’effort accru de réformer l’armée afghane », une tâche à laquelle, a-t-il rappelé, le général Laroche s’est attelé depuis son arrivée l’été dernier en Afghanistan. D’autres éléments du rapport sont aussi dépassés, aux yeux de Gilles Paradis, comme la proposition d’envoyer 1000 soldats supplémentaires de l’OTAN à Kandahar. Il fait remarquer que les Américains ont déjà annoncé l’envoi de 3200 militaires dans la région et que les Britanniques ont transféré des soldats de l’Irak en Afghanistan.

Raymond Legault, du Collectif « Échec à la guerre », a indiqué, à Radio-Canada, que le groupe d’experts mené par M. Manley « n’est pas indépendant ». Il a souligné que « ses membres sont liés au milieu d’affaires canadien, en particulier les entreprises des secteurs militaire et pétrolier, qui ont des enjeux stratégiques ». Pour monsieur Legault, la présence canadienne en Afghanistan, depuis l’automne 2001, répond à des motifs qui n’ont rien à voir avec la protection des libertés individuelles et des droits de la personne, notamment ceux de la femme. « La guerre en Afghanistan n’est autre que l’expression du désir des Américains d’avoir une présence militaire permanente des deux côtés de l’Iran, car c’est le prochain pays dans leur mire », a déclaré le militant du Collectif « Échec à la guerre ».

Les cinq membres du comité, présidé par l’ex-ministre libéral John Manley, siègent aux conseils d’administration de grandes corporations canadiennes, notamment des secteurs militaire et pétrolier. Le Collectif « Échec à la guerre » affirme que tous les membres du groupe sont d’abord des experts du partenariat stratégique avec les Etats-Unis. M.Manley était entouré, pour ses travaux, de Derek Burney, Pamela Wallin, Paul Tellier et Jake Epp.

Le directeur du département de science politique au Collège militaire royal du Canada, à Kingston, en Ontario, Houchang Hassan-Yari, n’est pas surpris que la mission afghane doive se poursuivre au-delà de février 2009. Selon lui, les pays alliés devront « rester en Afghanistan durant les 10 ou 20 prochaines années » si on veut que le pays se remette de décennies de problèmes. Le professeur Hassan-Yari estime que cela ne signifie nullement que c’est le Canada qui doit rester en sol afghan pendant toute cette période.

Est-ce que le gouvernement minoritaire de Stephen Harper sera battu sur cette question de la présence militaire en Afghanistan ou sur l’aide aux secteurs forestier et manufacturier conditionnelle à l’adoption du budget ? S’il n’en tient qu’à Stéphane Dion, « le fruit n’est pas mûr pour une élection printanière ». Préoccupé par sa « personne », le chef du Parti libéral du Canada voit bien que les sondages confirment tous que le Parti libéral, à l’heure actuelle, ne pourrait former un gouvernement majoritaire. Voilà le message qu’auraient reçu parlementaires de l’opposition libérale.

Comme l’indique Raymond Giroux, du Soleil, « les libéraux ne parlent plus de faire tomber le gouvernement sur un vote de confiance quelconque ». La directive libérale est maintenant de : « concentrer leur tir contre ce qu’ils appellent l’insensibilité et l’incompétence du gouvernement conservateur », commente monsieur Giroux. Les conservateurs, poursuit l’éditorialiste, « ne croient pas, selon Stéphane Dion, au gouvernement et n’aiment pas la fonction publique, contrairement aux libéraux qui, eux, aiment tout le monde ».

Malgré la situation catastrophique des secteurs forestiers et manufacturiers, malgré l’insatisfaction de la population canadienne à l’égard de la présence militaire en Afghanistan, Stéphane Dion, qui craint que sa personne ne soit défaite aux prochaines élections, place son intérêt propre bien au-dessus des contingences économiques que subissent des milliers de personnes au chômage. Toutefois, il promet : « il établira un fonds de 1 milliard de dollars pour aider l’industrie manufacturière, si son parti est porté au pouvoir ». Toute la question est là. Quand occupera-t-il ce pouvoir tant convoité. Au rythme de ses hésitations, tout le champ libre est laissé par le chef libéral à son adversaire, le chef conservateur qui n’en fait plus qu’à sa guise.

Dans une entrevue qu’il accordait à Gilles Toupin, de la Presse, Stéphane Dion se lançait tout azimut dans des solutions pour redresser l’économie, s’il était au pouvoir. Voilà toute la question. « Nous verrons le budget, commente Stéphane Dion, et nous évaluerons la situation sur la base de ce budget. On ne peut écarter la possibilité que nous votions contre le budget. Le contexte a changé par rapport à l’automne dernier. Je ne veux pas dire qu’il doit y avoir nécessairement des élections. Je veux dire, même s’ils ne veulent pas d’élections, que les gens s’attendent davantage à ce qu’il y en ait. De plus, nous pensons que nos chances de victoire sont plus grandes maintenant parce que les gens sont déjà à l’écoute », a déclaré Stéphane Dion.

Et combien de soldats vont périr encore en Afghanistan en attendant que monsieur Dion retrouve le sommet des sondages et qu’il se décide à laisser, à l’électorat, le soin de juger son propre rendement au sein de cette opposition libérale totalement inefficace et impuissante ?

(Sources : la Presse, Le Soleil, Presse canadienne, Radio-Canada)

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