L’homme paraît sympathique. Cela étant dit, il convient de ne pas généraliser. François Bayrou n’a pas, non plus, la réputation de plaire à tout le monde. Mission impossible. Il se présente comme résistant. Il invoque la mémoire du Général de Gaulle. Les Françaises et les Français le voient tout de même comme présidentiable mais ne croient pas qu’il sera, un jour, président. Ses ennemis le qualifient de narcissique. Quel homme ce Bayrou ! Il entretient des rapports étranges avec son électorat.
Il n’a jamais cédé aux sirènes du sarkozysme. À telle enseigne qu’il est vu comme un adversaire. Serait-il de la trempe des incorruptibles? Bayrou se présente à la mairie de Pau (Pyrénées-Atlantiques)? Sarkozy se pointe sur les lieux pour annoncer qu’il ne se mêlera plus des municipales des 9 et 16 mars prochains : « Je ne veux pas me mêler du détail des municipales dans chacune des villes de France, ce n’est pas mon travail », déclarait, à Pau, Nicolas Sarkozy le mardi 22 janvier dernier. Un si lourd déplacement pour une si courte déclaration! Cette visite du président de la République a été vue, pourtant, comme une ultime tentative d’isoler le candidat béarnais Bayrou. Et le ridicule a été atteint. « Il y avait trois avions, un pour les journalistes et deux Falcon 900, je ne sais combien de voitures, des forces de police dans tout Pau, douze motards en grand uniforme devant la voiture officielle, tout ça pour venir soutenir Yves Urieta, le maire-sortant ex-PS », s’est exclamé, après coup, François Bayrou devant quelques journalistes. N’eut été de la déclaration présidentielle, aurait-on pu imaginer un déploiement similaire dans les 36.000 communes qui vont élire un maire au début du mois de mars prochain? Question ironique à une déclaration ironique.
Pour ajouter à cette mascarade, Nicolas Sarkozy ne s’est finalement pas rendu à la mairie de Pau pour rencontrer M. Urieta, comme cela avait été initialement annoncé. Au grand désarroi de la population locale qui avait décoré dignement la Place. Le 8 janvier dernier, Nicolas Sarkozy n’avait-il pas rassuré le peuple de France qu’il « s’engagerait » dans ce scrutin? « Je m’engagerai, parce que le concept même d’élection dépolitisée est absurde. Je m’engagerai, à la place qui est celle du président de la République, je peux dire que le Premier ministre s’engagera, à la place qui est celle du Premier ministre, comme les ministres, pour mobiliser notre électorat », avait-il déclaré lors de sa conférence de presse de rentrée, devant 700 journalistes. Imaginons un instant Georges W. Bush, à bord de son Air force One, se rendre à Tucson, en Arizona, pour appuyer un candidat républicain local? Des deux côtés de l’Atlantique, des clameurs auraient franchi le mur du son.
Entre paranthèse, ce retrait annoncé du président, des municipales, n’a pas eu pour conséquence de nuire au candidat Schosteck (UMP) qui est arrivé, dimanche, en tête du 1er tour de la législative partielle des Hauts-de-Seine, avec 44,59% des suffrages exprimés. Le candidat socialiste, Philippe Kaltenbach, est arrivé deuxième (37,41%) et le candidat du MoDem en 3e position, totalise 7,2% des voix.
Selon un récent sondage, réalisé pour le Journal du dimanche, Ségolène Royal et François Bayrou apparaissent comme les opposants les plus crédibles à Nicolas Sarkozy, mais 63% des Français ne pensent pas que le président du MoDem puisse être élu président de la République. Ségolène Royal arrive en tête avec 28% des Français qui la considèrent comme le candidate la plus crédible devant Français Bayrou (25%), le maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë (18%) et le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) Olivier Besancenot (14%). Le défaitisme est au rendez-vous : 13% des personnes interrogées ne voient en aucune de ces personnalités un opposant crédible au président.
Qu’à cela ne tienne. François Bayrou maintient le cap. Il développe l’art de la formule pour dénoncer son et ses adversaires. « La politique du tournis, pour nous, c’est le contraire d’une vraie politique de réforme », déclarait-il début janvier. Et encore : « On a une impression d’improvisation, d’influences contradictoires, de foucades, toujours assénées sur le même ton volontariste. Mais où est la logique, où est la cohérence, où est la préparation, où est la négociation préalable? » Sur le travail et sur le pouvoir d’achat, François Bayrou a son opinion et il l’exprime : « J’imagine que si l’on supprime les 35 heures, c’est pour allonger la durée du travail. Et donc on va remplacer des heures supplémentaires, payées 25% de plus, non chargées et non imposées, par des heures normales, payées 25 % de moins, chargées et imposées ».
Rien ne résiste à François Bayrou. Il n’a pas hésité à comparer la conception de la religion du président français à celle de son homologue américain, George Bush. « C’est le retour que l’on croyait impossible en France du mélange des genres entre l’État et la religion. […] Nicolas Sarkozy affiche chaque fois qu’il le peut sa complaisance avec le matérialisme financier et, en même temps, souhaite faire de la religion une autorité dans l’espace public. […] Cela s’est déjà produit dans l’histoire. Aujourd’hui par exemple, chez Bush ».
Au lendemain de la signature d’un accord, sur l’installation d’une base militaire stratégique française aux Émirats arabes unis, François Bayrou rebondit en déclarant : « L’annonce par le président de la République, sans aucune réflexion publique préalable, sans information du Parlement, que la France allait ouvrir une base militaire interarmes sur les rives du détroit d’Ormuz, constitue un changement très grave de la doctrine et de l’attitude de la France dans cette région. La nature même de cette région, les risques qui sont encourus mettent la France en situation d’être entraînée malgré elle dans un conflit ou dans une succession de tensions très dangereuses », avertit François Bayrou qui voit dans cette initiative la volonté d’intégrer la France dans les concepts géostratégiques américains.
S’il distribue des coups de bâton, François Bayrou en reçoit également. Plusieurs lui reprochent, en se présentant à Pau, de ne pas avoir rejeté le cumul des mandats : il invoque le fait que ses adversaires n’y ont pas, eux-mêmes, renoncé. Cette position de faiblesse pourrait le desservir fort mal. Ses adversaires politiques le jugent sévèrement : « François Bayrou a le génie pour faire le vide autour de lui et que tous ceux qui ont collaboré depuis de longues années à son projet sont partis les uns après les autres », déclarait à son encontre le secrétaire général de l’UMP, Patrick Devedjian. Le ministre de la Défense, Hervé Morin, le président du Nouveau Centre, déclarait au début du mois de décembre, qu’il voyait dans le nouveau Mouvement démocrate (MoDem) de François Bayrou un « radeau de la Méduse », symbole de la « dérive personnelle totale » du dirigeant centriste.
Là où le bât blesse, c’est lorsque les critiques viennent de l’intérieur. Emmanuelle Caminade est institutrice avec une formation juridique. Elle déclare avoir adhéré, pour la première fois, à un parti suite à la campagne présidentielle de François Bayrou. Elle semble déçue. Elle écrit, sur son blogue – France démocrate – : « Force est de constater que la construction de ce nouveau parti n’a rien d’exemplaire ». Elle donne en exemple le déroulement du Congrès fondateur : « Les premiers signes de dérapage apparaissent lors du Congrès fondateur. Ce dernier voit le candidat à la présidence de ce parti diriger lui-même les débats sur l’adoption de ses statuts. A cette occasion, nombre de nouveaux adhérents venant de recevoir la carte qui leur “permettrait de voter à distance” découvrent avec stupeur qu’ils sont exclus du vote ».
Madame Caminade en vient à poser deux questions au chef fondateur du Modem : « Monsieur Bayrou, les adhérents qui se sont engagés derrière vous sont en droit de vous poser deux questions :
- votre but est-il toujours d’entrer dans l’ère d’une authentique démocratie fondée sur la séparation des pouvoirs?
- le but principal du Mouvement Démocrate est-il toujours la promotion d’une génération politique nouvelle?
Ces questions seront-elles suivies de réponses du principal intéressé? Nul ne sait. Si François Bayrou s’inquiète de la concentration des pouvoirs entre les mains du président, et dénonce un régime « monarchique », s’il déplore cette « dérive de la Ve République », il doit être le premier à prêcher par l’exemple au sein de son propre parti, le Modem. L’homme, pour sympathique qu’il puisse être, doit regagner la confiance des Français qui le voit présidentiable mais non président. Tout un dilemme. Toute une côte à remonter.
____________________________