Nabil K. a commencé par perdre la voix. C’était en novembre 2006, il était alors détenu à la prison de Liancourt (Oise). Le médecin de la prison lui prescrit un examen médical à l’hôpital de Creil. Entravé et menotté pendant sa fibroscopie, maintenu immobile de force par un surveillant, tenu « en laisse » devant les autres patients de l’hôpital, les choses se passent plutôt mal.
Diagnostic. Elles ne s’arrangent pas par la suite. Dans le fourgon qui le ramène à la prison, les surveillants débattent : « Tu as un cancer », dit l’un. « C’est pas sûr, coupe l’autre, le médecin a simplement dit “tumeur ». Le médecin n’a pas jugé nécessaire de s’adresser à Nabil. Il a exposé son diagnostic - « aspect tumoral sur les cordes vocales » - à l’un des surveillants. Un diagnostic pour lequel Nabil devra réclamer pendant plus d’un mois un certificat.
Nabil K., 60 ans, a aujourd’hui à peu près tout perdu. Malgré un avis de la CNDS (Commission nationale de déontologie de la sécurité) condamnant fermement les conditions dans lesquelles s’est déroulée son « extraction médicale ». Malgré ses demandes répétées d’examens complémentaires pour déterminer la nature de sa tumeur. Malgré les démarches de son médecin généraliste et de son avocat. Le 27 décembre, il a été libéré de prison. Comme il avait été condamné également à une interdiction du territoire français, il a été immédiatement expulsé en Égypte. Sans son dossier médical, que l’hôpital de Creil n’a pas voulu lui remettre. Et sans savoir s’il a, ou non, un cancer.
« Il n’a pas mis les pieds en Égypte depuis trente ans », explique Lucie L., sa compagne (1). « Il se retrouve, malade, dans un pays où il n’a ni logement, ni contact, ni couverture sociale ». Nabil K. avait pourtant un rendez-vous prévu le 15 janvier dans un hôpital des Hauts-de-Seine pour des examens plus approfondis. « Il a tout fait pour obtenir le report de son expulsion après cette date », raconte Lucie L. « En vain ».
L’histoire de Nabil K. n’est pas un cas isolé. « Très régulièrement, nous sommes saisis par des détenus qui nous racontent les conditions déplorables de leur hospitalisation : menottes, entraves et présence des surveillants même lors d’examens particulièrement intimes », témoigne François Bès, responsable des questions de santé à l’Observatoire international des prisons. Ces procédures d’« extraction médicale » sont pourtant régies par un cadre très strict, défini par une circulaire du 18 novembre 2004. Trois niveaux de surveillance existent en fonction de la dangerosité du détenu. Le niveau 1 prévoit que la consultation peut s’effectuer hors de la présence du personnel pénitentiaire et sans moyen de contrainte. Le niveau 3, le plus élevé, prévoit menottes et présence des surveillants. Il est censé s’appliquer aux détenus les plus dangereux. Certainement pas à Nabil K. qui a bénéficié de plusieurs permissions de sortie, avant et après sa consultation. « On constate que le niveau 3 est appliqué de manière très fréquente, sans réelle justification », déplore François Bès.
« Évasions ». A l’hôpital de Creil, on explique que ce n’est « pas le rôle » du médecin qui a examiné Nabil K. de définir le niveau de sécurité. Du côté de l’administration pénitentiaire, on se refuse à commenter un « cas particulier », tout en ajoutant que « les évasions lors des extractions médicales sont une réalité, qui impose des mesures de sécurité ». Interrogé par la CNDS sur le cas de Nabil K., le directeur du centre pénitentiaire de Liancourt a reconnu que la circulaire de 2004 « n’avait pas été respectée ». Nabil K., lui, a dit à la commission que « plusieurs de ses codétenus refusaient d’aller à l’hôpital, car ils savent que cela va se passer comme ça. Ils préfèrent rester malades plutôt que de se faire humilier ».
(1) Les prénoms ont été modifiés.
Source : Libération (Texte intégral)