Amnesty international n’hésite pas à épingler les pays qu’elle considère en faute lorsqu’il s’agit de défendre les droits humains. Dénoncer les États-Unis est un plaisir, pour d’aucuns. Dénoncer le Canada est une colère, pour d’autres.
… Et moi je sens en moi
Dans le tréfonds de moi
Pour la première fois
Malgré moi, malgré moi
Entre la chair et l’os
S’installer la colère
(Félix Leclerc)
Le Taser
Je ne sais pas si vous avez vu cette information incroyable sur cette arme qui a fait, à plus d’un titre, les manchettes internationales : le Taser. Le Taser, capable de paralyser pendant quelques secondes une personne grâce à une décharge électrique pouvant atteindre 50.000 volts, est d’abord utilisé par les forces de l’ordre, dans 43 pays aujourd’hui. Cette arme est maintenant commercialisée pour être vendue dans le grand public. Vous avez bien lu. La société a aussi développé un modèle destiné au grand public, le C2 « personal protector », que Dana Shafman, de Phoenix, Arizona, vend dans des réunions à domicile.
Tout en ayant la même puissance, l’appareil est plus petit que le volumineux modèle original, et son extérieur profilé lui donne davantage l’apparence d’un rasoir électrique que d’une arme. Selon Mme Shafman, sa clientèle féminine apprécie notamment le fait que le C2 soit assez petit pour se loger dans un sac à main, et qu’il soit disponible en différentes couleurs, y compris le rose. Mme Shafman a vendu une trentaine de ces armes par mois, au coût de 349,99 $ US pièce, depuis sa première soirée Taser, le 15 octobre dernier. Elle n’est pas une employée de Taser International, dont le siège social se trouve à Scottsdale, en Arizona. Elle est « à son compte » et ne touche pas de commission. Elle obtient plutôt le rabais que Taser réserve aux commerçants, et empoche la différence (Cyberpresse). Mona Cadena, d’Amnistie internationale, affirme qu’on enregistre déjà des cas de violence conjugale à l’aide du Taser et d’autres armes électriques.
Des images insupportables ont circulé dans le monde entier lorsque Robert Dziekanski, un immigrant polonais, est décédé après avoir reçu deux décharges à l’aéroport de Vancouver, au Canada. L’arrivée de plus de 4000 Tasers en France – voir Paris Match sur cette question - avait aussi créé ses dérives, à l’image de l’histoire révélée par la télévision M6 d’une jeune Lyonnaise électrocutée par quatre policiers lors d’un défilé techno. Selon des représentants de l’organisation de défense des droits de la personne, Amnistie internationale, les policiers font fréquemment une utilisation abusive de ces armes, et le public en général fera vraisemblablement de même. L’organisme a tout lieu de s’inquiéter de ces tentatives de multiplier le recours au pistolet électrique.
Récemment, le Comité de l’ONU contre la torture (CAT) a estimé que cette arme est un instrument de torture. Au Canada, la Ligue des droits et libertés du Québec (LDL) réaffirme la nécessité d’imposer, dans la province, un moratoire quant à l’utilisation du taser par les forces policières. « Ni le ministre et ni le rapport ne donnent de restrictions satisfaisantes quant à l’usage du taser », déplore M. Dominique Peschard, président de la LDL. Le 7 décembre dernier, une coalition demandait au gouvernement du Québec de décréter un moratoire immédiat de l’utilisation du pistolet à impulsions électriques.
La torture
Sur un autre plan, Abdullah Almalki, d’Ahmad Abou-Elmaati et de Muayyed Nureddin soutiennent avoir été arrêtés et torturés en Syrie, entre 2001 et 2004, à la suite d’informations fournies par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) les soupçonnant d’activités terroristes. Aucune accusation n’a cependant jamais été déposée contre eux, par le Canada. Une commission d’enquête, confiée au du juge Iacobucci et mise sur pied dans la foulée du Rapport sur les événements concernant Maher Arar du 18 septembre 2006, doit déterminer si la détention des trois Canadiens et les sévices exercés à leur endroit résultaient d’actions faites par des responsables canadiens. L’ancien commissaire de la GRC, Giuliano Zaccardelli, avait été contraint de quitter son poste à la suite de témoignages contradictoires au Parlement relativement à l’affaire Maher Arar, torturé en Syrie en raison de fausses allégations alimentées par la police fédérale.
Lors de son témoignage devant la commission d’enquête, l’avocat fédéral, maître Michael Peirce, a indiqué que le Canada, même s’il pourfend la torture, collabore avec des pays qui sont peu respectueux des droits de la personne dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. « Malheureusement, nous savons que le terrorisme est souvent issu de pays avec de piètres bulletins au chapitre des droits humains », a commenté l’avocat. Le Canada déteste peut-être la torture, mais lorsque vient le temps de s’impliquer dans la guerre mondiale contre le terrorisme, son gouvernement doit souvent collaborer avec des régimes qui ne sont pas aussi respectueux des droits humains que lui, reconnaît l’avocat du gouvernement fédéral.
Il a précisé que « le Canada ne peut pas s’isoler de ces sources importantes d’informations ». Tout en soutenant que « le Canada n’approuve pas de torture », Me Peirce a soutenu que la Convention de l’ONU contre la torture, signée par Ottawa, n’était pas la seule autorité légale en la matière. Il a expliqué que la convention, large et générale, ne contient pas « d’obligation légale » à l’égard des fonctionnaires fédéraux impliqués dans des cas spécifiques. « Avec une telle position, le gouvernement admet pratiquement qu’il doit sacrifier les libertés civiles au nom de la lutte contre le terrorisme », a estimé Me Jasminka Kalajdzic, une avocate pour M. Almalki.
Amnesty internationale a réagi vivement. « C’est une affirmation dangereuse et troublante », a déclaré Alex Neve, d’Amnistie, devant cette même commission fédérale d’enquête. « Cela implique qu’il est correct de courir le risque que des suspects soient torturés à l’étranger, à condition que rien de semblable ne se produise en sol canadien », a riposté Alex Neve. « Rien n’est plus éloigné de la vérité », a-t-il déclaré.
Abdullah Almalki, Ahmad El Maati et Muayyed Nureddin ont toujours nié avoir quelque lien que ce soit avec le terrorisme, et tiennent la Gendarmerie royale du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité responsables de leurs épreuves. Pour Ottawa, le fait qu’un pays porte atteinte aux droits de la personne ne suffit pas nécessairement à empêcher le Canada de partager de l’information avec des services de sécurité étrangers. Et cela au mépris de la sécurité et de l’intégrité des personnes que ce pays déporte vers des tiers pays qui n’hésitent pas torturer pour obtenir des aveux. Le gouvernement canadien admet carrément que, malgré tous ses efforts, son ministère des Affaires étrangères n’est pas toujours capable d’assurer la protection de ses citoyens détenteurs d’une double nationalité.
« Le fait qu’un pays donné puisse avoir de piètres antécédents en matière de respect des droits de la personne ne suffit pas, en l’absence d’autres arguments impérieux, à faire obstacle au partage d’information », peut-on lire dans un document que le gouvernement canadien a fait parvenir à la Commission d’enquête.
Le Canada aux Nations Unies
Pendant ce temps-là, faut-il le voir pour le croire, l’assemblée générale des Nations unies a, en décembre dernier, adopté une ébauche de résolution, présentée par le Canada, qui exprime « de graves préoccupations » concernant de présumés abus systématiques des droits de la personne en Iran, notamment des actes de torture, de flagellation, d’amputation, de lapidation et d’exécutions publiques. La résolution, pour légitime qu’elle soit, demande au gouvernement iranien « d’éliminer, juridiquement et pratiquement toutes les formes de discrimination ou d’abus des droits des minorités ». La résolution a été présentée par le Canada avec l’appui des États-Unis et d’autres pays occidentaux. Plusieurs pays, dont la fiche en matière des droits de la personne est moins que reluisante - comme Cuba, la Corée du Nord, le Soudan, la Syrie et le Zimbabwe -, s’y sont opposés.
Le Canada en Afghanistan
Selon Amnesty International, la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan, placée sous commandement de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), et plus particulièrement celles de la Belgique, du Canada, de la Norvège, des Pays-Bas et du Royaume-Uni, ont remis des détenus à la Direction nationale de la sécurité (DNS), le service de renseignement afghan, malgré des informations persistantes selon lesquelles les agents de cet organisme ont recours à la torture et aux mauvais traitements.
Au cours de l’année 2007, des organisations de défense des droits de la personne avaient réclamé l’arrêt du transfert de prisonniers afghans capturés par les militaires canadiens à d’autres autorités. Amnistie internationale et la British Columbia Civil Liberties Association considèrent que le Canada ne fait rien pour assurer que les prisonniers afghans ne sont pas torturés, une fois qu’ils sont sous la responsabilité des autorités afghanes. Au printemps dernier, plusieurs informations publiées dans des médias canadiens affirmaient que des soldats afghans capturés par les militaires canadiens subissaient des tortures une fois transférés aux autorités afghanes. Ces allégations avaient déclenché une intense controverse au pays.
Un adolescent - ressortissant canadien - de 15 ans emprisonné à Guantanamo
Il y a aussi Omar Khadr, aujourd’hui âgé de 21 ans, détenu pendant cinq ans à la prison de Guantanamo, à Cuba, sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui. Au printemps dernier, le gouvernement américain l’a formellement inculpé de meurtre, de tentative de meurtre, de complot, d’espionnage et de soutien au terrorisme. Il aurait tué un soldat américain à l’aide d’une grenade en Afghanistan en 2002. « Omar Khadr n’est pas détenu dans un État de droit, c’est un ressortissant canadien emprisonné, alors qu’il avait 15 ans, sans jugement, par l’US Army, à Guantanamo. Le gouvernement canadien de M. Harper a renoncé à exiger sa libération, tandis que le Parti libéral de Stéphane Dion fait campagne pour qu’Omar Khadr soit rapatrié au Canada » (Voltaire).
Le Canada et ses ambassades
En terminant, j’invite le lecteur à lire - impérativement - cet article d’un chroniqueur du quotidien La Presse, Pierre Foglia, qui raconte, mine de rien, le grand respect que témoignent, dans les ambassades du Canada à l’étranger, les fonctionnaires qui ont la responsabilité de délivrer des visas de séjour. Édifiant. Quand Fonctionnaire est plus important que Citoyen… vous avez la mesure que le Canada donne au respect des citoyens.
Dire que c’était un Canadien, le professeur John Humphrey, qui a, au milieu de la discorde politique et des disputes diplomatiques, rédigé la première esquisse de « La déclaration universelle des droits de l’homme ».
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