Peut-il réussir ? Madame Ingrid Betancourt fonde beaucoup d’espoir dans l’indiscutable foi de Nicolas Sarkozy : « Je sais que ce que nous vivons est plein d’inconnues, mais l’histoire a ses temps propres de maturation et le président Sarkozy est sur le Méridien de l’Histoire. Avec le président Chavez, le président Bush et la solidarité de tout le continent, nous pourrions assister à un miracle ». Et au nom de cet espoir qui nourrit ce qui reste d’une vie difficile au sein de la jungle colombienne, il faut regarder attentivement les faits.
Le président vient d’en appeler aux sentiments humanitaires des Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC). Le président ne renonce pas à « sauver une femme en danger de mort », il « rêve » de voir Ingrid Betancourt revenir parmi les siens pour Noël. Pour cela, le chef de l’État français a adressé un message télédiffusé et un autre radiodiffusé. Salué par la famille de la Franco-Colombienne, détenue depuis près de six ans dans la jungle, et par ses comités de soutien, ce message de Nicolas Sarkozy est un cadeau exceptionnel à la veille de cette grande fête chrétienne qu’est la Nativité du Christ.
Nicolas Sarkozy s’en émeut : « La flamme est en train de s’éteindre dans cette femme dont l’audace, dont le courage forcent l’admiration de ceux qui la connaissent. Où est donc passé son sourire ? » Pour ranimer cette flamme, le président n’hésite pas à lancer un rappel patriotique : « La France ne vous oubliera pas. Elle ne vous oubliera jamais. En ce moment même la France recherche de nouveaux moyens pour vous rendre à la liberté, pour vous rendre aux vôtres et à la vie ».
Le geste du président français a été salué, autant par la famille, que par l’opposition : « Il fallait dire à Ingrid Betancourt, et le président de la République l’a fait, que l’ensemble des Français sont avec elle, solidaires et veulent qu’elle revienne », a déclaré François Hollande. La Fédération internationale des comités Ingrid Betancourt a également salué « le geste humain et solennel du président Sarkozy ».
En réponse, les rebelles des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) ont invité Nicolas Sarkozy à plus d’impartialité, s’il souhaite obtenir la libération de la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt et d’autres otages. « La médiation internationale ne doit pas se transformer en un système de faveurs, pour l’une ou l’autre des parties en conflit, sous peine de perdre sa crédibilité », ont-ils déclaré dans un communiqué de l’agence de presse des Farc, Anncol, tout en jugeant « louable » l’initiative du président Sarkozy. Tout en précisant que : « un échange est un échange. Tout accord international sur ce sujet doit le reconnaître ». Le communiqué a été publié dans le journal colombien, El Tiempo, ce jeudi 6 décembre.
Ce qu’il faut retenir du message du président est la limite qu’il se fixe dans son implication à libérer Ingrid Betancourt : « Je m’engage de mon côté à continuer à m’impliquer personnellement dans la recherche d’une solution humanitaire, pour la libération de tous les séquestrés. Au-delà, je m’engage à redoubler d’efforts, si cela est souhaité, pour contribuer à trouver une issue au conflit colombien ».
La Colombie est un pays souverain. Le président Alvaro Uribe, s’est même dit prêt à dialoguer, en personne, avec le représentant des rebelles marxistes des FARC. C’est la première fois que le Président colombien se déclarait disposé à dialoguer, directement, avec ce groupe. Après avoir évincé Hugo Chavez, Alvaro Uribe a invité le président Sarkozy à relancer le dialogue avec les ravisseurs d’Ingrid Betancourt. Contrairement au leader vénézuélien, Chavez, Nicolas Sarkozy est peu familier avec la rhétorique des guérilleros. Pour mener à terme une négociation, il faut « demander » mais également « offrir ». Qu’aura à offrir Nicolas Sarkozy pour parvenir à gagner la libération d’Ingrid Betancourt ? Quelle marge de manœuvre supplémentaire lui accordera Alvaro Uribe ?
Au-delà de la passion, du style et des initiatives spectaculaires du président Sarkozy, cette opération médiatique est-elle, dans les circonstances, la plus appropriée ? En mots à peine couverts, les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) ont déjà refroidi certaines ardeurs : « « un échange est un échange. Tout accord international sur ce sujet doit le reconnaître ». Qu’auront gagné ces guérilléros du fond de la jungle s’ils libèrent, sans contrepartie, Ingrid Betancourt dont la détention leur assure de ne pas être oubliés par l’actualité internationale ? Il ne pas surestimer la capacité du président français de parvenir à un accord. La clé des négociations est beaucoup plus entre les mains du président Uribe qu’entre celles de Nicolas Sarkozy. Hugo Chavez vient de l’apprendre amèrement. Il n’a fait aucun doute, dans l’esprit des observateurs avertis, que le président Uribe a torpillé purement et simplement les efforts d’Hugo Chavez d’établir un pont avec Manuel Marulanda Vélez.
Un élément qu’il convient également de rappeler : les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) ont fait l’objet d’une décision du Conseil de l’Union européenne, en date du 21 décembre 2005, relativement à des mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cette décision dresse une liste de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Se retrouvent, notamment, sur cette liste l’Organisation Abou Nidal, la Brigade des martyrs Al-Aqsa, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), les Forces unies d’autodéfense de Colombie et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).
Difficile d’imaginer le plus sérieusement du monde que Nicolas Sarkozy se rendra au fond de la jungle pour s’entretenir personnellement avec Manuel Marulanda Vélez ? Et sera-t-il accompagné du président colombien Alvaro Uribe ? L’Élysée avait auparavant indiqué que le président n’excluait pas de se rendre en Colombie « pour y être utile », mais qu’il réfléchissait toujours à la « meilleure stratégie » pour tenter d’obtenir la libération des otages de la guérilla colombienne. Le président colombien avait reproché à son homologue vénézuélien, Hugo Chavez, un « manque de méthode » et de discrétion. Connaît-il bien Nicolas Sarkozy ? L’opération médiatique de ces derniers jours, loin des rencontres feutrées de la diplomatie internationale, semble déjà avoir indisposé les FARC qui ont rappelé, dans leur communiqué, au président français son obligation de neutralité et les risques d’y laisser sa crédibilité.
En terminant, au-delà des questions humanitaires, il faut s’interroger sur les espoirs que font naître les opérations médiatiques de Nicolas Sarkozy. Il devrait se savoir limité dans les moyens et se limiter lui-même dans ses moyens. Une trop grande impétuosité pourrait faire déraper les espérances les plus folles sur la libération d’Ingrid Betancourt. Et Noël, c’est maintenant dans moins de 18 jours. Bonne chance, monsieur Sarkozy.
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