Les élections législatives en Russie ont abouti à des résultats dignes de la Russie soviétique. Dans certaines régions du pays, le parti Russie unie a réalisé un score de plus de 90% des voix. Vladimir Poutine affirme que le scrutin montre que « les Russes ne permettront jamais que la nation prenne une voie destructrice comme cela s'est produit dans certaines autres nations de l'ex-espace soviétique. C'est un bon signe d'une stabilité politique accrue ».
Alors que le président de la République française, Nicolas Sarkozy, et le président du Conseil des ministres, italien Romano Prodi, ont félicité le président russe pour les résultats de sa victoire législative, ce dernier, selon le quotidien Kommersant, serait « mécontent du résultat des élections », la liste qu’il conduisait ayant moins bien fait avec 64 % des voix que lui-même à la présidentielle de 2004, qu’il avait remportée avec 71 % des suffrages dès le premier tour. Des observateurs se disent même surpris de constater que Vladimir Poutine aurait perdu son sang froid ces dernières semaines. George W. Bush a indiqué qu’il a fait part à Poutine, lors d'une conversation téléphonique, de ses inquiétudes sur le déroulement de ces législatives.
En multipliant les apparitions publiques et en durcissant ses positions face aux groupes d’opposition, Vladimir Poutine a-t-il montré qu’il pouvait être un géant aux pieds d’argile ? Au cours des semaines qui ont précédé les législatives du 2 décembre, Poutine a repris sa rhétorique anti-américaine, exercice hérité de la période de la guerre froide. Question de stimuler et de rallier l'opinion publique russe. Qui plus est, l'opposition est accusée d’être financée par étranger.
Vladimir Poutine ne peut pas, selon la constitution russe, effectuer plus de deux mandats consécutifs. Avec 315 sièges sur 450, selon le décompte le plus récent, le parti politique Russie Unie, avec une majorité des deux-tiers à la Douma, pourrait changer la constitution. Il faudra attendre le 17 décembre pour que Russie Unie présente son candidat à la présidentielle. Ainsi, la Douma aura peut-être le temps de faire les aménagements nécessaires pour un troisième mandat de Vladimir Poutine. Toutefois, le président russe a bien précisé qu’il ne briguerait pas un troisième suffrage et qu’il ne reviendrait pas sur l'interdiction constitutionnelle d'enchaîner plus de deux mandats consécutifs de quatre ans.
« Il n'y a pas d'opposition. Nous avons des dissidents à Moscou et des rebelles dans le Caucase. Quand vous n'avez pas de médias libres et que les hommes d'affaires risquent d'être privés de leurs biens quand ils aident l'opposition, il ne peut être question de démocratie », ironise Ioulia Latynina, chroniqueuse de la radio indépendante Écho de Moscou, un des rares relais de l'opposition. Madame Latynina faisait évidemment allusion au démantèlement de la compagnie pétrolière Yukos, évaluée à 100 milliards de dollars, par Vladimir Poutine, qui, au cours de son second mandat, s’est montré davantage autoritaire que réformateur.
Vladimir Poutine ne supporte pas l’opposition, et encore moins, les contradictions. Pour lui, les représentants de l'opposition sont des « chacals » occupés à chercher des soutiens financiers auprès des « ambassades étrangères ». « La Russie n'était pas une démocratie et la Russie n'est (toujours) pas une démocratie », constate avec amertume Thomas Steg, porte-parole du gouvernement allemand. Pour sa part, la délégation de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a pointé du doigt l'absence d'une réelle séparation des pouvoirs. Goran Lennmarker, président de l'assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), a jugé que le tout récent scrutin « n'est conforme à aucune de nos normes » démocratiques.
« Rarement une élection parlementaire aura été autant l'objet d'une manipulation, avec un tel cynisme, via l'utilisation de tous les moyens administratifs possibles et sans pitié, dans l'intérêt de la classe au pouvoir et de son parti », écrivait la presse allemande en ligne, Die Welt.
L'hebdomadaire américain Time compare le succès politique de Vladimir Poutine avec celui de Ronald Reagan, considéré comme « le grand symbole du conservatisme américain contemporain ». Pour le Time, Vladimir Poutine restait « un leader extrêmement populaire dans la Russie d'aujourd'hui ». Le président russe tient son succès, selon le Time, de la croissance des prix du pétrole qui lui a permis de renverser la situation économique de la Russie, en encourageant la montée d'un nationalisme économique et politique offensif. Les Russes ont vite été fatigués de la démocratie et du libéralisme. Poutine leur a livré une économie prospère, grâce aux hydrocarbures et une stabilité politique.
Elena, 41 ans, qui fait ses courses sur un marché moscovite, a raconté lundi à l'AFP que son boucher avait été acheminé jusqu'à un bureau de vote avec ses collègues dimanche. Avec pour instruction de voter pour le parti de Vladimir Poutine, Russie unie. « Bien sûr que j'ai voté », lui a dit son boucher. « Ils nous ont tous emmenés d'ici et on nous a dit pour qui voter. J'ai entendu dire que c'était pareil dans les usines ». Au bureau de vote de la rue Gazetny, dans le centre de Moscou, 200 soldats ont voté après avoir reçu des instructions d'hommes en civil. « Oui on nous a ordonné de venir. Tout le régiment vote ici aujourd'hui », a dit un soldat à l'observateur d’Iabloko, également sous couvert de l'anonymat. Garry Kasparov a critiqué les « élections les plus malhonnêtes » de « l’histoire moderne de la Russie ».
Que va faire maintenant le président Poutine de sa victoire aux législatives et quelle stratégie adoptera-t-il pour sa succession puisqu’il ne peut pas se représenter en 2008 ? Comme l’indique l’Humanité, Poutine pourra s’interroger sur les options suivantes : être candidat alors que la Constitution russe le lui interdit. Être chef de la majorité à la Douma puisqu’il est député et chef de file de Russie unie ? Prendre la tête du complexe gazier Gazprom ? S’effacer pour les présidentielles de mars en attendant une crise grave au plan intérieur comme au plan international ?
Au nom de cette victoire, le président Poutine pourrait revendiquer cette victoire pour continuer à diriger la Russie de facto, même après avoir quitté en mai prochain la présidence. Pour cela, il lui suffirait qu’un homme de confiance se présente à la présidence et qu’il nomme, après élection, Poutine, premier ministre. Puis, ce nouveau président pourrait démissionner quelques mois après son élection, ce qui laisserait la place à Vladimir Poutine de se représenter pour occuper à nouveau le siège de président. À ce propos, des rumeurs veulent que Viktor Zoubkov se présente à la succession de Vladimir Poutine et lui serve d’homme de paille.
(Sources : Kommersant, AFP, Reuters, La Presse canadienne, Cyberpresse)
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