Est-ce que Platon avait raison ? « La plupart des hommes au pouvoir deviennent des méchants », écrivait-il.

Selon la vice-présidente aux communications de l’avionneur Airbus, Barbara Kracht, l’entreprise n’a rien à voir dans la controverse opposant l’ex-premier ministre, Brian Mulroney, au lobbyiste germano-canadien, Karlheinz Schreiber. Pourtant, Airbus aurait transféré près de 11 millions de dollars américains, de 1988 à 1991, à une compagnie contrôlée par l’homme d’affaires, Karlheinz Schreiber, International Aircraft Leasing (IAL). Ces sommes étaient liées à la vente d’avions au Canada et en Thaïlande. « En fait, il s’agit là d’une affaire ancienne qui ressort régulièrement. Aujourd’hui comme hier, elle n’appelle aucun commentaire de notre part », a précisé Mme Kracht au journaliste de La Presse.

Dans son autobiographie, parue en septembre dernier, monsieur Brian Mulroney faisait voler en éclats ses anciennes relations politiques, qu’il fondait pour certaines sur la trahison et pour d’autres, sur l’opportunisme. Ces relations, qu’elles soient mortes ou vivantes, n’ont pas trouvé grâce aux yeux du pourfendeur, dans ce pavé de plus de 1000 pages. Dans cette biographie, il n’est nullement fait mention des relations de l’auteur avec le vilain lobbyiste, Karlheinz Schreiber. Un peu comme en 1996, lorsque monsieur Brian Mulroney, tout en étant sous serment, avait «omis» de parler de ses relations d’affaires avec M. Schreiber, pour invoquer ensuite que personne ne lui avait précisé qu’il devait inclure dans ses réponses, la période où il n’était plus à la tête du gouvernement.

Selon le Journal de Montréal, la controverse entourant l’ancien premier ministre Brian Mulroney rend la sienne encore plus attrayante pour les lecteurs. Les allégations de Karlheinz Schreiber concernant l’affaire des 300 000 $ comptant versés à Brian Mulroney a eu un effet positif sur les ventes de sa biographie, Mémoires, parue en septembre aux Éditions de l’Homme.

L’ex-premier ministre a été reçu en comité parlementaire à Ottawa. Ce qui constitue en soi un événement historique car aucun ex-chef de gouvernement canadien ne s’est prêté à un tel exercice auparavant. Brian Mulroney a commencé son témoignage par une longue déclaration de 29 minutes. En déclaration préliminaire, monsieur Brian Mulroney a fait un rappel de certains faits qui méritent d’être repris ici :

En 1997, le gouvernement canadien disait formellement à un gouvernement étranger que j’étais un criminel dès le moment de mon entrée en fonction. J’ai été absolument atterré par ces allégations totalement fausses. Il y avait là de quoi ruiner ma réputation et détruire ma famille. Nous n’avons appris que plus tard par un témoignage de la GRC livré sous serment que la police avait appuyé ses dires sur de l’information recueillie principalement auprès d’un journaliste canadien qui était un informateur secret de la GRC, allait-on apprendre par la suite.

Sachant que toutes ces accusations étaient fausses, j’ai poursuivi le gouvernement fédéral pour libelle diffamatoire et je me suis battu pendant deux ans pour laver mon nom de tout soupçon. Cela fut pour moi et pour les miens extrêmement pénible. Le stress et l’angoisse à cause de ces allégations et leur énorme retentissement dans les médias sont pratiquement impossibles à décrire. Et les dommages causés ne peuvent pas se mesurer en dollars. Il faut avoir traversé une telle épreuve pour en mesurer tout l’impact. C’était comme frôler la mort.

En 1997, le gouvernement fédéral communiquait avec mes avocats et proposait un règlement hors-cour. Nous avons eu droit ma famille et moi à des excuses pleines et entières. De plus, le gouvernement a fait la déclaration suivante et je le cite: ‘Sur la foi de la preuve recueillie à ce jour, la GRC admet que toutes, toutes les conclusions de méfaits attribuables à l’ancien premier ministre étaient et demeurent injustifiées.

Le 6 octobre 1997, l’ancien juge en chef de la Cour supérieure du Québec, le regretté juge Alan B. Gold, en sa qualité d’arbitre spécial, ordonnait au gouvernement de verser 2,1 millions $ à titre de frais juridiques et d’autres dépenses. Ce montant est allé intégralement à mes avocats et conseillers. Contrairement à certaines rumeurs, je n’ai jamais retiré un seul sous.

En ayant accepté de rencontrer un obscur lobbyiste germano-canadien, monsieur Mulroney a commis une première erreur. En ayant accepté trois enveloppes brunes avec des liasses de billets de 1000 $, monsieur Mulroney a commis une deuxième erreur. Karlheinz Schreiber a conclu son témoignage devant le comité parlementaire en réitérant qu’il a remis 300 000 $ à monsieur Brian Mulroney. Celui-ci affirme n’avoir reçu que 225 000 $ en trois versements de 75 000 $ à trois endroits différents. Est-ce que cette différence d’interprétation rend la faute plus légère ?

En cours de témoignage devant le même comité parlementaire, monsieur Brian Mulroney, qui a décliné l’offre de prêter serment sur la Bible, reconnait avoir reçu à trois reprises ces sommes d’argent. Et cet argent liquide a été entreposé dans un coffre-fort à Montréal et dans un coffret de sûreté d’hôtel à New York. Pourquoi avoir fait la même faute à trois reprises, lui a-t-on demandé ? « Une erreur humaine n’est pas divisible. Lorsqu’il y a une erreur et qu’on le reconnaît, cela englobe toutes les dimensions de cette erreur humaine », a soutenu l’ancien premier ministre qui, chaque fois qu’il était invité à offrir plus d’explications, se repliait sur son aveu et ses excuses.

En 1996, monsieur Brian Mulroney avait affirmé n’avoir jamais eu de compte en banque ailleurs qu’à Montréal. Un coffret de sûreté à New York n’est pas un compte de banque, aurait pu nous dire Brian Mulroney. Tout avocat, qui reçoit en général des sommes d’argent, par avance pour services professionnels, dépose ces sommes dans des comptes en fidéicommis. Et surtout, il présente des factures et des rapports à ses clients. Or, dans le présent cas, monsieur Mulroney a déclaré ne pas avoir de documents comptables, puisqu’ils ont été détruits après le règlement avec le fisc canadien. Aucun reçu n’a de plus été produit.

Selon monsieur Mulroney, le mandat ne consistait pas, contrairement aux prétentions de Karlheinz Schreiber, à installer une usine de construction de véhicules militaires légers au Canada mais de convaincre, à l’étranger, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Russie, Chine, France, Grande-Bretagne et États-Unis) d’acheter ces véhicules pour les missions de paix des Casques bleus. Cela revient à dire que monsieur Mulroney n’a pas agi au Canada, pour le compte de monsieur Schreiber, mais à l’extérieur du Canada.

À l’étranger, monsieur Brian Mulroney aurait fait des rencontres pour établir des relations d’affaires sur l’achat de ces véhicules. L’ancien premier ministre a répété avoir rencontré des leaders gouvernementaux mais il a dû admettre qu’il n’avait aucun rapport écrit pour appuyer ses dires. Yves Boisvert, de La Presse, ironise, non sans raison, sur ces rencontres : « Quel travail a-t-il fait? Il a rencontré Boris Eltsine - maintenant mort. François Mitterrand - mort aussi. Des dirigeants chinois non précisés - Deng Xiaoping est mort depuis. Et des dirigeants américains; on ne sait pas lesquels ». Au total, il aurait dépensé 45 000 $ en trois ans.

Maître Serge Ménard, ancien ministre de la justice du Québec et ex-criminaliste, maintenant député du Bloc québécois, a tenté tant bien que mal, sans y parvenir, toutefois, de comprendre pourquoi monsieur Brian Mulroney a senti le besoin de mettre cet argent, à l’abri, à trois reprises. « Est-ce que cet argent a été reçu en reconnaissance de services rendus ou il a été avancé en reconnaissance de services à rendre? », s’est-il interrogé. Le député Ménard se dit cependant presque convaincu « qu’un jury dirait que c’est pour services rendus ».

Faut-il se surprendre que, dans un sondage mené à travers le Canada, une personne sur 10 estime que Mulroney dit la vérité sur sa relation d’affaires avec le marchand d’armes Karlheinz Schreiber ? À l’inverse, trois personnes sur dix ont tendance à croire en la version de l’homme d’affaires germano-canadien, qui est recherché par la justice allemande pour corruption, fraude et évasion fiscale. Au Québec, quatre personnes sur 10 (38 pour cent) ne croient pas Schreiber. Pire encore, 60 pour cent d’entre elles n’accordent pas leur confiance à M. Mulroney (sondage Harris/Décima La Presse Canadienne).

En novembre 2007, l’ex-premier ministre, Brian Mulroney, déclarait : « J’en suis venu à la conclusion que pour régler cette question et exposer tous les faits et le rôle joué par toutes les personnes impliquées, des fonctionnaires aux responsables élus, des lobbyistes aux autorités policières, ainsi que les journalistes, la seule solution pour le gouvernement est de lancer une commission d’enquête publique en bonne et due forme ». En décembre 2007, le même ex-premier ministre déclare maintenant : « J’ai demandé (l’enquête) pour démontrer mon innocence (…) mon innocence complète. J’ai demandé une commission d’enquête royale sur cela. Mais lorsque vous regardez ce qui est arrivé maintenant, les preuves que vous avez (…) Je crois qu’il est clair que nous avons une situation bien différente sur les bras ». Il n’y aurait plus de nécessité de tenir une telle commission d’enquête.

Un éditorialiste du Soleil de Québec écrit : « Les explications alambiquées ne suffisent pas. Et c’est bien dommage, car Brian Mulroney a été un très grand premier ministre canadien, tout particulièrement par sa détermination sincère de ramener les Québécois dans le giron constitutionnel dans l’honneur et l’enthousiasme. Mais l’homme d’État a malheureusement et irrémédiablement entaché son impressionnante feuille de route avec ses gros billets échangés dans des contextes douteux ».

Il convient de donner la parole aux Anciens : « Donnez tout pouvoir à l’homme le plus vertueux qui soit, vous le verrez bientôt changer d’attitude » (Hérodote).

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