Au cours de la semaine, la CIA a été informée que le New York Times rendrait public, vendredi, le fait que l’agence américaine a, en 2005, détruit deux enregistrements d’interrogatoires musclés afin d’éliminer des preuves de torture. Face à cette information, le directeur de la CIA, Michael Hayden, a précédé, jeudi 6 décembre, le quotidien new-yorkais en admettant publiquement que son agence avait bel et bien détruit plusieurs enregistrements d’interrogatoires sensibles. Cette question des tortures ne cesse de poursuivre inlassablement la CIA, tant les dénégations et les mensonges, qui entourent cette ténébreuse affaire, sont nombreux. Le sénateur Edward M. Kennedy a qualifié ces révélations de « cover-up ».
Dans un mémo adressé jeudi au personnel de l’agence américaine de renseignement et pour « prévenir le risque que des faits soient mal interprétés » devant l’imminence des révélations du NYT, Michael Hayden reconnaît que : « l’agence a détruit ces enregistrements après avoir déterminé qu’ils n’avaient plus de valeur en terme de renseignement et qu’ils n’avaient pas de lien avec des enquêtes internes, législatives ou judiciaires en cours, dont le procès du (Français) Zacarias Moussaoui ». Cette version n’est pas celle qu’avancent le New York Times et la BBC. Pour le journal, ces enregistrements remettent en cause les techniques utilisées par la CIA pour mener les interrogatoires. La BBC soutient que les agents auraient effectivement eu recours à la torture. Dans sa version des faits, le New York Times, dont la version française a été relayée par le Courrier international révèle que : « Les enregistrements ont été détruits notamment parce que les officiers étaient inquiets de ce que des vidéos montrant des méthodes d’interrogatoires dures pourraient créer un risque sur le plan légal pour les employés de la CIA ».
Le quotidien américain affirme de plus que des vidéos, enregistrées en 2002 par des membres des services secrets américains, « montraient des agents de la CIA soumettant des suspects de terrorisme, notamment Abou Zoubaydah à des techniques d’interrogatoire musclées ». C’est ce même Abu Zubaydah qui avait dénoncé, en 2002, Ramzi Binalshibh, supposé complice des attentats du 11 septembre. Mark Mazzetti, du New York Times, s’appuyant sur plusieurs sources anonymes, poursuit : « Ces enregistrements ont été détruits parce que les officiers étaient inquiets que des vidéos montrant des méthodes d’interrogatoire dures pourraient créer un risque sur le plan légal pour les employés de la CIA ».
Amnesty International considère, dans un communiqué, que cette démarche est « une obstruction à la justice et une dissimulation de preuve ». Pour Amnesty : « si les cassettes contenaient des preuves de comportement criminel, elles auraient exposé ceux qui étaient impliqués à des poursuites pénales ». Le sénateur démocrate Dick Durbin abonde dans le même sens : « Les États-Unis d’Amérique, le pays où l’État de droit est vénéré, s’occupe maintenant de détruire des preuves, des preuves d’une nature particulièrement sensible, des preuves qui auraient dû être préservées pour la justice et pour l’histoire ». La lettre du sénateur Durbin, au nouveau ministre de la Justice, Michael Mukasey, demande de déterminer si des officiers de la CIA ont volontairement soustrait des informations portant sur l’existence de ces bandes vidéo à la connaissance d’une commission d’enquête sur les attentats du 11-Septembre et à un tribunal fédéral. En réponse au sénateur, le département américain de la Justice a annoncé samedi avoir ouvert une enquête préliminaire. « Le département de la Justice et la CIA ont annoncé aujourd’hui que la division ’sécurité nationale’ du département avait ouvert une enquête préliminaire, conjointement avec les services de l’inspecteur général de la CIA, concernant la destruction des enregistrements d’interrogatoires », a déclaré le porte-parole du département de la Justice, Brian Roehrkasse.
Mark Mazzetti, du New York Times, a tout lieu de s’interroger sur cette façon de faire de l’Agence américaine : « La destruction de ces enregistrements pose la question de savoir si des membres de la CIA ont dissimulé des informations au Congrès, aux tribunaux et à la Commission du 11-Septembre sur certains aspects de son programme ». Le journaliste poursuit : « Dans sa déclaration au personnel, le général Hayden a assuré que l’Agence avait agi « conformément à la loi » et qu’il avertissait les salariés « parce que la presse en avait eu vent ». D’après le général Hayden, ces vidéos représentaient un « risque grave en matière de sécurité ». Si elles avaient été rendues publiques, elles auraient exposé des agents « et leurs familles à des représailles de la part d’Al-Qaida et de leurs sympathisants ». Il a par ailleurs déclaré officiellement que les informations obtenues dans le cadre du programme de détention et d’interrogatoires de la CIA avaient constitué la meilleure source de renseignements pour les opérations contre le réseau terroriste ».
Le président Georges W. Bush « n’a pas souvenir d’avoir été avisé de l’existence de ces bandes ou de leur destruction avant la journée d’hier » quand il a été informé par le directeur de la CIA, le général Michael Hayden, a dit, devant la presse son porte-parole, Dana Perino. En septembre 2007, le grand patron de la CIA déclarait : « Les individus que nous détenons nous ont fourni tout un tas de nouveaux éléments du puzzle dans la recherche de suspects et dans la prévention de nouveaux attentats. Ces programmes sont très ciblés et très sélectifs. Ils ont été mis en œuvre pour les terroristes (présumés) les plus dangereux et ceux qui sont censés avoir les informations les plus importantes, telle que la connaissance d’une nouvelle attaque ».
En juin 2007, le sénateur suisse Dick Marty révélait, dans un nouveau rapport sur les prisons secrètes de la CIA, que l’agence de renseignement américaine possédait des centres de détention en Pologne et en Roumanie de 2003 à 2005 où elle interrogeait des personnes soupçonnées d’activités terroristes. « Le plan de la CIA visait à exporter la lutte antiterroriste hors des frontières des États-Unis pour l’affranchir des contraintes légales imposées par la loi américaine ». Le sénateur suisse déclarait même, à l’époque, que : « les terroristes présumés enlevés puis torturés et séquestrés dans des États voyous comme la Syrie ne disposent ni du droit civil ni du droit de guerre. Ils sont devenus encore plus dangereux, car ils ont bénéficié ainsi d’un mouvement de sympathie dans certains milieux ».
Jane Mayer, journaliste à l’hebdomadaire The New Yorker, publiait, dans l’édition du 13 août 2007, un reportage complet sur les prisons secrètes de la CIA et sur ses méthodes durant les interrogatoires. L’enquête passe en revue les pratiques de la CIA pour amener les suspects à révéler des renseignements utiles contre le terrorisme et cela, dans le cadre du programme SERE (survie, évasion, résistance et s’échapper). Dans l’inventaire des tortures pratiquées par la CIA, et répertoriées par la journaliste Jane Mayer, il y a la noyade, la privation de sommeil et de nourriture, l’isolation totale, y compris sensorielle, la soumission à des températures extrêmes, l’enfermement dans des cages qui ne permettent pas de se tenir debout ou, au contraire, le maintien dans une station verticale durant des périodes prolongées, la diffusion de musiques brutales ou de bruits qui évoquent des films d’horreur et les humiliations sexuelles. Certains détenus seraient ainsi restés nus durant plus d’un mois. Malgré cette impressionnante panoplie, la journaliste révèle que les agents de la CIA ont rencontré une difficulté de taille. En brisant ainsi la personnalité des prisonniers, la CIA les a amenés à confesser des actes qu’ils n’avaient, selon toute vraisemblance, pas commis.
Parallèlement à cette avalanche de révélations qui sont loin de faire honneur aux droits humains, le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies, qui doit reprendre ses travaux du 10 au 14 décembre 2007, se penchait, lors de la sixième session de ses travaux (5 octobre 2007), sur la détention arbitraire et décidait de proroger d’une nouvelle période de trois ans le mandat du Groupe de travail sur les détentions arbitraires. Le Conseil réinvitait par la même occasion les États membres à « prendre les mesures appropriées pour veiller à ce que leur législation, leur réglementation, et leurs pratiques restent conformes aux normes internationales pertinentes et aux instruments de droit international pertinents applicables ». Le conseil recommandait à ces mêmes États : « de respecter et de promouvoir le droit de quiconque se trouve arrêté ou détenu pour un motif pénal à être présenté rapidement à un juge ou à un autre responsable autorisé par la loi à exercer des pouvoirs judiciaires et à avoir droit à un procès dans un délai raisonnable ou à être libéré ». Enfin, le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies incitait à nouveau les États : « à respecter et à promouvoir le droit de quiconque se trouve privé de sa liberté par arrestation ou détention d’introduire un recours devant un tribunal, afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale, conformément à leurs obligations internationales ».
Il est intéressant de revoir cette pièce d’anthologie d’une entrevue qu’accordait le président Georges W. Bush au reporter Matt Lauer et l’insistance qu’il mettait à justifier son action contre le terrorisme.
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