Après avoir félicité Vladimir Poutine pour avoir remporté – dans un effroyable doute sur l’honnêteté du processus électoral – une victoire éclatante aux législatives de décembre, Nicolas Sarkozy se dit heureux, et il l’a manifesté à son hôte, de recevoir le guide de la révolution libyenne, le colonel Muammar Al-Kadhafi. Deux faits marquants qui ont précédé, ce lundi, la Journée mondiale des droits de l’homme. La Ligue des droits de l’Homme (LDH), de France, n’a pas manqué de souligner ce fait : « la France officielle, méprise cet héritage ».

Le blog Backchich présente en ces termes l’arrivée du guide de la révolution libyenne, Mouammar Kadhafi, en sol français : « Aujourd’hui, c’est donc décompléxés et libérés du problème Chirac que les Libyens serinent que si la France accepte de marcher avec la Jamahiriya en Afrique, toutes les portes seront grandes ouvertes aux entreprises hexagonales ». Et Backchich cite cette remarque percutante d’Abdel Ati al-Obeïdi, l’un de ses proches conseillers en charge du département Europe au sein du ministère des Affaires étrangères : « nos amis français doivent savoir que l’économique passe chez nous nécessairement par le politique et non le contraire ». Et Al-Obeïdi d’ajouter : « nous espérons que le président Sarkozy l’a compris et agira en conséquence de cette réalité ».

Au sommet UE-Afrique de Lisbonne, le nouveau « converti » des salons diplomatiques internationaux, Mouammar Kadhafi, n’a pas manqué – une fois de plus – d’attirer l’attention sur sa personne. Pour le colonel Kadhafi : « les forces coloniales doivent dédommager les peuples qu’elles ont colonisés et dont elles ont spolié les richesses ». Le commissaire européen au Développement, Louis Michel, s’est fait fort de lui répondre du tac au tac : « Les colonisateurs ont déjà payé des sommes considérables pendant des décennies ». Et de poursuivre : « ces sommes n’ont pas toujours été utilisées au mieux. Et on continue, donc on n’a pas de leçon à recevoir de ce point de vue ».

Comme l’indique notre collègue, Bruno Fay, sur son blog Enquêtes, reportages et autres subtilités : « À 62 ans, le Colonel Muammar Al-Kadhafi affirme à qui veut l’entendre qu’il est un homme nouveau. Après avoir financé la plupart des attentats terroristes qui ont ensanglanté la planète depuis sa prise de pouvoir en Libye en 1969, le dictateur se présente désormais comme l’apôtre de la paix dans le monde ». Et c’est en apôtre de la paix que le guide de la révolution libyenne a déclaré au sommet UE-Afrique de Lisbonne: « Aujourd’hui, tous les peuples ont peur. Après la Seconde Guerre mondiale et la création de l’ONU, nous pensions que nous allions vivre en paix, mais les espoirs que nous avions mis dans l’ONU sont en train de disparaître ». Et cet invité d’honneur de la France, à quelques heures de son arrivée dans la capitale, a ainsi justifié le terrorisme : « Les superpuissances ont violé la légitimité internationale, le droit international et les Nations unies, et ont exécuté leurs décisions en dehors de ce cadre et donc il est normal que les faibles aient recours au terrorisme ». Le cher guide s’adressait à un aréopage de 400 professeurs et étudiants.

Samedi, dans la salle de conférences du sommet UE-Afrique, le président Nicolas Sarkozy lui a manifesté sa joie de le recevoir à Paris. Pourquoi pas ? Comme l’a indiqué le président : « Si nous n’accueillons pas des pays qui prennent le chemin de la respectabilité, que devons-nous dire à ceux qui prennent le chemin inverse? », qui s’est fait fort d’ajouter aussitôt : « Je souhaite que cette visite soit un succès, que nous arrivions à signer un certain nombre d’accords économiques ». Force est d’admettre que, pour la France, Muammar Al-Kadhafi n’est plus le « chien enragé » que lui avait généreusement attribué Ronald Reagan aux temps où le guide régnait sur le terrorisme international. Pour un comportement jadis trébuchant, rien ne vaut aujourd’hui les pièces sonnantes et trébuchantes.

Les « affaires » sont au rendez-vous. Selon le fils du guide, Seif el-Islam : « Tripoli pourrait acheter pour “plus de trois milliards d’euros” d’avions Airbus, un réacteur nucléaire et de “nombreux équipements militaires ». Il y a là motifs à quelques silences sur des indélicatesses du passé. Pourtant, des voix s’élèvent pour redire tout haut que cette visite – malgré les retombées économiques évidentes – est marquée d’un faste fort déplaisant. En réalité, selon l’Élysée, la France a signé ce lundi avec la Libye pour l’équivalent de plus de 14,8 milliards $ de contrats. D’autant plus que la Libye s’est engagée à entrer en négociation exclusive avec la France pour acquérir des équipements dans le cadre de contrats d’État à État, a rappelé l’Élysée.

Le Dauphiné Libéré résume assez bien cette ambigüité de la diplomatie française qui oscille entre « le cœur et la raison », ou encore entre « la morale et le tiroir-caisse. […] C’est dans cette éternelle France à deux faces qu’arrive aujourd’hui l’embarrassant visiteur, constate le journal, conspué par beaucoup, salué par quelques-uns. Ce pays Janus qui entretenait de bonnes relations avec Ceausescu au temps de De Gaulle ou de Pompidou, avec Khomeiny hébergé par Giscard ou avec le général Jaruzelski sous Mitterrand. Kadhafi parade et l’histoire bégaie », constate Le Dauphiné.

Irritation profonde chez Bernard-Henry Lévy : « Dans le pays des droits de l’homme, il y a là quelque chose qui ne passe pas. On n’invite pas en visite d’État un grand terroriste et un preneur d’otages international comme Khadafi. Je suis très choqué. Une visite d’état, peut-être les drapeaux sur les Champs Élysées, on nous parle d’une visite, un recueillement, sur la tombe du général de Gaulle à Colombey les-Deux-Églises, on rêve ».

Monsieur Kadhafi est arrivé en France le jour même de la Journée mondiale des droits de l’homme. Irritation profonde de secrétaire d’État aux droits de l’homme, Rama Yade. « Le colonel Kadhafi doit comprendre que notre pays n’est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort », a-t-elle déclaré pour être aussitôt convoquée à l’Élysée. Pierre Moscovici, de l’opposition socialiste, s’est indigné de la « cacophonie » gouvernementale. « Soit madame Yade pense ce qu’elle dit » et « elle s’en va », soit « elle se tait », a lancé le député, en écho à la célèbre formule de Jean-Pierre Chevènement, « un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ». Pour le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéan, Rama Yade - elle aura 31 ans jeudi - a exprimé une « sensibilité, pas la voix de la France ».

Au sein de la majorité, la candidate UMP à la mairie de Paris, Françoise de Panafieu, a salué cette réaction de Rama Yade qui avait, également, reçu au préalable un appui de Bernard Kouchner qui se disait tiraillé : « Je suis résigné à le recevoir. C’était une nécessité […] parce que, militant des droits de l’homme, mais ministre pour l’heure, c’est une contradiction que je rencontre tous les jours avec bien des pays ». Le ministre Kouchner se veut un pragmatique : « Demandez aux Français si les milliers d’emplois que représentent ce que j’espère être les contrats qui vont venir, doivent être négligés dans un temps difficile ». Présent à Bruxelles pour une réunion avec ses homologues européens, Bernard Kouchner n’a pu être présent au dîner lundi soir en l’honneur de M. Kadhafi. M. Kadhafi, qui doit séjourner en France jusqu’à samedi, doit se rendre en Espagne où il rencontrera le chef du gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero. Il sera alors intéressant de comparer la longueur des poils des tapis rouges de la diplomatie.

Monsieur Moscovici considère qu’on aurait pu commercer avec la Libye sans pour autant dérouler le tapis rouge. « Nicolas Sarkozy vient de tourner le dos à ses promesses de campagne sur la priorité donnée aux droits de l’Homme dans les relations internationales », a déclaré le député socialiste Moscovici. Ce que nie le président Sarkozy qui affirme ne pas transiger avec les droits de l’Homme, tout en mettant en avant son pragmatisme, notamment à l’occasion de sa visite en Chine, dont il avait ramené pour 20 milliards d’euros de commandes. Enfin de soirée, le président de la France, dressant le bilan de son premier entretien avec le guide de la révolution, a révélé avoir dit au président Kadhafi combien il fallait continuer à progresser sur le chemin des droits de l’homme, dans tous ses aspects, tout ce qu’il restait à faire. « La défense des droits de l’homme, ce ne sont pas des pétitions de principe entre soi, ce sont des résultats », a déclaré Nicolas Sarkozy. Monsieur Kadhafi a exigé des mesures très strictes de sécurité pour sa brève visite aujourd’hui à l’Assemblée nationale. Pour sa visite au Palais-Bourbon, le nouveau Kadhafi, qui a en vain réclamé de pouvoir se rendre dans l’hémicycle, a demandé que les journalistes soient tenus à l’écart et que seule une caméra de télévision (celle des services de l’Assemblée) puisse immortaliser l’événement. M. Kadhafi sera présent dans l’enceinte du Palais-Bourbon pendant une heure. Cette réception en l’honneur de M. Kadhafi sera boycottée par les députés de gauche.

Monsieur Sarkozy n’est pas sans ignorer les déclarations du fils, Seif el-Islam, selon qui : « Dans dix ans, la Libye sera le pont entre l’Europe et l’Afrique. Elle adhérera à l’Organisation mondiale du commerce. Ce sera un pays moderne, avec des infrastructures modernes, un produit national brut élevé. Ses citoyens auront le meilleur niveau de vie de la région ». Tout en poursuivant : « Nous devons être un pays fort, heureux, riche et moderne ». Il se déclare favorable au projet français d’Union de la Méditerranée, projet cher au président de la France, « tant qu’elle n’inclut pas Israël ».

« Refus d’inclure, c’est exclure » ? Je m’interroge : « … tant qu’elle n’inclut pas Israël » équivaut bien à exclure Israël ? Nicolas Sarkozy sera l’invité d’honneur en février du dîner annuel du CRIF où il prononcera un discours. Il faudra voir quelle vision il donnera des relations de la France avec Israël après tous ces « flirts ». Lors de sa visite en Algérie, dans son discours devant les étudiants de l’université de Mentouri à Constantine, le président français, Nicolas Sarkozy, avait affirmé que l’absence d’un État palestinien était « une injustice que la France ne tolérerait pas ».

Selon Reuters, le président français a déclaré au sommet UE-Afrique de Lisbonne : « Voilà qu’après avoir été l’homme du lobby juif je suis l’homme du lobby arabe. Voilà que j’étais trop pro-israélien hier et que maintenant je suis trop pro-arabe », a-t-il ajouté. « La vérité, c’est que la France parle avec tout le monde ». La visite du Muammar Al-Kadhafi l’illustre trop bien. Et le président Sarkozy, qui se veut un pragmatique - il le répète à l’envi - en a fait la démonstration dans son bilan à l’issue de ce premier tête-à-tête avec Kadhafi : « C’est bien beau les leçons de droits de l’homme et les postures entre le Café de Flore et le Zénith. Mais ces postures, elles ont laissé pendant huit ans les infirmières bulgares et depuis cinq ans Mme Betancourt. C’est bien beau le principe qui consiste à ne pas se mouiller, à ne prendre aucun risque, à rester sur son quant-à-soi, à ne discuter avec personne, à être tellement certain de tout ce à quoi on pense en prenant son café crème boulevard Saint-Germain. Ce n’est pas comme ça que je veux défendre les droits de l’homme ».

____________________________