Deux fois plutôt qu’une. Les circonstances et les déclarations l’y obligent.

Mouammar Kadhafi à Paris fait des vagues. Il suffit de parcourir rapidement les médias pour s’en convaincre. La gauche socialiste a refusé de cautionner la présence du guide de la révolution libyenne à l’Assemblée nationale en s’absentant. Comme dans le passé, le colonel Kadhafi aime bien contredire ses « amis ». Nicolas Sarkozy a-t-il évoqué les droits de l’homme en sa présence ? Que non pas : « nous sommes des amis assez proches. Nous coopérons. Nous avons évoqué les questions de coopération entre les deux pays. Nous avons évoqué tous ces contrats dans tous les domaines et dans l’intérêt des deux pays, la coopération euro-africaine, l’union méditerranéenne, idée proposée par le président Sarkozy, la coopération des deux côtés de la Méditerranée ». Toutefois, profitant de l’occasion qui lui en était offerte, Kadhafi n’a pu s’empêcher d’ajouter qu’il n’y a pas un seul prisonnier politique en Libye et qu’aujourd’hui, la question des droits de l’homme ne se pose pas. À cela d’aucuns n’hésitent pas à affirmer que, de toute façon, durant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait déjà exprimé sa volonté de rompre avec la diplomatie française complaisante de la France à l’égard des droits de l’Homme.

« Avant de parler des droits de l’homme, il faut vérifier que les immigrés bénéficient chez vous de ces droits », a déclaré Kadhafi, selon la traduction en français de son discours prononcé en arabe. « Nous sommes dans le pays qui parle des droits de l’Homme. Y-a-t-il certains de vos droits qui ne sont pas appliqués? », a demandé le dirigeant libyen en s’adressant à ses « frères africains immigrés » présents dans le grand amphithéâtre du siège de l’Unesco. « Nous sommes l’objet d’injustices. Notre continent a été colonisé, nous avons été réduits en esclavage, déplacés dans des navires comme du bétail. Aujourd’hui nous travaillons dans le bâtiment, dans la construction de routes (…). Après tout cela, nous sommes envoyés dans les banlieues et nos droits sont violés par les forces de police. Les Africains immigrés sont considérés comme des marginaux, des nécessiteux. Ils expriment leur colère parfois par la violence, allument des incendies. Je réprouve la violence, mais ceux qui expriment leur mécontentement vivent des situations difficiles en Europe, cela mérite qu’on y réfléchisse », a poursuivi Kadhafi.

Lors de son passage à l’Assemblée nationale française, Kadhafi a partagé, avec quelque trente parlementaires qui ont bien daigné le tenir pour fréquentable, sa vision de l’Afrique et du Proche-Orient. Le Darfour ? Le guide de la révolution libyenne a son point de vue sur la question : « Si nous laissons les habitants du Darfour se débrouiller eux-mêmes, la crise du Darfour se terminera d’elle-même ». « Les pauvres souhaitent que la guerre se poursuive pour que l’aide humanitaire se poursuive ». Pure question domestique, selon le guide libyen : 600 000 morts, 4 millions de déplacés, 3 millions de personnes dans des camps de réfugiés qui s’étendent jusqu’au Tchad, depuis la reprise du conflit en 2003. Plus simple de rejeter ainsi toute « internationalisation » du dossier du Darfour que de voir débarquer la force mixte ONU-Union Africaine de 26.000 hommes près de ses frontières. La réplique de l’Élysée n’a pas tardé. « La solution ne peut qu’être internationale. Il faut bien les aider », a commenté Claude Guéant, secrétaire général de la présidence. Tout en ajoutant cependant que : « il n’y a guère qu’en interne qu’on trouvera une solution ».

Pendant que Kadhafi discourait devant un aréopage de l’Assemblée nationale française, le président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, remettait à l’avocat et député soudanais, Salih Mahmoud Osman, le prix Sakharov. L’Assemblée parlementaire remet chaque année le prix Sakharov à une personne ou une organisation pour son action contre l’oppression, l’injustice et l’intolérance. « Depuis des années, dans mon travail, j’ai représenté des milliers de personnes qui avaient besoin de mon aide devant les tribunaux. J’ai vu des milliers de personnes qui ont été torturées ; j’ai vu des centaines de femmes et de jeunes filles victimes d’abus sexuels ; j’ai vu les quatre millions de personnes déplacées de force de leurs maisons », a déclaré M. Salih Mahmoud Osman lors de la cérémonie. Pour sa part, le président Hanz-Gert Pöttering a, par la même occasion, déclaré, au nom du Parlement européen, que : « si une solution de pacification au Darfour doit passer par l’envoi de troupes européennes, nous le ferons ».

Un état palestinien ? « Il n’est pas possible de créer deux États dans la région. Les Palestiniens et les Israéliens sont intégrés sur le terrain. Ce n’est pas faisable de les séparer. Il n’y a plus de partie du territoire qui soit arabe pur ou israélien pur, si je puis dire. Les deux peuples sont mélangés. Ils vivent dans la même région, ils ont la même culture et les liens qui les unissent sont plus importants que ceux qui les séparent ». Et le Colonel lâche le fin mot de l’histoire : « Les efforts doivent converger pour créer un seul État. Ce qu’on appelle Israël est un pays où il y a des Israéliens et des Palestiniens, où il y a plus d’un million de Palestiniens ».

Dans son discours devant les étudiants de l’université de Mentouri à Constantine, Nicolas Sarkozy, avait affirmé que l’absence d’un État palestinien était « une injustice que la France ne tolèrerait pas ». Sarkozy avaitsuggéré que la création d’un État palestinien permettrait de lutter contre le terrorisme. Du même souffle, Nicolas Sarkozy avait dit que : « la France considérait que le refus de reconnaître qu’Israël avait le droit de vivre en sécurité était une autre injustice ».

Il convient en conclusion de rester réaliste. La France n’est pas le premier pays à recevoir Kadhafi : le guide avait auparavant été reçu à Bruxelles par l’Union européenne. Il se rendra, après Paris, en visite officielle, en Espagne le 17 décembre, où il sera reçu par le chef du gouvernement socialiste José Luis Rodriguez Zapatero. Il rencontrera le roi Juan Carlos. Mais les deux premiers jours de sa visite auront un caractère privé. Il se rendra probablement à Cordoue et Grenade. Ce ne sera pas sa première visite en Espagne puisque Kadhafi avait, en 1984, effectué une visite diplomatique où il avait rencontré, à l’époque, le Premier ministre Felipe Gonzalez.

(Sources : AFP, Presse Canadienne, Reuters)

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