La question se pose : pourquoi ce faste autour de l’ex-dictateur Kadhafi ? La réponse est simple : la France a basculé dans la diplomatie « spectacle ». À l’image de son président. En l’absence de son premier ministre. La France s’est livrée à une « star-ac » diplomatique. Elle en récolte les résultats. Bien mérités.
Cinq mois après la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien, obtenue par la France et l’Union européenne (UE), la France s’est livrée – avec une réelle indécence – à un triste événement qui n’a pas rehaussé sa réputation diplomatique dans le monde. Mouammar Kadhafi, débarquant avec son cirque, sa tente, ses amazones, est venu ridiculiser, contredire, humilier et manipuler son président, Nicolas Sarkozy. Qui a tombé, tel un néophyte, dans le piège du clinquant au mépris des règles de la diplomatie. S’agissant de Kadhafi, Sarkozy a eu cette réplique : « il a sa personnalité, il a son tempérament, ce n’est pas moi qui vais le juger ». Cela était pourtant nécessaire de le faire avant d’engager la France dans ce cirque médiatique de mauvais goût et d’une profonde vulgarité. Voyez simplement cette photographie du Rais libyen, coiffé à la « russe », visitant Versailles, entouré de ses amazones.
Près de 81% des Français ont approuvé les propos critiques exprimés par la secrétaire d’État aux droits de l’Homme, Rama Yade, avant l’arrivée du colonel Kadhafi. Interrogés sur la politique étrangère du président Nicolas Sarkozy, 54 % des personnes sondées se déclarent satisfaits de la façon dont elle est menée, tandis que 44 % font part de leur mécontentement. Mais les Français sont 51 % à juger que la politique étrangère de Nicolas Sarkozy ne tient pas compte des droits de l’homme, contre 46 % à penser l’inverse (Le Monde). « C’est bien beau le principe qui consiste à ne pas se mouiller, à ne prendre aucun risque, à rester sur son quant-à-soi, à ne discuter avec personne, à être tellement certain de tout ce à quoi on pense… Ce n’est pas ce que je souhaite, ce n’est pas comme ça que je veux défendre les droits de l’homme », avait soutenu Nicolas Sarkozy en réponse au tollé de protestations sur sa vision des droits de l’homme.
Fils d’un navigant, Clément Mauboussin dénonce une « provocation » et se dit « en colère de voir le terroriste qui a tué [son] père reçu en grande pompe ». Le père de monsieur Mauboussin est l’une des victimes de l’attentat perpétré le 19 septembre 1989 contre un DC 10 d’UTA. Nicolas Sarkozy a reçu jeudi soir à l’Élysée la délégation des proches des victimes de l’attentat du DC-10. « Ils m’ont dit : « cette visite était douloureuse pour nous mais elle était nécessaire ». Je voudrais lancer cet exemple de dignité et de responsabilité à tous ceux qui ont réagi avec excès et sans responsabilité à la venue du dirigeant libyen en France », a déclaré le chef de l’État. Était-ce excès ou modération ces propos de Rama Yade à l’endroit du guide de la révolution libyenne : « Le colonel Kadhafi doit comprendre que notre pays n’est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou pas, peut venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits » ? Fait à noter, depuis ces déclarations, madame Yade s’est rangé du côté du gouvernement et a atténué la férocité de son intervention contre le guide de la révolution libyenne. Conviction ou devoir de réserve ?
Et que dire des déclarations d’un Bernard Kouchner complètement déstabilisé : « Cette évolution est suffisamment importante pour que nous ayons pu juger, pratiquant une diplomatie de la réconciliation, que c’était suffisant au moins pour qu’il nous visite (…) Lorsqu’il a dit que le terrorisme était l’arme des pauvres, ça n’était pas suffisant. La pauvreté pousse parfois au terrorisme, mais justifier le terrorisme (…) nous le condamnons (…) Lorsqu’il a dit qu’il n’était pas pour des accords de paix entre Israël et la Palestinienne, il a eu tort. Lorsqu’il a parlé des droits de l’Homme ici, c’est-à-dire des droits de l’Homme dans notre pays et en Europe, c’était assez pitoyable et nous le condamnons » ?
Le raisonnement binaire – sans nuances – de Nicolas Sarkozy est consternant : « Si on traite de la même façon quelqu’un qui fait le chemin de l’abandon du terrorisme, de l’abandon de l’arme nucléaire, que ceux qui continuent le terrorisme et l’arme nucléaire, alors on se met dans une situation de guerre des civilisations, qui est la pire des solutions pour le monde et pour sa stabilité ». S’ouvrir ne veut pas dire s’abandonner sans discernement. Au terme des analyses à venir, la population finira par comprendre qu’il n’y a plus de profondeur dans la diplomatie française. Là où tout n’est maintenant que commerce extérieur en lieu et place des relations extérieures.
Cité par le Courrier international, le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung note que la conscience française, les intellectuels du pays, tarde à se faire entendre. « La pilule est dure à avaler pour ceux qui avaient soutenu le candidat Sarkozy, tel André Glucksmann. Jamais on ne les a aussi peu entendus. L’empressement du président français à féliciter Vladimir Poutine pour sa victoire aux élections parlementaires russes a déjà été une « déception » pour le philosophe. Aujourd’hui, il juge désastreux que Kadhafi se voit offrir une tribune politique à l’Élysée et à l’Assemblée nationale. Les intellectuels français comme Glucksmann étaient habitués à voir réagir les hommes politiques à leurs protestations. Le mépris et la suffisance de Sarkozy bousculent leurs vieux schémas ». Personne parmi ceux qui, ici et là, crient au scandale n’a jugé utile de condamner les projets de ventes d’armes à la Libye, note l’Humanité.
Daniel Schneidermann, l’analyste des médias bien connu en France, conclut ainsi, dans Libération, le bilan Sarkozy-Kadhafi : « Pour la première fois, on aura vu Sarkozy immobile, et silencieux. On l’aura soudain découvert tétanisé, écrasé, étrangement terrassé par plus décomplexé que lui. Comme s’il était impossible de lutter contre la longue limousine blanche, contre les extravagances, contre le culot d’acier (« mais non, nous n’avons pas du tout évoqué les droits de l’homme, entre amis, on n’aborde pas ces sujets »), contre cette exubérance visuelle. Battus, remisés, banalisés, les Rolex, les Ray Ban, le Fouquet’s, les Clavier, les Reno, les Hallyday, les Macias, le yacht de Bolloré, les joggings à Malte ou à New York, les Tee-shirts made in USA, l’annexion de Brégançon et de la Lanterne, l’augmentation de salaire de 173 %, la villa américaine, les hamburgers avec Bush, le divorce spectacle. Quant à la fringante escouade d’amazones sarkoziennes, les Lagarde, les Dati, les Yade, les Amara, de si bel effet dans les dîners à la Maison Blanche et en couverture de Match, elles auront fait long feu contre leurs sublimes homologues en treillis patrouillant dans le parc de l’Hôtel Marigny ».
Aujourd’hui Le Maroc, dans son analyse de la visite Kadhafi en France, s’interroge sur Kouchner et son lamentable comportement : « La visite du Raïs libyen à Paris aura, sans conteste, été pour Bernard Kouchner le plus dur calvaire jamais vécu depuis que Nicolas Sarkozy a choisi de l’installer au Quai d’Orsay. Heureux de figurer, avec le président français, à Tripoli, sur la photo de la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien, le voilà qui a passé toute cette semaine libyenne à jouer les faux-semblants, à pratiquer le grand écart, à se glisser entre les ombres chinoises d’une diplomatie partagée entre l’irrésistible tentation du chéquier et l’incontournable exigence des droit de l’Homme et de la démocratie ».
Autre bon résultat pour les Affaires extérieures de la France. Le chef de la diplomatie libyenne, Abdelrahman Chalgham, a jeté un nouveau pavé dans la mare, vendredi, en attaquant directement Bernard Kouchner : « Comment un homme qui nous rend visite, qui mange avec nous, peut-il changer d’avis en arrivant à Paris ? », s’est interrogé Abdelrahman Chalgham. « C’est un homme gentil, mais je l’ai entendu à plusieurs reprises faire des déclarations le matin et se rétracter l’après-midi », a encore dit le ministre libyen. « Son absence n’a pas eu d’effet négatif sur la visite. S’il ne veut pas nous voir, nous non plus on ne veut pas le voir ». Michel Muller, de l’Humanité, note, avec à-propos, que : « On est aux antipodes d’une véritable politique étrangère française indépendante. Quoi qu’on en dise, cette visite ne contribuera pas à son rayonnement et son influence dans le monde arabe et encore moins à une paix véritable au Moyen-Orient ».
Et pour terminer le tout en beauté voilà que Le Monde remet en question les sommes faramineuses qu’a fait miroiter l’Élysée à la population française. Selon Le Monde, un haut fonctionnaire familier des négociations avec la Libye n’en revient toujours pas : « Je ne sais vraiment pas comment l’Élysée a pu parvenir à ce chiffre de 10 milliards d’euros ! » « Rien n’est signé! » Ce résumé d’un haut fonctionnaire vise l’ensemble des perspectives de contrats d’armement, la Libye s’étant simplement engagée à entrer dans une « négociation exclusive » à ce sujet avec la France.
La question finale, laissons-la à Eric Fottorino du quotidien Le Monde. « Il est dommage, et sans doute dommageable, que par son attitude exagérément compréhensive à l’égard des dirigeants autoritaires, Paris se démarque à l’excès de ses voisins de l’Union, de l’Allemagne en particulier. Angela Merkel, qui connaît les intérêts de son pays en Chine, n’a pas hésité à recevoir le dalaï-lama. Elle s’est abstenue de congratuler le président Poutine au lendemain des législatives du 2 décembre, et sa défense des droits de l’homme ne se veut pas discrète. « La politique étrangère de l’Allemagne est-elle plus morale parce que son économie est plus forte, et celle de la France plus mercantile parce que son économie est plus faible ? », se demandait l’expert en relations internationales, Dominique Moïsi, dans le Financial Times du 13 décembre. Question à méditer ». En effet.
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