Les ressortissants français de l’Arche de Zoé sont-ils abandonnés, au Tchad, par la France ? Après avoir été cloués au pilori par les représentants de leur gouvernement, comment peuvent-ils maintenant espérer obtenir un procès juste et équitable ? Est-ce le Tchad qui va leur donner ce droit à un procès juste et équitable ?
Voyons d’abord ce qu’en pense l’Ambassade de France au Tchad. Premier élément à retenir du communiqué officiel : « La France condamne avec la plus grande énergie les activités illégales qui ont été menées par l’Association « Children Rescue » au Tchad. Le Ministre des Affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner l’a dit hier soir avec force au chef de l’État ». Deuxième élément à retenir : « L’Association « Children Rescue » s’est rendue coupable, en abusant de la confiance des autorités tchadiennes et de celle des acteurs humanitaires qui font au Tchad un travail difficile et sincère, d’actes extrêmement graves dont elle devra maintenant assumer les conséquences ». Troisième élément à retenir : « Nous souhaitons, que cette affaire scandaleuse puisse trouver un dénouement satisfaisant pour les enfants concernés ». Qui mène l’enquête ? Comment, dans ce contexte, les ressortissants pourront-ils espérer être l’objet d’une enquête objective et d’un procès juste ? Le gouvernement tchadien juge donc avoir été trompé.
Ce que ne disent pas l’ambassade de France et le Quai d’Orsay :
Selon allAfrica.com, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) plaide en faveur de lois nationales qui criminalisent le trafic d’enfants depuis l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies, en 2000, du Protocole visant à prévenir, réprimer et punir le trafic des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants. Les conventions et protocoles internationaux engagent les États qui les ratifient, mais ces textes doivent être adoptés en tant que lois nationales pour être mis en application. Le Tchad n’a pas signé le Protocole, mais il est partie à plusieurs autres conventions internationales ayant trait à la traite des enfants, sous certains aspects. Il a notamment signé un accord multilatéral et un plan d’action régional contre le trafic de personnes, en particulier des femmes et des enfants, conçus en 2006 par plusieurs entités régionales représentant l’Afrique de l’Ouest et centrale. Malgré tout, les accords régionaux et internationaux n’ont pas été intégrés à la loi tchadienne. Selon l’ONUDC, seuls deux des 11 pays d’Afrique centrale - le Gabon et la Guinée équatoriale - disposent de lois spécifiques contre la traite d’enfants.
Selon plusieurs responsables tchadiens et représentants des Nations Unies, l’absence de loi en matière de traite d’enfants au Tchad est une entrave à la poursuite en justice de personnes accusées de ces crimes, un vide juridique qui vient d’être rappelé par l’arrestation au Tchad des membres d’une association française qui tentaient de faire sortir 103 enfants du pays pour les confier à des familles d’accueil en France. « Le chapitre [du code pénal] consacré aux enlèvements ne prévoit pas plus sévère sanction que celle que nous avons choisie », a expliqué Ahmad Daoud Chari, procureur de la République à Abéché.
Il faut louer la position mesurée et l’esprit d’analyse d’allAfrica dans cette affaire. Contrairement à une presse plus vindicative, comme nous le verrons.
Dans le cas du Tchad, les enfants auraient des parents. Si cette version se confirmait, il y a lieu de savoir si les enfants ont été emmenés avec le consentement de leurs parents ou s’ils ont été volés avec la complicité de mafieux locaux. En tous les cas, partout en Afrique, les adoptions d’enfants sont une pratique courante. Les structures de parrainage, d’hébergement et d’adoption pullulent sans qu’on ait à redire. Seuls quelques scandales, de temps en temps, viennent nous rappeler au souvenir de ces hommes et femmes qui se battent pour donner une nouvelle chance à des milliers d’enfants. Le problème dans l’affaire Arche de Zoé est lié surtout au caractère clandestin de l’opération et au nombre élevé d’enfants concernés.
Se pose la question de la réglementation en matière d’adoption. Les pays africains sont-ils suffisamment armés en la matière ? Ont-ils les moyens de suivre le processus d’adoption jusque dans le pays d’accueil ? Les États doivent pouvoir s’assurer que ces enfants auront une vie heureuse, loin de leur terre natale. Manifestement, ces précautions et ces mesures de vigilance ne semblent pas toujours de mise. Or, au regard du vieillissement de la population occidentale et de bien d’autres facteurs, le phénomène de l’adoption est appelé à connaître un essor fulgurant. Il est donc nécessaire que les États africains se dotent d’instruments juridiques pour parer à toute éventualité et éviter à l’avenir les opérations illicites du style Arche de Zoé.
allAfrica.com formule une crainte parfaitement justifiée : « la justice tchadienne doit parer au plus pressé, à savoir démêler l’écheveau de cette intrigante affaire des 103 enfants. Ce qui est loin d’être une sinécure au regard de l’immensité de la tâche. Identifier les enfants, retrouver leurs proches et comprendre les circonstances de leur “enlèvement”, tels sont les principaux défis qui attendent la justice. Il faut cependant craindre que les parents des enfants, s’ils sont vivants, ne soient influencés par la campagne de lynchage menée contre l’association française. En effet, de crainte d’être traités de pères indignes, ils n’accepteront jamais, dans ce climat lourd de chasse aux sorcières, d’avouer qu’ils ont remis volontairement leurs enfants à l’Arche de Noé. L’enquête, qui s’annonce longue, est donc rendue délicate et pourrait souffrir de la passion qui entoure l’affaire et des tentatives de récupération politique. En tout état de cause, il faut bien que la vérité éclate et peu importe la juridiction (justice tchadienne, française ou internationale) qui aura en charge le dossier ».
L’Espagne invoque le droit à la présomption d’innocence. Contrairement à l’Espagne, la France condamne ce qu’elle qualifie déjà d’activités illégales. Elle se dit même préoccupée par les réactions du président, le général Idriss Déby, face à cet incident regrettable dans les relations diplomatiques entre les deux pays. Madame Rama Yade répond à une question d’actualité à l’Assemblée nationale : « Quatre agents du Quai ont été dépêchés au Tchad pour renforcer le soutien consulaire et apporter une assistance humanitaire. Le président de la République, qui avait déjà condamné l’illégalité de cette opération, vient d’annoncer qu’il s’entretiendrait à nouveau avec son homologue tchadien. Les discussions se poursuivent dans le respect des procédures judiciaires ouvertes dans les deux pays ». La veille, la ministre Yade avait déclaré, devant la même Assemblée nationale : « A partir du moment où un responsable associatif décide d’agir en dehors des règles, il faut qu’il assume la responsabilité de ses actes. Les philosophes nous ont appris que la liberté suppose la responsabilité. La France sera naturellement aux côtés de ses ressortissants pour faire valoir leurs droits, en particulier ceux des journalistes qui ne faisaient là que leur métier. Le président de la République et M. Kouchner se sont entretenus avec le président tchadien. Les médecins, infirmiers et diplomates se sont rendus auprès des ressortissants français ».
Pour la ministre Yade, le Tchad n’est plus l’Afrique à papa. Son ambassade, au Tchad, annonce fièrement pourtant que la France y est présente sans interruption sur le territoire depuis 1986. Quel rôle se donne la France au Tchad ? Selon toujours l’ambassade : « Les éléments français au Tchad ont principalement pour vocation d’assurer la sécurité des ressortissants français, d’apporter un soutien à l’armée nationale tchadienne en contribuant à l’instruction et en apportant une aide matérielle aux différentes armées, de venir en aide à la population civile, sans se substituer aux administrations ou organisations gouvernementales compétentes en apportant notamment une aide médicale gratuite à tous ceux qui en expriment le besoin, de participer au soutien des opérations humanitaires ».
Sur la présence autre que militaire, l’ambassade nous informe que : « 1000 femmes et hommes sont présents en permanence sur le territoire de la République du Tchad, pour des séjours variant de un à six mois, (…) détachés des armées de terre et de l’air, de la gendarmerie nationale et des services communs (services de santé et des essences) ». Le Tchad n’est plus l’Afrique à papa, disait la ministre Yade.
Selon la Tribune de Genève, Eric Breteau, président de l’Arche de Zoé, qui était au Tchad, en septembre, aurait passé un accord avec le président Idriss Déby. À l’appui de cette thèse, l’interlocuteur de la Tribune avance que c’est le palais présidentiel qui a délivré l’autorisation d’atterrir au Boeing 747 affrété par l’Arche de Zoé. Abéché étant considérée comme une zone de guerre, il ne pouvait pas en être autrement. « L’avion n’aurait pas pu décoller puis atterrir sans un plan de vol directement approuvé par le président ».
En mai 2006, lors d’un discours à Tripoli en marge du dîner offert en l’honneur de la présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf, le guide Mouammar Kadhafi avait déclaré : « il ne faut pas se taire face aux violations graves perpétrées par des fonctionnaires onusiens, des responsables d’organisations humanitaires et de forces onusiennes opérant en Afrique, à l’encontre des enfants et filles du continent ». Selon une source officielle libyenne, le guide Mouammar Kadhafi a reçu, ces jours-ci, à Tripoli, le ministre d’État tchadien de l’Infrastructure de base, Adam Younousmi, qui lui a transmis un message du président Idriss Déby. Le président Déby informe le leader libyen que N’djamena prendra les dépositions juridiques contre cette organisation qui a pour slogan « Sauvez les enfants ». « Le monde a entendu parler de cette tentative perpétrée par l`organisation française qui opère au Tchad sous le couvert de l`action humanitaire, alors qu`elle se livre à ces actions avilissantes qui ont choqué le monde, le peuple tchadien et l`humanité au 21ème siècle, et que le président français a personnellement condamnées », a écrit le chef de l’État tchadien dans son message, selon cette même source libyenne.
Dans un entretien au quotidien espagnol El Pais, le ministre tchadien du tourisme, Ibrahim Ahmed Koulamallah, s’est fait le porte-parole d’une indignation générale au Tchad : « Les gens croient que tout est permis en Afrique. Dans ce pays musulman, le fait même d’adopter un enfant n’a aucun sens, la solidarité familiale étant la coutume. Derrière la sévérité très politique affichée par le président Idriss Déby depuis quelques jours, il y a la colère brute de l’homme de la rue qui s’estime volé. C’est très grave. On allait leur faire changer de culture, de religion, de famille, de tout. S’ils veulent vraiment aider, ils n’ont pas besoin d’emmener les enfants, ils peuvent le faire en les gardant dans notre pays et en nous aidant » a expliqué le ministre tchadien du tourisme.
Dans ce même entretien, le ministre Ibrahim Ahmed Koulamallah a déclaré : « Mon peuple est indigné. Les Occidentaux sont ceux qui sont supposés nous avoir appris le droit, les droits de l’Homme. Et maintenant, ils viennent chez nous violer ces droits ». « Tout le monde croit que l’Afrique est pauvre et tous en profitent, tout en disant qu’ils arrivent avec de l’aide humanitaire ».
Le site Internet Zomm sur le Tchad se réclame de la diaspora dont l’objectif est de faire mieux connaître le pays, qui est si l’on peut dire mal connu à l’étranger si ce n’est par son instabilité politique. Sa représentativité et son lectorat sont difficiles à évaluer. Sur l’affaire de l’Arche de Zoé, le site a formulé une opinion musclée qui n’est pas à l’honneur de la France : « La présence d’une base militaire française à l’Est du Tchad, son ingérence dans le conflit tchadien, son déploiement sur toute la zone lui assurant un contrôle absolu de tous les déplacements, tous ces éléments permettent de penser que des militaires français ont joué un rôle important dans ce vol d’enfants tchadiens en vue d’alimenter des réseaux de pédophilie et de trafic d’organes ».
Sur un ton nettement polémique, Zoom sur le Tchad attaque de plein fouet : « Devant l’émotion qu’a suscitée cette affaire sur le plan international et particulièrement en Afrique, beaucoup de personnes ont relevé le silence criminel des autres ONG. En premier les ONG tchadiennes, puis les ONG africaines et internationales : la RADDHO, FIDH, AMNESTY INTERNATIONAL et autres HUMAN RIGHT WATCH qui du matin au soir condamnent les Africains au nom des droits de l’homme et autres blablas, se sont unanimement tues au nom d’une espèce de solidarité dans l’horreur et surtout au nom de la sacro-sainte politique du ventre et du souci de préserver l’image des ONG. Elles sont prêtes pour cela à toutes les compromissions, question de survie ? Il est permis aujourd’hui de se demander si des enfants Tchadiens n’ont pas déjà été volés par petits groupes dans cette région, et qu’alléchés par la facilité de l’opération un gros coup ait été tenté par le vol de ces 103 enfants. Serait-il étonnant d’apprendre demain que le Rwanda, la RDC aient été, eux aussi victimes de ces ONG voleuses d’enfants ? C’est pour cela que l’identité, le parcours et les antécédents de ces criminels arrêtés au Tchad doivent être rendus publics ».
Même le président de la république n’échappe pas à la vindicte épistolaire du site Internet tchadien : « Nicolas Sarkozy a bien senti le flottement de sa Secrétaire d’État qui multiplie depuis 4 jours des points de presse. Aussi, est-il monté au créneau pour menacer, intimider et utiliser le poids de la grande France pour sortir du trou des criminels pédophiles et d’éviter ainsi à la France d’être éclaboussée et salie par cette affaire. C’est encore la preuve qu’il existe d’autres complicités et que le souci de Sarkozy est d’arrêter net cette affaire avant que les interpelés craquent et fassent tomber d’autres têtes ».
Et la conclusion de ce long réquisitoire se termine sur le même ton : « […] Sarkozy a bandé ses muscles pour nous terroriser, il nous menace, peut-être va-t-il recourir à l’arme nucléaire pour nous effacer de la surface de la terre ou bien ordonner à ses jaguars, qui sont déjà chez nous, de nous bombarder ou bien menacer de nous asphyxier financièrement, bref vous pouvez faire ce que vous voulez, mais nous Tchadiens nous dirons tout haut tout ce que nous connaîtrons sur cette affaire pour défendre nos enfants et nous appelons à la vigilance totale, car désormais derrière ces ONG de malheur se cachent des monstres ».
A quoi doivent s’attendre les ressortissants français au Tchad en matière de respect de leurs droits à un procès juste et équitable ?
Hassane Mayo-Abakaka répond, de New York, en partie à cette question sur ialtchad.com. Dans un premier, l’auteur fait remarquer que les Accords de réconciliation nationale transformés en intrigues politiques dilatoires sont utilisés pour tromper les populations tchadiennes et faire endormir la Communauté internationale. Ils sont rarement appliqués, ni suivis des engagements et décisions concrètes pouvant rassurer les signataires et restaurer la paix et la stabilité dans le pays. […] En second lieu, l’auteur fait remarquer que, sur le plan militaire, c’est un chaos indescriptible. L’Armée nationale tchadienne dans sa composante et son organisation n’existe que sous forme de bandes armées dirigées par de Chefs de guerre clanique. […]
Sur l’obligation de participation des enfants à l’effort, l’auteur soutient que : « On encourage le président Idriss Deby à détruire la valeur de l’Armée Nationale Tchadienne par l’octroie facile de grades de Colonels et Généraux et le recrutement forcé des enfants-soldats. Sans leur assurer une formation militaire sérieuse, on envoie ces pauvres enfants innocents soit disant pour traquer les officiers militaires en rébellion, mais en fait pour les pousser à la mort collective. Malgré cela, les stratèges de l’Opération Épervier gardent un silence absolu, tout comme les dirigeants politiques français ferment les yeux sur les activités criminelles de l’ONG, l’Arche de Zoé, qui organise sous le couvert de l’Humanitaire et la complicité des certaines mafias européennes, la déportation des enfants tchadiens vers la France ». […]
Relativement aux poursuites pénales contre les ressortissants français, Hassane Mayo-Abakaka formule le vœu que : « Les autorités politiques et judiciaires tchadiennes doivent démontrer leur capacité de défendre le droit de ces enfants innocents et victimes de la mafia européenne. Nous sommes convaincus que le président Deby ne pourra pas résister devant ses protecteurs politiques français, pour permettre au moins une fois dans l’Histoire, à la Justice tchadienne d’accomplir sa mission. […] Il ne doit pas avoir non plus de négociations politiques, ni diplomatiques pour régler ces faits et actes criminels commis par des ressortissants européens qui connaissent bien la valeur de la Déclaration universelle des droits de l’Homme ».
Il convient de terminer avec un message d’espoir : le ministre angolais de l’Assistance et Réinsertion sociale, João Baptista Kussumua, a sollicité jeudi, au Caire, en Egypte, dans le cadre de la réunion ministérielle du 2ième Forum Panafricain sur l’Enfant, promu par l’UA, en présence de la première dame d’Egypte, Suzzane Mubarak, l’application pratique des mesures pour rendre le continent africain plus digne pour les enfants. Les participants à la réunion se sont penchés sur des thèmes ayant trait à la forme de lutter contre les maux qui touchent les enfants en Afrique. Ils ont défendu la nécessité de lancer un appel pour que tous les Etats membres de l’UA s’engagent dans la défense du futur du continent, ce qui passe, obligatoirement, par l’amélioration, la protection et la dignification des enfants. Pour sa part, le révérend sud-africain, Desmond Tutu a dit: « le futur de notre continent est entre les mains des enfants, vu que ce sont eux qui pourront rendre, demain, l’Afrique plus prospère ». […] (allAfrica )
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