La veille, soit vendredi, le Premier ministre pakistanais, Shaukat Aziz, avait rejeté des reportages de médias locaux selon lesquels le gouvernement envisageait des options pour imposer la loi martiale ou déclarer l’état d’urgence. La Cour suprême devait rendre dans les prochains jours sa décision sur la validité de la réélection du général Musharraf à la présidentielle du 6 octobre. Mais elle a décidé de réentendre en audience les arguments du procureur général, Muhammad Qayyum, lundi, et de reporter l’affaire jusqu’au 12 novembre. Le juge Iftikhar Mohammed Chaudhry, boulet aux pieds de Musharraf, n’a jamais cessé de contrarier les desseins du général. Le leadership de Musharraf était menacé à la fois par ce jugement imminent de la Cour suprême et par un mouvement islamique qui s’est étendu à la capitale. C’en était trop.
Dans un discours à la nation, le président Perez Musharraf affirme que le Pakistan est au bord de la déstabilisation et qu’il ne permettrait pas à son pays de commettre un suicide, invitant le peuple à comprendre la situation critique qui prévaut dans le pays. Il invoque la montée des activités des extrémistes, les attentats terroristes et les abus judiciaires. Il a cité en exemple la vague sans précédent d’attentats suicide, qui ont fait 420 morts depuis juillet, parmi lesquels 139 tués à Karachi, dans le sud du pays, le 18 octobre. Il demande aux pays occidentaux, notamment les États-Unis, l’Union européenne et les pays du Commonwealth, de ne pas imposer leurs standards sur la démocratie et les droits de l’homme au Pakistan.
L’instabilité croissante du nord-ouest pakistanais ébranle l’autorité du président Pervez Musharraf, soutenu par les États-Unis, rapporte la Presse canadienne. Selon les habitants de la région, des arabes, Ouzbeks et Tadjiks qui ont fui l’Afghanistan après la chute des talibans en 2001 ont rejoint les rangs des extrémistes locaux, pour la plupart membres de l’ethnie pachtoune comme les talibans de l’autre côté de la frontière. Le Maulana Fazlullah, imam pro-taliban a créé une sorte de mini-État dans cette province de 10.000 kilomètres carrés. Il utilise une station de radio pour propager un islam fondamentaliste dans cette région autrefois connue des touristes comme la « Suisse de l’Asie » en raison de ses spectaculaires montagnes enneigées. Ses miliciens ont bombardé des écoles pour filles, fait sauter des boutiques vendant des vidéos et de la musique, et défiguré une statue de bouddha en pierre vieille de 1.300 ans.
En conséquence, Pervez Musharraf vient de décréter la loi martiale, annoncer un ordre constitutionnel provisoire qui suspend la Constitution et met ainsi en danger la transition promise vers la démocratie. Le Parlement et les assemblées provinciales continueront de fonctionner. Les activités des chaînes de télévision privées sont interrompues dans tout le pays et une réunion d’urgence du gouvernement devait avoir lieu samedi soir, selon des médias locaux. Toute publication diffamant le président, son gouvernement ou les forces armées est désormais proscrite. La diffusion d’images de kamikazes et de victimes d’attentats suicide et la publication de déclarations de combattants islamistes sont interdites. Toutes les communications téléphoniques mobiles et terrestres sont coupées et les retransmissions de certaines télévisions privées sont interrompues.
La police et l’armée ont encerclé le siège de la plus haute juridiction du pays à Islamabad. Le juge en chef de la Cour suprême, Iftikhar Mohammed Chaudhry, a, de nouveau, été remplacé par Hameed Dogar. « Certains membres de l’institution judiciaire travaillent à l’encontre des pouvoirs exécutifs et législatifs dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme, affaiblissant par là-même le gouvernement et la détermination de la nation, et amoindrissant l’efficacité de son action pour juguler cette menace », a déclaré Musharraf pour justifier cette décision. L’ancien bâtonnier de la cour suprême, Chaudhry Ikram, a jugé illégale la désignation de M. Dogar. « Le terrorisme est au plus haut dans le pays et le gouvernement est paralysé par la Cour suprême », a déclaré Pervez Musharraf. Le pays de Pervez Musharraf n’a jamais été aussi près de l’éclatement en ce soixantième anniversaire.
L’ancienne Première ministre pakistanaise, Benazir Bhutto, qui avait quitté Karachi, jeudi après-midi, pour rejoindre sa mère et ses enfants à Dubaï, est revenue samedi à Karachi, dans le sud du Pakistan. Elle devrait participer la semaine prochaine à un rassemblement à Rawalpindi, ville à 15 km de la capitale Islamabad.
« Au lieu de progresser vers la démocratie, nous reculons vers un régime plus dictatorial », a déclaré Mme Bhutto à la chaîne de télévision britannique Sky News. « Il ne s’agit pas d’un état d’urgence, mais d’une loi martiale, et le peuple pakistanais va s’élever contre cela », a-t-elle déclaré plus tard depuis Karachi. Mme Bhutto dénonce fermement cette décision qui ne vise ni plus ni moins qu’à reporter d’au moins un an ou deux les élections prévues en janvier, pour profiter de ce que les États-Unis seront absorbés par leur propre élection présidentielle. « La communauté internationale doit faire pression sur M. Musharraf pour qu’il revienne sur sa décision afin que des élections libres et démocratiques puissent se tenir en janvier prochain », a soutenu l’ancienne première ministre.
Vœu repris par la secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, qui a dit espérer que ce pays d’Asie du sud maintienne son intention d’organiser des élections libres et justes. Depuis Istanbul, elle considère de « très regrettable » la décision du président pakistanais, un « recul de la démocratie ». Le porte-parole du département d’État américain, Sean McCormack, a, pour sa part, affirmé que « les États-Unis sont profondément inquiets par les nouvelles selon lesquelles le président pakistanais Musharraf a pris des actions extra-constitutionnelles en imposant un état d’urgence ». Le Pentagone a toutefois indiqué que l’état d’urgence n’aurait pas d’impact sur l’aide militaire fournie par les États-Unis au Pakistan et sur sa politique de lutte contre le terrorisme.
Washington et Londres sont dans l’embarras. Ils soutenaient le processus électoral au Pakistan qui devait faire du général Musharraf un président civil, après avoir renoncé à son mandat de chef des armées, et de Mme Bhutto, le chef du gouvernement. « Tous les amis du Pakistan seront inquiets par le tour pris par les événements aujourd’hui », a déclaré le chef de la diplomatie britannique, David Miliband. Carl Bildt, le chef de la diplomatie suédoise, craint les conséquences de cette décision « très préoccupante » du président Musharraf qui pourrait provoquer une escalade de la violence.
Imran Khan, à la tête du Parti du mouvement pour la justice, est l’un des plus farouches opposants au président pakistanais. À la suite de l’instauration de l’état d’urgence au Pakistan, il a été assigné à résidence. « Musharraf s’était affiché comme un dictateur bienveillant. Mais maintenant qu’il est poussé dans ses derniers retranchements, il montre son vrai visage. C’est un vrai putschiste qui veut rester au pouvoir coûte que coûte », a déclaré Khan. Il a dénoncé la décision du président Musharraf comme un acte de « haute trahison punissable », selon lui, de « la peine de mort ».
En juin 2004, le président Pervez Musharraf lançait cet appel au monde musulman : « Quelle meilleure image des vertus de l’islam que celle de notre saint prophète - que la paix et la bénédiction d’Allah soient sur lui ! -, qui personnifiait la justice, la compassion, la tolérance envers les autres, la générosité, l’austérité avec un esprit de sacrifice et un désir ardent d’élever l’humanité et de créer un monde meilleur ? […] Nous devons adopter une approche modérée et de conciliation afin d’effacer des esprits cette idée reçue d’un islam de l’activisme politique, en conflit avec la modernité, la démocratie et les sociétés laïques. Nous devons accomplir tout cela en réalisant que, dans le monde où nous vivons aujourd’hui, il ne nous sera peut-être pas fait justice pour autant. Voilà notre part de la stratégie de la modération éclairée, celle à laquelle nous devons nous atteler. […] Ne permettons pas aux futures générations de dire que nous, dirigeants d’aujourd’hui, avons mené le monde vers l’apocalypse. Justice doit être faite et doit être vue pour être faite. Le monde dans son ensemble et les pouvoirs, quels qu’ils soient, doivent réaliser que la confrontation et le recours à la force ne sont plus l’un des moyens à leur disposition pour amener la paix ».
Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, le général Pervez Musharraf, 63 ans, d’abord plébiscité après un coup d’État, vit une longue chute tant dans les sondages d’opinion qu’auprès de sa population. Déjà réchappé à plusieurs attentats, contesté par les groupes islamistes, remis en question par la Cour suprême, honni en raison de son alignement avec les États-Unis, Musharraf est de plus en plus défié ouvertement. L’organisation américaine, International Republican Institute, révélait en août dernier que le taux de popularité du président s’était effondré, passant de 60 % d’opinions positives en juin 2006 à 34 % aujourd’hui. Les groupes islamistes ont déclaré, à son encontre, la « guerre sainte » pour se venger de l’attaque sanglante contre la Mosquée rouge.
En juillet dernier, le numéro deux d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, exhortait les Pakistanais à se « révolter » contre leur président, Pervez Musharraf, après l’assaut donné contre la Mosquée rouge d’Islamabad. « Le héros Ghazi a mis à nu la vilénie, la bassesse et l’inféodation des forces de Musharraf, ces chiens de chasse au service (du président américain George W.) Bush, le croisé (…) Ces forces ne méritent pas l’honneur de défendre le Pakistan. Musharraf a entaché l’histoire de l’armée pakistanaise et l’a couverte d’un opprobre qui ne peut être lavé que par la vengeance de l’assassinat de Ghazi », déclarait Zawahiri, dans un enregistrement diffusé sur Internet, précisant qu’il s’exprime à « l’occasion de l’agression criminelle » contre la mosquée. « Si vous ne vous révoltez pas, Musharraf va vous anéantir. Musharaf ne s’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas éradiqué l’islam du Pakistan », avait-il poursuivi dans ce message publié sur un site habituellement utilisé par les islamistes. Depuis, Oussama ben Laden a, le 20 septembre dernier, déclaré le « jihad » (guerre sainte) au général Musharraf et à son armée : « Il est obligatoire pour les musulmans du Pakistan de mener le jihad (guerre sainte) et de combattre pour démettre Pervez, son gouvernement, son armée et ceux qui lui viennent en aide ».
« L’ennemi n’est plus russe mais s’appelle Bush et Musharraf : « Busharraf », comme disent les religieux dans les madrasas (Le Point).
(Sources : AFP, Cyberpresse, La Presse canadienne, Le Blog Finance, Le Monde, Le Point)
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