mercredi 7 novembre 2007

« Si les aventuriers de l’Arche de Zoé avaient opéré dans notre pays, (le Congo) la prise eût été plus miraculeuse ! »

Pourquoi revenir sur l’affaire du Tchad ? Parce qu’elle est devenue une affaire d’État. Et non plus un fait divers. Voyons ce qu’en pense la presse allemande, telle que le rapporte DW.World.de :

L’affaire franco-tchadienne des 103 enfants que l’ONG Arche de Zoé voulait confier à des familles européennes a fait couler beaucoup d’encre cette semaine dans les journaux allemands.

La Tageszeitung de Berlin tout d’abord ne consacre pas moins d’une page à cette affaire qui continue de soulever bien des questions. « Les bienfaiteurs autoproclamés français », écrit le journal, « ont surtout sous-estimé la colère suscitée au Tchad par leur opération. L’indignation y est unanime et peut se résumer en ces termes : l’Europe ferme ses frontières et contraint des réfugiés africains à risquer leur vie via l’Atlantique ou la Méditerranée, mais des Européens peuvent à leur guise faire venir chez eux des enfants africains ».

La Frankfurter Allgemeine Zeitung dénonce quant à elle le double jeu du président tchadien. Idriss Déby s’est dit indigné et inquiet du sort qui aurait été réservé à ces 103 enfants. « A l’évidence », souligne le journal, « il se fait moins de souci pour un nombre infiniment plus grand d’enfants dans son pays. Son gouvernement a promis au début de l’année de démobiliser des milliers d’enfants soldats enrôlés dans l’armée et des unités paramilitaires. Mais selon Human Rights Watch, rien n’a été fait. L’utilisation d’enfants soldats continue au Tchad et le régime ne se donne même pas la peine de le camoufler ».

Pour la Frankfurter Rundschau, il serait fatal que l’affaire de l’Arche de Zoé au Tchad se traduise par un arrêt général des adoptions interculturelles. « Il y a en Afrique plus de 43 millions d’orphelins », écrit l’auteur de l’article, lui-même père adoptif de deux enfants africains. « On affirme souvent que ces orphelins trouvent toujours une place quelque part au sein de la grande famille africaine. Cela fait longtemps que ce n’est plus le cas, non seulement dans les régions où l’épidémie de sida est la plus virulente. En témoignent les centaines de milliers d’enfants des rues de Kinshasa ou de Nairobi, de même que les orphelinats bondés du Malawi et de l’Afrique du sud ».

Cela dit un autre article, toujours dans la Frankfurter Rundschau, nous apprend que, sur les 48 pays de l’Afrique subsaharienne, huit seulement ont signé la Convention de La Haye sur l’adoption.

La presse africaine n’est pas en reste. Comme le rapporte Radio-France International, à Kinshasa, L’Observateur pose cette hypothèse:

« Et si L’Arche était venue en République Démocratique du Congo ? ». Et ses conclusions ne sont pas franchement encourageantes. « Si les aventuriers de l’Arche de Zoé avaient opéré dans notre pays, la prise eût été plus miraculeuse ! ». « Indubitablement », affirme L’Observateur de la République démocratique du Congo, « trois familles congolaises sur quatre chercheraient à se débarrasser de tous les enfants à leur charge. Il se produirait instantanément, sur toute l’étendue du pays, une prodigieuse génération spontanée d’enfants orphelins et ou abandonnés ».

L’affaire de l’Arche de Zoé continue de susciter des commentaires dans toute la presse du continent, poursuit Radio-France International. Dans son éditorial, le quotidien congolais l’Avenir se félicite de la libération avant-hier des trois journalistes français et en profite pour plaider la cause de la profession… sur tout le continent, et dans toutes les situations de crise. « Les autorités tchadiennes », affirme le journal « avaient tort de mettre dans le même panier, journalistes bien connus et membres de l’Arche de Zoé ». Pour l’Avenir « Ce n’est pas parce qu’il est au milieu des ennemis que le journaliste doit être logé à la même enseigne que ceux qui combattent les armes à la main. Nous voulons dire clairement qu’il n’est pas interdit à un journaliste d’entretenir des rapports avec un groupe rebelle, dès le moment où pour lui, il s’agit des rapports avec une source ». « C’est sur base de ce faux jugement », estime enfin le quotidien que « le correspondant de RFI, Moussa Kaka, croupit injustement dans la prison de Niamey ».

Le quotidien kinois pose en toile de fond la question du rôle des parents des enfants d’Abéché -puisqu’il semble avéré que ceux-ci n’étaient pas orphelins, mais il se refuse de les juger « Lorsque l’enfer et le désespoir atteignent les limites du tolérable, il ne nous paraît plus juste de faire à un parent le reproche d’avoir tenté de sauver son enfant ».

Sur le voyage « sauvetage » de Nicolas Sarkozy au Tchad, L’Observateur, de la République démocratique du Congo, écrit : « Ce serait la plus grosse utopie de s’attendre à ce qu’un chef d’État africain aille ” récupérer ” ses compatriotes en passe d’être emprisonnés dans un pays étranger, fût-il africain. Ce serait la démarche la moins envisageable. […] Et pourtant, le Président français vient de le faire au Tchad. […] Cette affaire donne matière à réflexion. Elle ne prévaut que dans une logique de déséquilibre socio-économique Nord/Sud. Ailleurs, on ne voit pas des enfants européens être « exportés » sous d’autres cieux pour des mobiles aussi peu avérés. L’Afrique est depuis longtemps gérée par les affinités de la pauvreté et de la misère, les socles sur lesquels reposent un continent devenu le lieu de la faim, du manque et des besoins insatisfaits. Des enfants qu’on expose à des marchandages, cela suppose évidemment que la solidarité africaine, terrassée par le dénuement, a volé aux éclats. On les expose ainsi vers des horizons utopiques qui les déracinent. Plusieurs prédateurs viennent ainsi opérer en Afrique parce que les homogénéités ont été « défrontalisées ». Les Africains, privés de leur identité, sont francophones, lusophones ou anglophones. Ils ne se reconnaissent plus. De telle sorte que ceux qui ont inventé notre pauvreté et qui tiennent à la résoudre en imposant le développement selon des critères préétablis, plongent le continent dans un marasme difficile à gérer. C’est là qu’il faut situer l’opération Arche de Zoé, celle de la misère ».

Afrique centrale rapporte cette entrevue qu’a donnée le ministre tchadien de l’Intérieur, Ahmat Mahamat Bachir, quotidien Le Parisien : « Un procès en France des membres de l’association Arche de Zoé serait une insulte. […] Les membres inculpés de l’Arche de Zoé « doivent aussi purger leur peine dans le pays : qu’ils goûtent à nos prisons! », s’exclame le ministre tchadien de l’Intérieur.

Le Groupe de presse L’Avenir, de la République démocratique du Congo écrit, en éditorial : « Quelques jours après que la Mission de l’ONU en République démocratique du Congo ( Monuc ), dans son point de presse hebdomadaire, ait fait état de la présence d’enfants soldats au sein de l’armée nationale congolaise, les ambassadeurs de France, de Suède et du Pays-Bas sont allés parler du sujet auprès du gouvernement congolais. Ils ont été reçus par le ministre d’État en charge des Affaires étrangères, Mbusa Nyamwisi. Pourquoi lui et pas le ministre de la Défense nationale ? »

L’éditorialiste poursuit : « […] Un ambassadeur africain ou français peut-il solliciter une audience auprès du Secrétaire d’État américain afin de s’informer sur la présence de tel ou tel autre élément au sein des marines ? […] Ces faits sont plus insultants et plus insupportables que le voyage de Sarkozy au Tchad pour s’assurer du sort de ses compatriotes. Au lieu de blâmer Sarkozy, on doit plutôt s’inspirer de son exemple. Les ingérences et la nostalgie des colonisateurs se trouvent en amont. Le manque de respect aux institutions africaines. Nous sommes loin de tolérer la présence d’enfants dans une armée nationale. Le rapport de la Monuc est clair. Il parle de plus au moins 200 enfants soldats dans les brigades des Fardc déployées au front. […] L’empressement avec lequel les autorités congolaises sont saisies étonne et ne présage rien de bon. C’est vrai qu’une armée nationale qui recrute des enfants soldats, cela fait jaser. Le gouvernement n’a pas besoin d’ouvrir un front inutile contre les défenseurs des droits des enfants. Sinon pourquoi fait-on de cette affaire une actualité ? ».

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