dimanche 11 novembre 2007

Pour Mia Farrow, à Montréal, le Soudan est « l’holocauste des temps modernes »

Mia Farrow est une actrice américaine engagée. Très engagée. Elle a fait du Darfour la cause de sa vie. Maria de Lourdes Villiers Farrow est née le 9 Février 1945 à Los Angeles, Californie (États-Unis). Sa carrière débute sur grand écran, en 1959, dans un film de son père John. En 1964, sa prestation dans la série Peyton Place lui apporte un début de notoriété. C'est en 1968, avec le rôle-titre du Rosemary's Baby de Roman Polanski, qu'elle se révèle au grand public. Sa rencontre avec Woody Allen, dont elle partagera la vie plus de dix ans, marque un tournant dans sa carrière. Elle devient la muse du cinéaste new-yorkais, jouant dans treize de ses films et coupant terme à toute autre collaboration (entre 1982 et 1992, un seul de ses films n'est pas réalisé par Allen. Mère de 14 enfants (dont 9 adoptés), Mia Farrow se fait plus discrète dans les années 1990, apparaissant notamment aux génériques de Parfum de scandale (1994) et Miami Rhapsody (1995). Se consacrant de plus en plus à la télévision, l'Américaine revient sur grand écran en 2006, dans le film fantastique 666 la malédiction, remake de La Malédiction, puis dans Arthur et les minimoys, film mêlant animation et prises de vues réelles réalisé par Luc Besson, dans lequel elle interprète la grand-mère du petit héros (Allociné).

Mia Farrow adopte 10 de ses 14 enfants en Asie, notamment en Corée, en Inde et au Vietnam. C'est en 1973 qu'elle recueille sa première fille, Lark Song, orpheline de la guerre du Vietnam et asthmatique. Car c'est la particularité de cette « Mère Courage » : ayant contracté la poliomyélite lorsqu'elle était enfant, elle a choisi d'adopter des enfants paraplégiques, atteints de cécité ou de la polio. Un scandale éclate lorsque Woody Allen, 3ième mari de Mia Farrow, la quitte pour Soon-Yi, jeune fille adoptée par l'actrice et son second mari, le chef d'orchestre André Prévin. Après s'être mariés en 1997, Soon-Yi et Woody Allen ont à leur tour adopté deux petites filles.

Mia Farrow est à Montréal. Elle débarque à Montréal pour venir parler de la cause qui lui tient à cœur, le massacre au Darfour. Toute menue et chaleureuse, elle est aussi une battante en colère et indignée. Sa visite s'inscrit dans le cadre de la Conférence Promesse du millénaire de Montréal. Particularité de madame Farrow : elle ne voyage normalement qu'en classe économique. Chaque fois, elle remet la différence du prix d'un billet régulier à celui d'une classe supérieure à une des causes qu'elle appuie: l'Unicef et le United Nations Children's Fund. Cette fois-ci, pour venir à Montréal, elle a accepté l’hospitalité du président du groupe de presse canadien Québécor qui lui a envoyé son jet privé, lui permettant ainsi d’être plus rapidement à Montréal et d’accorder plus d’entrevues à la presse.

Elle poursuit inlassablement son chemin de Damas, cherchant à convertir autour d’elle le plus grand nombre de personnes à la cause du Darfour. À deux reprises, elle s'est rendue sur place, au Darfour. Elle a vu les gens en fuite, les camps de réfugiés, le désastre. Au péril de sa vie. En entrevue, elle déclarait : « Pour moi, il y avait toujours un camion de l'ONU qui attendait à trente pieds devant et je pouvais fuir à toute vitesse en hélicoptère, raconte-t-elle. Mais personne ne vient en aide aux femmes et aux enfants qui sont restés derrière ».

En août dernier, Mia Farrow, ambassadrice de l'Unicef, avait écrit une lettre ouverte au président soudanais, Omar el Béchir, pour lui demander d'échanger sa liberté contre celle du chef rebelle Souleimane Djamous. Dans sa lettre du dimanche 5 août, elle prend fait et cause pour le chef rebelle du Darfour, Souleimane Djamous, confiné depuis 2006 par le gouvernement de Khartoum dans un hôpital des Nations unies dans la province du Kordofan. Il aurait contribué à sauver des dizaines de milliers de vies humaines parmi les déplacés, il est connu pour avoir tenté d’unifier les groupes rebelles et pour avoir lutté contre la violation des droits de l’Homme, sans jamais prendre les armes. Encore plus récemment, elle était au Rwanda pour participer à une manifestation en faveur du Darfour (ouest du Soudan), dans le but de faire pression sur la Chine, accusée de complaisance avec le Soudan. Elle a profité de l’occasion pour participer au lancement, à Kigali, d'une torche relais dans le cadre de la campagne baptisée « Un rêve pour le Darfour ».

Depuis 1997, la Chine est le plus grand fournisseur d’armes au régime d’al-Beshir au Soudan. Tanks, bombardiers, hélicoptères, armes automatiques et lance-grenades s'étalent comme une liste d'épicerie et sont payés avec l’argent du pétrole vendu surtout à la China National Petroleum Corporation, propriété du gouvernement chinois. James Kynge citait, dans son livre China Shakes the World (2006), Peter Goodman du Washington Post : « Les Chinois veulent creuser la terre pour chercher du pétrole, c’est pourquoi nous sommes éliminés », relatant ainsi le témoignage d’un habitant de la région.

En février dernier, Mia Farrow, de retour du Tchad, où elle était en tant qu'ambassadrice de bonne volonté de l'UNICEF, avait raconté son périple à la frontière soudano-tchadienne, parlant de « village brûlé après village brûlé - décourageant et étourdissant ». Alors que le convoi de l'UNICEF s'était arrêté, des gens avaient commencé à surgir sur la route, « comme des spectres, émaciés, avec des haillons ou pas de vêtements du tout, terrifiés ». Trop terrifiés pour retourner dans leurs villages, « 300 personnes s'évanouissant dans les broussailles », dès qu'un véhicule s'annonçait sur la route.

Mia Farrow était déjà venue à Montréal, le 9 novembre 2006. Elle a redit à Montréal ce message à l’identique de celui formulé à Kigali : « La Chine, comme pays organisateur des Jeux Olympiques en 2008, doit jouer un rôle important pour stopper le génocide qui se déroule en ce moment au Darfour ». Accusée de complaisance avec le Soudan pour préserver ses intérêts pétroliers, la Chine doit, aux yeux de Mia Farrow, utiliser ses liens privilégiés avec Khartoum pour mettre un terme à la guerre civile ravageant le Darfour depuis 2003. Ce qui est insoutenable, aux yeux de l’actrice américaine, est le fait que ce conflit, qui sévit depuis plus de quatre ans au Darfour, région de l'ouest du Soudan, a fait déjà 200.000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l'ONU, des chiffres contestés par le Soudan.

Le Sommet du millénaire de Montréal, « événement médiatico – humanitaire » de deux jours, rassemble des intervenants de divers horizons. Parmi les personnalités présentes à Montréal, qui livreront un message, il faut mentionner Michael Douglas, Mia Farrow, le Prix Nobel de la paix Desmond Tutu, et l'ancien premier ministre canadien Paul Martin. Les « objectifs du millénaire », qui doivent être atteints d'ici l'an 2015, sont de réduire la faim dans le monde, de diminuer la pauvreté extrême de moitié, de freiner l'évolution du sida et de permettre l'accès universel à l'éducation. La plupart de ces personnalités ne seront pas rémunérées mais elles recevront des dons pour leurs fondations. Dans le cadre d'un atelier, des spécialistes, parmi lesquels le sénateur Roméo Dallaire, le président d'UNICEF-Canada, Nigel Fisher, et Ishmael Beah, un ancien enfant-soldat de la Sierra Leone, ont discuté du problème des jeunes qui sont obligés de porter des armes dans divers conflits.

Selon Mia Farrow, le Canada et le reste du monde ont abandonné les enfants du Darfour, qui sont les principales victimes de ce conflit, en délaissant son rôle humanitaire traditionnel. Le Canada pourrait jouer un rôle de leadership dans ce pays. L'actrice qualifie la situation au Soudan d' « holocauste des temps modernes ». Le monde s'attendait, a rappelé Mia Farrow, à une implication du Canada, reconnu pour aider les moins nantis. Le Canada est demeuré silencieux face au génocide du Darfour, déplore l’actrice.

En mai dernier, dans les colonnes du Wall Street Journal, Mia Farrow écrivait que Steven Spielberg risquait de devenir le « Leni Riefenstahl » des Jeux de Pékin. Depuis, Spielberg étudierait toutes les options, y compris démissionner, en fonction de ce que feront les Chinois. « Nous sommes assez avancés dans des discussions pour décider si cette voie est positive ou non, et donc s'il faut étudier d'autres options ». Les choses ont évolué pour le mieux semble-t-il. Zhang Yimou, célèbre réalisateur chinois de films, aujourd'hui chargé des cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques de 2008, déclarait au début de novembre, que : « Steven Spielberg a une affection profonde pour la Chine. Quand je l'ai invité il y a deux ans à m'aider pour obtenir de réaliser les cérémonies d'ouverture et de clôture, il a accepté avec plaisir. Maintenant, nous sommes chargés tous deux de l'équipe de réalisation. Pour parler franchement, il est difficile pour une personne aussi affairée que lui de venir s'occuper de toutes ces choses. Mais il insiste toujours pour participer à chaque réunion d'étude. En tant qu'étranger, il nous donne des suggestions sur des points que nous n'avons pas envisagés. Ces opinions sont extrêmement précieuses ».

La collaboration du cinéaste, avec les autorités chinoises, a été, de nouveau, critiquée par l'actrice américaine à Montréal. Dans le Wall Street Journal, en mars dernier, elle s’était interrogée sur le rôle qu’entend jouer Stephen Spielberg en Chine : « Est-ce que M. Spielberg, qui a fondé en 1994 la Fondation Shoah pour préserver les témoignages des survivants de l'Holocauste, est conscient que la Chine finance le génocide au Darfour ? »

Il semble que la question est toujours d’actualité.

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