mardi 20 novembre 2007

« Le pétrole est la source de toutes les agressions dans le monde » (Hugo Chavez)

Le roi Abdallah, d'Arabie saoudite, avait proposé un ordre du jour qui devait mettre en valeur l’effort du groupe de l’OPEP pour contrer l'impact écologique de l'industrie pétrolière. L’horaire a été particulièrement perturbé par le président vénézuélien Hugo Chavez. Dans son discours, lors du 3ième Sommet de l'OPEP, samedi, à Ryad, le président vénézuélien, dont son pays était l’hôte du 2ième Sommet du cartel en 2000, a soutenu que l'OPEP pouvait agir comme « un puissant acteur pour combattre l'injustice » et développer la paix. Le président Chavez a bousculé un peu tout le monde en défendant la politique selon laquelle le cartel pétrolier devrait jouer le rôle de « dirigeant » dans le tiers monde, en protégeant les pays en développement et en encourageant l'utilisation rationnelle du pétrole.

En bon provocateur qu’il est, faisant le signe de croix et invoquant le Christ au pays de l'islam, Hugo Chavez a, dans son discours, rappelé les 47 ans d'histoire de l'OPEP ainsi que les deux précédents sommets de l'organisation, tenus respectivement en Algérie en 1975 et au Venezuela en 2000. Le seul moyen pour réaliser la justice et la paix dans le système politique mondial, selon Chavez, est d'approfondir la coopération entre les États membres de l'OPEP. « Nous savons (...) que l'unique chemin de la paix, comme l'a dit le Christ, c'est la justice », a déclaré Hugo Chavez devant le roi Abdallah, dont le titre officiel est « Serviteur des Deux Saintes Mosquées ».

Bien évidemment, il fut largement question, à ce 3ième Sommet, de la faiblesse du dollar américain. Le vice président de la Banque Centrale chinoise, Xu Jian, n’a-t-il pas déclaré récemment que le dollar « perdait son statut de devise mondiale » ? La Banque d’Irak a rejoint le concert en annonçant qu’elle allait diversifier ses réserves et qu’elle ne compterait plus uniquement sur le dollar. Les prix mondiaux du pétrole sont libellés en dollars dont la baisse continue diminue d'autant les revenus des pays producteurs. Elle contribue aussi à la flambée du pétrole qui devient une valeur refuge pour les spéculateurs.

Chavez, fort de cette conjoncture, a souligné qu’une responsabilité accrue des États pétroliers, dans le contexte d'une hausse massive du prix du brut, pourrait être une manière de compenser la faiblesse du dollar. Il a invité ses homologues à envisager l’hypothèse, pour protéger l'économie mondiale de la faiblesse du dollar US, que les transactions pétrolières internationales ne soient plus facturées dans cette monnaie, proposition qui contraindrait les États-Unis à assumer seuls le coût de leur économie de guerre et qui aurait pour conséquence de provoquer leur faillite totale en quelques heures. En formulant cette proposition, il s’appuyait sur trois exportateurs majeurs de pétrole, la Russie, le Venezuela et l’Iran qui demandent des paiements en euros à la place du dollar. En deux ans, le billet américain a perdu 25 % de sa valeur face à l'euro et cette baisse affecte les revenus des pays producteurs de pétrole. Le président équatorien, Rafael Correa, a soutenu, plus tard, s’appuyant sur la lancée d’Hugo Chavez, qu'il « convenait mieux aux pays producteurs de faire des transactions pétrolières en monnaie forte ».

L'Arabie saoudite s'y oppose, bien évidemment, car elle craint « des conséquences négatives » sur ses revenus. « Nous ne voulons pas que le dollar s'effondre », s’est défendu le chef de la diplomatie saoudienne, Saoud Al-Fayçal, appuyé par quelques autres membres du cartel qui ont adopté une position similaire à celle de l'Arabie saoudite.

M. Chavez a terminé son allocution, qui a excédé de beaucoup la durée prévue par le programme, par une salve contre son ennemi privilégié, les États-Unis, en déclarant qu’ils sont à l'origine de tout ce qui se passe dans le monde, plaidant que « le pétrole est la source de toutes les agressions dans le monde ». Tout en développant cette hypothèse, Chavez a proposé la création d'une banque de l'OPEP. Les raisons en seraient que : « nous pouvons mettre toutes les ressources dans cette banque » pour que le cartel puisse chercher de nouvelles ressources et renforcer la coopération dans la réduction des changements climatiques.

L'OPEP comprend les 12 pays exportateurs de pétrole: l'Algérie, l'Angola, l'Indonésie, l'Iran, l'Irak, le Koweït, la Libye, le Nigeria, le Qatar, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Venezuela. L'Équateur est devenu officiellement samedi le 13ième membre de l'OPEP au cours du sommet de l'Organisation à Ryad. L'OPEP contribue à 40% de la production de pétrole du monde entier et contrôle 80% des réserves pétrolières globales. Les 12 pays produisent actuellement environ 32 millions de barils de pétrole par jour. L'Équateur produit environ 500.000 barils de pétrole par jour, très loin derrière l'Arabie saoudite, qui en produit environ 9 millions. Le Venezuela pour sa part en produit quelque 2,4 millions de barils de pétrole par jour.

Si l'Iran, qui vend déjà son pétrole essentiellement en euros pour faire face aux sanctions imposées par les États-Unis, n’a pu obtenir des autres pays de l'OPEP que mention soit faite de « la dépréciation continue du dollar » dans la déclaration finale du sommet, cette dernière demande toutefois « aux ministres de l'Énergie et des Finances d'étudier les manières d'améliorer la coopération financière entre membres de l'OPEP, y compris les propositions de certains chefs d'État ». Ces derniers examineront aussi la possibilité de créer un panier de devises pour remplacer le dollar.

« Un panier de devises assure une plus grande stabilité qu'une seule monnaie, mais au sein de l'Organisation, ce qui ferait plaisir à l'un ne ferait pas plaisir à l'autre. Ce n'est pas évident sur le plan technique et il y a forcément un signal politique que certains membres de l'OPEP ne veulent pas donner », a commenté Saif Nachet, du Forum international de l'Énergie. Coter le pétrole dans une autre devise que le dollar n'est pas la solution. « Si demain vous valorisez la valeur du pétrole en euros, ça veut dire que les acheteurs de pétrole devront se procurer des euros en vendant des dollars pour se procurer le pétrole », a souligné Saif Nachet à AFP. « Que ferait-on alors si dans deux ans l'euro revient à son niveau de lancement (1,16 dollar environ)? Rappelez-vous, il y a trois ans, on disait que l'euro était trop faible », avance-t-il.

Pour sa part, Hugo Chavez n'était pas mécontent de cette déclaration : « Le plus important est que nous ayons obtenu que les ministres des Finances étudient la proposition. Parce que le dollar est en chute libre [...] Il faut que l'impérialisme du dollar se termine », a commenté le président vénézuélien Hugo Chavez.

Les prix du pétrole ont augmenté d'environ 70 % depuis un an, le prix du baril frôlant des « niveaux quasi records » à 100 $US. Les membres de l'OPEP attribuent essentiellement ces prix à la spéculation financière. Ils ont indiqué ces derniers jours qu'il ne fallait pas s'attendre à une augmentation de leur production, en dépit du haut niveau des cours.

Le ministre algérien du pétrole, Chakib Khelil, a déclaré au quotidien Le Monde que : « Il y a assez de pétrole sur le marché, d'autant qu'on assiste à un fléchissement de la demande ». Il juge peu probable que le baril crève rapidement le plafond des 100 dollars, même s'il ne voit pas de recul des cours avant le 2e trimestre 2008. Le cartel n'a guère de raisons de répondre aux pays consommateurs qui lui demandent de produire plus. M. Khelil, qui deviendra président de l'OPEP début 2008, rappelle que la hausse de production de 500 000 barils par jour au 1er novembre n'a eu aucun effet sur les cours. « A quoi sert de pomper plus si personne n'est là pour acheter », dit-il, soulignant « le manque de capacité de raffinage » dans les pays industrialisés.

Une question fut également débattue, soulevée à nouveau par Hugo Chavez : « L'OPEP peut-elle devenir un acteur politique et géopolitique »? À partir de cette hypothèse, Hugo Chavez a lancé – sur un ton de la provocation, comme cela lui sied dans les circonstances – cette menace directe : « Si les États-Unis commettent la folie d'envahir l'Iran ou d'agresser à nouveau le Venezuela, alors le prix du pétrole n'atteindra pas 100 dollars, mais 200 dollars ». Le roi Abdallah d'Arabie saoudite a estimé pour sa part que le pétrole ne devait « pas se transformer en outil de conflit ». Selon lui, l'OPEP a « deux objectifs principaux : la protection des pays membres et de l'économie mondiale » et s'oppose aux « perturbations inopinées des prix du pétrole ». Le souverain saoudien a également annoncé la création d'un fonds doté de 300 millions de dollars pour la protection de l'environnement, financé par l'Arabie saoudite.

Sur un autre plan, depuis quelques années, l'Iran et le Venezuela développent une intense coopération et s'opposent, sur la scène internationale, à la politique étrangère de Washington. Hugo Chavez a quitté Riyad pour se rendre à Téhéran, accompagné de cinq ministres (Affaires étrangères, Pétrole, Industrie, Télécommunications et Intérieur) et du maire de Caracas, afin d’aborder une série de dossiers bilatéraux, régionaux et internationaux avec son homologue iranien Mahmoud Ahmadinejad. Parmi ces dossiers figure la mise au ban des banques iraniennes. Puisque la plupart des banques européennes et américaines ne font plus affaire avec la République islamique, les deux pays se sont aussi entendus pour créer une banque irano-vénézuélienne. M. Chavez a dit qu'il espérait que « d'autres pays se joignent ». Les deux présidents ont discuté la création d’un fond commun d’investissement pour la promotion de la coopération industrielle dans les secteurs de l’ingénierie et de la pétrochime. Profitant de l’occasion, Hugo Chavez, comme à son habitude, a déclaré considérer l’Iran comme sa deuxième maison.

Renaud Girard, du quotidien Le Figaro, a publié un article de fond consacré à Hugo Chavez au moment même où ce dernier est attendu en France pour informer le président Sarkozy sur l'état de la situation d'Ingrid Betancourt. Renaud Girard constate que les américains n’ont vraiment pas de chance. Ils en avaient presque fini, pour cause de maladie, avec Castro, et voilà que, dans les mêmes Caraïbes, un autre leader charismatique a repris le flambeau de la « lutte anti-impérialiste ». Le journaliste français décrit en ces termes Hugo Chavez, l’orateur : « L’incontinence verbale de Chavez ne ressemble pas à celle des discours fleuves de Castro, structurés par la vulgate marxiste. Plus doué que le meilleur des télévangélistes américains, Chavez offre toujours un grand show, nourri de digressions, savantes ou non, d’anecdotes, d’imprécations, de blagues ». « Chavez n’a que faire de l’opinion qu’ont de lui les intellectuels de son pays, car il sait que son éloquence fantasque plaît dans les barrios. Chavez est perçu comme un père protecteur et nourricier, venu du peuple et proche du peuple. L’argent étatique du pétrole y fait des merveilles », poursuit le journaliste.

Des intellectuels français, dans le cadre de cette visite et au regard du nouvel opportunisme humanitaire de Chávez, ont signé, dans Libération, une lettre dénonçant le fait que « le nouveau texte constitutionnel, que soumet Hugo Chavez au référendum de décembre 2007, propose la réélection indéfinie du président et il entend supprimer tout contrôle des pouvoirs de l’État sur les actions de l’exécutif. Il constitue une véritable entorse aux principes fondamentaux de la démocratie et de l’État de droit. La tenue d’un référendum ne garantira pas l’expression d’un suffrage impartial car, depuis des années déjà, le Conseil national électoral, instance chargée de superviser les processus électoraux au Venezuela, est placé sous la coupe du gouvernement et de ses partisans. Quant au vote électronique, instauré dans le pays depuis 2004, il se prête à toutes les manipulations ».

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