jeudi 4 octobre 2007

Un grand poète, Monsieur García Márquez, se prépare pour le grand départ

Gabriel Garcia Marquez est à l’article de la mort. Monsieur García Márquez souffre d’un cancer lymphatique. L’homme, l’écrivain, ce prix Nobel de littérature en 1982, l’auteur inoubliable des Cent ans de Solitude, se prépare à nous quitter. Aux actualités canadiennes, il semblerait que l’homme a fait ses bagages et traverse, lentement mais insidieusement, une dernière et lourde épreuve, un cancer lymphatique. Il serait à l’agonie. Nous avons également appris, bien en retard, malheureusement, que le poète avait laissé à ses amis et amies une lettre d’adieu, Una marioneta. Simple, touchante, émouvante. Sans préjuger du moment où la vie le cèdera à la mort, voici cette lettre, rédigée le 8 décembre 2000, que je viens de découvrir et qui circule, depuis quelques mois, sur Internet. Un exemple d’une profonde sérénité. Rédigée en espagnol, voici une version que je trouve magnifique, parmi plusieurs autres.

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Si pour un instant Dieu oubliait que je suis une marionnette de chiffon et m’offrait un bout de vie, il est possible que je ne dise pas tout ce que je pense mais en définitive je penserais tout ce que je dis.

Je donnerais de la valeur aux choses, non pas pour ce qu’elles valent mais pour ce qu’elles signifient.

Je dormirais peu, je rêverais plus, je comprends que pour chaque minute où nous fermons les yeux, nous perdons 60 secondes de lumière. Je marcherais quand les autres s’arrêtent, je me réveillerais quand les autres dorment. J’écouterais quand les autres parlent et combien je me régalerais d’une bonne glace au chocolat!

Si Dieu m’offrait un bout de vie, je m’habillerais avec simplicité, je m’étendrais au soleil, laissant à nu non seulement mon corps mais aussi mon âme.

Mon Dieu, si j’avais un cœur, j’écrirais ma haine sur de la glace, et j’attendrais que le soleil se lève. Je peindrais sur les étoiles avec un rêve de Van Gogh un poème de Benedetti et une chanson de Serrat serait la sérénade que j’offrirais à la lune. J’arroserais les roses de mes larmes, pour sentir la douleur de leurs épines et le baiser carmin de leurs pétales.

Mon Dieu, si j’avais un bout de vie… je ne laisserais pas passer un seul jour sans dire aux gens que j’aime que je les aime…je convaincrais chaque homme et chaque femme qu’ils sont mes préférés et je vivrais amoureux de l’amour.

Je prouverais aux hommes combien ils se trompent quand ils pensent qu’ils cessent de tomber amoureux quand ils vieillissent, sans savoir qu’ils vieillissent quand ils cessent de tomber amoureux.

Je donnerais des ailes à un enfant mais je le laisserais apprendre à voler seul. J’apprendrais aux vieux que la mort ne vient pas avec la vieillesse mais plutôt avec l’oubli.

J’ai appris tant de choses de vous, les hommes. J’ai appris que tout le monde veut vivre au sommet de la montagne sans savoir que le véritable bonheur est dans la manière de la gravir.

J’ai appris que quand un nouveau-né attrape avec son petit poing pour la première fois le doigt de son père, il l’attrape pour toujours.

J’ai appris qu’un homme a le droit de regarder un autre homme d’au dessus seulement quand c’est pour l’aider à se lever.

Les choses que j’ai pu apprendre de vous sont si nombreuses, mais elles ne me serviront en vérité que peu, car quand vous me garderez dans cette mallette, malheureusement c’est que je serai en train de mourir.

Dis toujours ce que tu sens et fais ce que tu penses.

Si je savais qu’aujourd’hui est la dernière fois que je vais te voir dormir, je te serrerais très fort et je prierais le Seigneur pour être le gardien de ton âme.

Si je savais que ceci était la dernière fois que je te vois passer cette porte, je te serrerais dans les bras, te donnerais un baiser et te rappellerais pour t’en donner encore plus.

Si je savais que ceci était la dernière fois que je vais entendre ta voix, je graverais chacune de tes paroles pour pouvoir les entendre indéfiniment.

Si je savais que ce sont les dernières minutes que je te vois, je te dirais « je t’aime » et je n’assumerais pas, bêtement, tu le sais bien.

Il y a toujours un lendemain et la vie nous donne une nouvelle chance pour faire les choses bien, mais au cas où je me trompe et qu’aujourd’hui est tout ce qui nous reste, j’aimerais te dire combien je t’aime, que je ne t’oublierai jamais.

Le lendemain n’est assuré à personne, jeune ou vieux.

Aujourd’hui peut être la dernière fois que tu vois ceux que tu aimes. Pour cela, n’attends plus, fais le aujourd’hui, car si demain n’arrive jamais, tu regretteras surement le jour où tu n’as pas pris le temps pour un sourire, serrer dans les bras quelqu’un, un baiser, et que tu étais très occupé pour leur offrir un dernier souhait.

Garde ceux que tu aimes près de toi, dis leur à l’oreille combien tu as besoin d’eux, aime les et traite les bien, prends du temps pour dire « je suis désolé », « pardonne moi », « s’il te plait », « merci » et tous les mots d’amour que tu connais.

Personne ne se souviendra de toi pour tes pensées secrètes. Demande au Seigneur la force et la sagesse pour les exprimer.

Montre à tes amis combien ils t’importent. Mets de l’action à tes rêves, si tu ne le fais pas aujourd’hui, demain sera pareil qu’hier. Le moment est celui-ci, car personne ne se souviendra de toi pour tes pensées secrètes.

Envoie cette lettre à tous ceux que tu aimes, si tu ne le fais pas, demain sera comme aujourd’hui. Et si tu ne le fais pas cela n’a pas d’importance. Le moment sera passé.

Je vous dis au revoir avec beaucoup de tendresse ».

Gabriel Garcia Marquez

8 décembre 2000