vendredi 5 octobre 2007

Le rôle de Bernard Kouchner, au Rwanda, mis en cause dans un procès à Montréal

« J’estime que c’est mon devoir en tant que citoyen du Canada et du monde. Je veux m’assurer que le Rwanda et son génocide ne seront jamais oubliés ». Cette profession de foi a été formulée par le Lieutenant-général canadien, Roméo Dallaire, dans le cadre d’un procès, qui se tient à Montréal, et qui met en cause Désiré Munyaneza, accusé de crimes de guerre. Munyaneza, fils d’un riche commerçant hutu de la région de Butare, deuxième ville rwandaise, aurait pris les armes pour anéantir la population tutsie de sa région. Il aurait tué des enfants, des personnes âgées, en plus de violer plusieurs femmes. Il aurait commandé la milice hutue du coin et ordonné plusieurs meurtres.

« J’ai vu, touché, senti, déplacé et marché sur des corps de personnes de tout âge. Quand on pouvait lire leurs cartes d’identité, on constatait qu’il s’agissait de Tutsis. Sinon, ils en avaient la physionomie », a rappelé Roméo Dallaire. En avril 1994, le Lieutenant-général canadien, Roméo Dallaire, s’était vu confier la direction de la mission de l’ONU au Rwanda. Il devait y maintenir la paix entre les factions Hutus et Tutsis qui s’opposaient dans une guerre sanglante.

En cours de procès, Desiré Munyaneza, a admis finalement que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité avaient été commis durant le conflit de 100 jours au Rwanda en 1994, au cours duquel plus de 800 000 Tutsis et Hutus ont été tués. Le lieutenant-général canadien Dallaire ne connaît pas Munyaneza mais il témoigne pour éclairer le juge sur l’ampleur de la tragédie de 1994. « C’est fatigant de tuer. Alors ils blessaient les gens et les laissaient mourir », a répondu l’ex lieutenant-général canadien Dallaire.

« Les Interahamwe (les miliciens hutus) encourageaient les Tutsis à se réfugier dans les églises, en leur faisant croire qu’ils y seraient à l’abri. Une fois les églises remplies, ils venaient les tuer, rangée par rangée. Ça durait parfois des jours. Quand ils étaient fatigués de tuer, ils les blessaient et les laissaient mourir au bout de leur sang. Ils violaient les jeunes filles ». Le Lieutenant-général Dallaire tente de convaincre les chefs radicaux hutus, comme le colonel Théoneste Bagosora, que les massacres de civils n’ont aucune utilité militaire. Cela ne les aide en rien à combattre l’armée du Front patriotique rwandais, à majorité tutsie, qui menait une offensive au nord du pays. Mais ses paroles tombaient dans les oreilles de sourds. Le but des barrages érigés un peu partout par les Interahamwes était « juste de détruire des êtres humains ». Il ne fait aucun doute, dans l’esprit de Roméo Dallaire, que l’assassinat de quelque 800 000 personnes, surtout des Tutsis, par les Hutus, faisait partie d’un plan délibéré d’assassinats d’opposants et de nettoyage ethnique.

Le 17 juin 1994, le lieutenant-général Roméo Dallaire rencontre Bernard Kouchner à son quartier de Kigali, capitale du Rwanda. Aujourd’hui, en cours de procès, le général Dallaire ne peut oublier le rôle trouble du représentant français, envoyé par l’ancien président français François Mitterrand au Rwanda, qui occupe aujourd’hui le poste de ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy. Le génocide avait commencé deux mois et demi plus tôt et avait déjà fait des centaines de milliers de victimes, surtout tutsies. M. Kouchner prend alors l’engagement, au nom de la France, de déployer un fort contingent de soldats « pour protéger les gens contre les tueries ». Roméo Dallaire refuse net cette aide : « J’ai refusé ce concept. Si la France voulait apporter son aide, elle n’avait qu’à renforcer la mission de paix des Nations unies, en nous donnant enfin les ressources nécessaires pour agir ».

Plus tard, Bernard Kouchner dénonce la lâcheté des Occidentaux, avoue la fin de non-recevoir que ses appels ont essuyé auprès de François Mitterrand. « J’ai su au Rwanda pourquoi des juifs étaient morts pendant la guerre. J’ai su qu’Auschwitz était à la portée de tous », dit-il. Roméo Dallaire en remet dans ses mémoires - J’ai serré la main du diable : La faillite de l’humanité au Rwanda - estimant peu le rôle de Bernard Kouchner, à cette époque : « à la tête de sa pléthore de journalistes » cherchant à sauver l’image du gouvernement français, allié du régime hutu. « Je n’aimais déjà pas l’idée de faire sortir du pays des enfants rwandais, mais se servir de ce geste pour montrer une meilleure image des extrémistes me donnait la nausée », écrira-t-il.

Il convient de rappeler que l’Opération Turquoise était une opération de l’ONU décidée par la résolution n° 929 du Conseil de sécurité qui précisait que ce dernier : « …donne son accord à ce qu’une opération multinationale puisse être mise sur pied au Rwanda à des fins humanitaires jusqu’à ce que la MINUAR soit dotée des effectifs nécessaires. » Elle doit être « …une opération temporaire, placée sous commandement et contrôle nationaux, visant à contribuer, de manière impartiale, à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda ». Selon Wikipedia, le 14 juin 1994, François Mitterrand dira au personnel de Médecins sans Frontières, à propos du gouvernement intérimaire rwandais : « C’est une bande d’assassins. D’ailleurs, j’ai eu Agathe Habyarimana à la maison. C’est une folle qui voulait lancer un appel à la continuation du génocide sur les radios périphériques françaises. On a eu du mal à la calmer. Maintenant on en a marre, on va intervenir, on va essayer de mettre de l’ordre dans tout ça et de sauver des gens ». Agathe Habyarimana est la veuve de Juvénal Habyarimana, président de la République du Rwanda, du 5 juillet 1973 au 6 avril 1994. Après l’attentat du 6 avril 1994, contre son mari, elle se réfugie en France et y vit depuis ce temps. Une information judiciaire a été ouverte contre elle en mai 2007 pour « complicité de génocide et de crime contre l’humanité », suite à une plainte. Le rapport parlementaire français montrera de nombreux éléments qui attestent que le désarmement des génocidaires fut insuffisant, et qu’aucune arrestation de génocidaires n’a eu lieu (Wikipedia)

Le 22 juin 1994, comme le rapporte La Presse de Montréal, débute « l’Opération Turquoise ». Roméo Dallaire constate que les forces envoyées par la France avaient des équipements offensifs et non humanitaires : « C’était une force exceptionnellement puissante, avec des avions chasseurs Jaguar, des mortiers lourds, des troupes d’élite, entraînées pour se battre. Elle n’avait pas de camions, d’hélicoptères ou d’autres équipements utiles au travail humanitaire ». Ce fut pour Roméo Dallaire une grande déception. Il ne s’est jamais remis de l’abandon qu’il a ressenti, sur le terrain, des dirigeants des Nations Unies. Nonobstant une mise en garde sur une imminence d’un bain de sang, et maintes demandes pour un soutien de troupes étrangères, il n’a pas été entendu. Pire. La majeure partie de sa force a été évacuée et il s’est retrouvé avec quelques centaines de soldats, au plus fort du génocide. Et le voilà confronté avec une Opération turquoise sans outils pour venir en aide à une population massivement massacrée.

Bernard Kouchner n’avait – vraisemblablement – pas traduit l’appel de détresse du Général sur le terrain comme le souhaitait ce dernier. En cours de procès, le général a expliqué que « les Français ont établi une ligne pour permettre aux Forces armées rwandaises (hutues) et aux extrémistes de se sauver. Ils avaient mobilisé des soldats de leurs anciennes colonies, comme le Sénégal et le Congo. Les Français ont pris - en fait, volé - les véhicules des Nations unies. Les soldats africains de « l’Opération Turquoise » ont eu des accrochages, si bien que les gens pensaient que c’était les Casques bleus qui avaient tiré sur eux. On a été obligé de renvoyer tous nos officiers et soldats africains francophones, parce qu’ils étaient devenus des cibles, ce qui nous a affaibli encore plus ».

Le général à la retraite a rappelé que : « Cela a pris cinq mois pour avoir mes soldats ». Et de poursuivre tout en relativisant leur impact : « Les renforts ont bien sûr fini par arriver : ce que je recevais, c’était bien des soldats, mais ils avaient à peine des munitions pour armer leurs carabines ». Cette anecdote montre l’état de désorganisation des renforts auxquels il est confronté sur le terrain : « Je me souviens de l’arrivée des Bangladais (1.100-1.200 hommes en décembre 1993), leur première question fut : « où est-ce qu’on dîne », a-t-il rappelé avec consternation.

À son retour de mission, l’ex-lieutenant-général a souffert de dépression et a lutté contre des pensées suicidaires, à la suite de sa désastreuse mission, et il fait maintenant face à la situation au moyen de médicaments et en se soumettant à une thérapie. « Le fait de témoigner valait le stress que cela lui occasionnait », a-t-il précisé.

Roméo Dallaire a écrit un livre sur le génocide rwandais, intitulé J’ai serré la main du diable : La faillite de l’humanité au Rwanda. Ce livre raconte comment les Nations Unies ont réagi à la crise rwandaise. Le récit a été récemment porté à l’écran.

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